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Visite des nouveaux cardinaux, dont le cardinal Jean-Marc Aveline, au Pape émérite Benoît XVI, le 27 août 2022. Visite des nouveaux cardinaux, dont le cardinal Jean-Marc Aveline, au Pape émérite Benoît XVI, le 27 août 2022. 

L'hommage du cardinal Aveline à Benoît XVI, «chercheur et pèlerin»

Nous publions l'homélie du cardinal archevêque de Marseille, Mgr Jean-Marc Aveline, lors de la messe pour la paix du dimanche 1 janvier 2023 en hommage au Pape émérite Benoît XVI, célébrée en la basilique Notre-Dame de la Garde.

Jean-Marc Aveline *

On raconte, mais c’est une légende, qu’un jour, saint Augustin, se promenant sur la plage, vit un jeune garçon qui s’affairait, à l’aide d’un coquillage, à verser l’eau de la mer à l’intérieur d’un trou qu’il avait creusé dans le sable. Intrigué, Augustin l’interrogea sur son projet, et le jeune garçon répondit fièrement qu’il avait la ferme intention de parvenir à faire entrer toute l’eau de la mer dans son trou sur la plage. Bien sûr, sans le décourager, Augustin lui expliqua avec délicatesse que cette tentative risquait fort d’être vaine ! Mais, en y réfléchissant plus tard, il comprit que lui-même, qui ne cessait, par ses inlassables recherches, de vouloir faire entrer l’immensité du mystère de Dieu dans l’étroitesse de son propre esprit humain, poursuivait une semblable chimère ! Plus encore, il en déduisit que la raison humaine, tel le coquillage dans la main du jeune garçon, ne peut s’empêcher d’être attirée par la vérité infinie de Dieu, et que la volonté intrépide de l’enfant, telle la foi du croyant, le pousse à engager toutes ses forces pour aller chercher la vérité et la faire fructifier dans les limites de son existence humaine, en coopérant avec elle.

Lorsqu’il était archevêque de Munich, le cardinal Ratzinger avait disposé ce coquillage de légende sur le côté de son blason et il le fit placer au centre lorsqu’il devint le pape Benoît XVI. Car ce mouvement complémentaire de la foi et de la raison est resté jusqu’au bout, et jusqu’à son Testament spirituel révélé hier soir, la trame de sa réflexion théologique et le fondement de son activité pastorale. Sa devise épiscopale, « coopérateurs de la vérité », signifiait la façon dont il concevait la continuité de sa mission, comme professeur de théologie puis comme pasteur du peuple de Dieu. Regrettant que l’on oublie trop facilement aujourd’hui le thème de la vérité, comme si celle-ci était trop élevée pour l’homme, il voulait que l’on revienne à la foi du petit garçon sur la plage car, disait-il, « si la vérité vient à manquer, tout s’écroule ! »

Cette coquille sur son blason, comme celle qui figurait sur la chasuble qu’il avait utilisée lors de la liturgie solennelle du début de son pontificat, le dimanche 24 avril 2005, évoque aussi celle des pèlerins sur les chemins de Compostelle. Car la dimension du pèlerinage était inscrite très profondément dans l’histoire de sa vocation, depuis le jour de sa naissance, le 16 avril 1927. En effet, la liturgie de ce jour célèbre saint Benoît-Joseph Labre, qui mourut le 16 avril 1783 à Rome, après s’être effondré d’épuisement sur les marches de l’église Sainte-Marie-aux-Monts, tout près du Colisée. « Un saint vraiment européen », disait de lui Benoît XVI, un saint qui, tout en vagabondant d’un sanctuaire à l’autre à travers l’Europe, ne voulut « rien faire d’autre que prier et, avec cela, rendre témoignage à ce qui compte dans cette vie : Dieu. […] Lui seul suffit. » Et, dans l’homélie qu’il prononça lors de son quatre-vingt-cinquième anniversaire, le dernier qu’il célébra en tant que Pape, le 16 avril 2012, Benoît XVI ajoutait, à propos de Benoît-Joseph Labre : « Il nous montre que l’unicité de Dieu signifie, à la fois, la fraternité et la réconciliation des hommes. […] C’est un saint de la paix, précisément dans la mesure où c’est un saint sans aucune exigence, qui meurt pauvre de tout et qui est pourtant béni par chaque chose. » Qu’il me soit permis d’ajouter combien me touche profondément que le Pape François, en me créant cardinal, m’ait confié le titre de la paroisse Sainte-Marie-aux-Monts, celle de saint Benoît-Joseph Labre, devenu le patron des personnes sans-abris et des migrants, si cher à la fois au Pape François et au Pape Benoît !

En écho à ce cadeau que Dieu fit à l’Église et au monde à travers son serviteur Benoît XVI, je voudrais maintenant vous exprimer quelques vœux, en ce premier jour d’une nouvelle année civile, où nous fêtons la Vierge Marie, Mère de Dieu. D’abord, je vous souhaite de toujours chercher la vérité, laquelle ne se trouve qu’avec la charité, la justice et la paix, comme le chantait le psalmiste : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (Ps 84, 11). En ce premier janvier, journée de prière pour la paix, accueillons ce désir de Dieu, qui veut faire au monde le don de sa paix et nous appelle pour cela à devenir coopérateurs de la vérité, assoiffés de justice et artisans de paix. Ensuite, je vous souhaite d’être des pèlerins, d’aller sans cesse à la rencontre des autres, faisant ainsi tomber les murs de haine entre les peuples, les cultures et les religions. Que saint Benoît-Joseph Labre, qui séjourna aussi près de Marseille, notamment dans le petit prieuré de Saint-Jean-de-Garguier, nous aide à vivre cette année en nous mettant au service des pauvres, des sans-abris, des migrants, des personnes réfugiées, victimes des guerres et des violences, et de tous ceux qui sont dans le besoin.

Dans la même homélie, lors de son quatre-vingt-cinquième anniversaire, Benoît XVI confiait que le jour de sa naissance, qui fut aussi celui de son baptême, était un Samedi Saint. Et il commentait : « On avait encore l’usage, à cette époque, d’anticiper la veillée pascale dans la matinée, qui serait encore suivie par l’obscurité du Samedi Saint. » Il y voyait comme une parabole de la mission de l’Église : se tenir là, présente au milieu des obscurités de l’histoire et de l’apparente absence de Dieu, comme un témoin qui, dans la foi, entrevoit déjà la lumière de la résurrection du Christ. Permettez-moi de formuler le vœu que la méditation du Mystère pascal soit le cœur de notre vie personnelle et ecclésiale, qu’elle éclaire les passages obscurs de nos existences et nous soutienne dans les moments arides de notre apostolat.

À la fin de son homélie, Benoît XVI concluait : « Je me trouve dans la dernière partie du parcours de ma vie et je ne sais pas ce qui m’attend. Je sais, toutefois, que la lumière de Dieu est là, qu’Il est ressuscité, que sa lumière est plus forte que tous les maux de ce monde. Et cela m’aide à avancer avec assurance. » Nous savons maintenant que ce qui l’attendait, c’étaient presque dix années dans la pénombre discrète d’une vie retirée, auprès de la Vierge Marie, Mater Ecclesiæ, qui « gardait toutes ces choses en son cœur », comme nous l’avons lu tout à l’heure dans l’Évangile. En étroite communion avec son successeur, il a porté l’Église dans le silence et la prière, pour soutenir sa mission et l’aider à vivre de la communion qui vient de Dieu. Et c’est mon dernier vœu : que nous cultivions l’intériorité, non pas pour nous renfermer sur nous-mêmes, dans une indifférence aux problèmes du monde, mais pour vivre avec le Seigneur et témoigner humblement d’un message qui nous dépasse et nous attire, comme l’enfant au coquillage de saint Augustin, d’un message qui nous pousse sur les routes au service des pauvres, comme saint Benoît-Joseph Labre sillonnant l’Europe en simple mendiant de Dieu, et d’un message qui nous convie au « grand silence du dedans », comme disait sainte Jeanne de Chantal, à l’exemple de la Vierge Marie, mère de Dieu et mère de l’Église.

« Ce message en route vers les peuples, nous l’appelons Église, écrivait jadis Joseph Ratzinger, dans un texte qui est pour moi l’un des plus beaux qu’il ait écrit et par lequel je conclus. « Du rejet de ce message, qui le rendit sans patrie et le força à être en route, naquit la mission. […] La mission est donc l’expression de ce que la Parole [de Dieu] est sans patrie terrestre et ainsi de ce qu’elle appartient à tous. […] Car le salut du monde se trouve dans la main de Dieu, il vient de la promesse, non de la Loi. Mais il nous reste le devoir de nous placer avec humilité au service de la promesse, sans vouloir être plus que des serviteurs inutiles, qui ne font rien que ce qu’ils doivent (Lc 17, 13). »

Merci à Dieu de nous avoir donné, à travers ce Pape, un « serviteur inutile » d’une telle fécondité ! Qu’il continue à soutenir son successeur et à prier pour notre Église. Et nous, ce soir, prions pour lui et rendons grâce à Dieu. Belle et sainte année à tous !

Amen !

* + Jean-Marc Aveline
Cardinal archevêque de Marseille

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05 janvier 2023, 03:37