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Le père Michel Fédou saluant le Pape François le 1er décembre 2022, à l'occasion de la remise du Prix Ratzinger Le père Michel Fédou saluant le Pape François le 1er décembre 2022, à l'occasion de la remise du Prix Ratzinger  

Père Michel Fédou, aux sources du christianisme pour éclairer le présent

Lauréat du Prix Ratzinger 2022, le jésuite français Michel Fédou revient sur son parcours, marqué par l’étude des Pères de l’Église et de la christologie, mais aussi le dialogue œcuménique. Une vie de recherche et de service de l’Église, notamment à travers l’enseignement, dont le prêtre témoigne avec humilité.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

«Un maître de la théologie chrétienne», «digne héritier et continuateur de la grande tradition de la théologie française»: les éloges du Pape François prononcés ce jeudi 1er décembre, s’ils ont peut-être fait rougir le discret lauréat du Prix Ratzinger, n’en étaient pas moins mérités.

C’est des mains du Souverain Pontife que le père Michel Fédou a reçu la récompense attribuée depuis douze ans aux chercheurs se distinguant «pour des mérites particuliers dans l'activité de publication et/ou de recherche scientifique», et décernée pour la cinquième fois à un Français. Un autre récipiendaire se tenait aux côtés du prêtre jésuite dans la salle Clémentine: Joseph Weiler, professeur américain de droit de confession juive.


Une thèse sur Origène

Le père Michel Fédou est né en 1952 à Lyon. Après avoir effectué ses études secondaires et supérieures dans la capitale des Gaules, il est reçu à l’agrégation de lettres classiques en 1974. Il entre au noviciat de la Compagnie de Jésus en 1976, puis est ordonné prêtre en 1984. Il effectue des études de philosophie et de théologie au Centre Sèvres. Il obtient son doctorat de théologie en 1988, avec une thèse sur «Christianisme et religions païennes dans le Contre Celse d’Origène».

Depuis 1987, il enseigne la patristique et la théologie dogmatique au Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris, dont il a été doyen de la Faculté de théologie et président (entre 2003 et 2009).

Œuvrant pour plusieurs revues et associations, il est aussi membre du «Groupe des Dombes», dédié au dialogue entre catholiques et protestants, et du Comité mixte de dialogue théologique Catholique – Orthodoxe en France.

Un parcours dense, qui se reflète dans une bibliographie bien fournie, sans pour autant avoir suscité des rêves de récompense, comme en témoigne l’étonnement du père Michel Fédou.

Entretien avec le père Michel Fédou, sj

Ça a été pour moi une grande surprise. Je ne m’attendais absolument pas à cela. C'est un prix que j'accueille bien sûr comme une marque de reconnaissance et comme une confirmation de mon engagement dans le travail théologique. Je reçois ce Prix Ratzinger comme un encouragement adressé, par-delà ma personne, à la mission du travail théologique comme service du peuple de Dieu dans la Compagnie Jésus, et plus largement bien sûr, dans l'Église. Et puis je dirai enfin que j'accueille ce Prix Ratzinger comme une occasion pour moi de rendre grâces pour tous ceux et toutes celles qui m'ont encouragé et stimulé dans mon itinéraire de théologien depuis de nombreuses années.

Quelles ont été les figures les plus marquantes pour vous dans cet itinéraire?

J'ai été très marqué par le travail du père de Lubac, le travail du père Jean Daniélou, de ceux qui ont vraiment contribué au retour aux Pères de l'Église, au renouveau patristique dans le courant du XXᵉ siècle. Je pourrais aussi mentionner Yves Congar. Ces théologiens du XXᵉ siècle m'ont énormément marqué, de même que Karl Rahner aussi, un très grand théologien pour moi. Plus récemment, dans les générations qui ont suivi, je suis très redevable au père Bernard Sesboué, qui a dirigé mes travaux quand j'étais étudiant, dont ma thèse. C’est le père Bernard Sesboué qui m'a vraiment beaucoup encouragé à persévérer dans un itinéraire qui incluait à la fois des études sur les Pères de l'Église et des recherches, des travaux, dans le champ de la théologie dogmatique, notamment en christologie.

Qu'est-ce qui vous passionne le plus dans le fait d'étudier et de faire connaître ces Pères de l'Église?

Les Pères de l'Église, ce sont des chrétiens des premiers siècles qui ont eu à cœur de transmettre l'Évangile et d'aider leurs contemporains à approfondir le sens de la foi chrétienne, et cela dans des mondes culturels et religieux différents de la Palestine où était né justement le christianisme. Ils ont donc eu à mener, on pourrait dire avant la lettre, un travail d'inculturation pour essayer de transmettre la foi et de transmettre l'intelligence de la foi dans un monde culturel différent du monde sémitique. Et ils l'ont fait de façon très remarquable dans les différents domaines de la pensée chrétienne, dans les différents secteurs de la vie de l'Église. Et je crois que c'est très important pour nous, parce que d’une certaine manière ils servent de modèle, non pas au sens où nous devrions répéter tout ce qu'ils ont dit, mais au sens où les chrétiens d'aujourd'hui ont eux-mêmes à faire en quelque sorte un travail analogue: essayer de transmettre l'intelligence de la foi, la compréhension de la foi chrétienne dans des langages qui soient compréhensibles dans nos sociétés, dans nos cultures contemporaines.

J’ajoute que les Pères de l'Église m'ont beaucoup marqué et me marquent beaucoup, parce que leur littérature est, dans une large mesure, une littérature exégétique - ils ont été de très grands lecteurs de l'Écriture Sainte - et aussi, de façon tout à fait éminente, une théologie spirituelle. La littérature patristique est dans une large mesure une littérature spirituelle. On peut penser à des chefs d'œuvres comme La Vie de Moïse de Grégoire de Nysse, ou les Confessions de saint Augustin, et bien sûr, les écrits des Pères du désert.


Vous avez donc rencontré de près de nombreux théologiens qui ont pris une part active au Concile Vatican II. Qu'est-il prioritaire de s'approprier concernant le Concile Vatican II pour l'Église aujourd'hui?

Il y a d'abord la compréhension de l'Église comme peuple de Dieu, un peuple de Dieu au sein duquel, bien sûr, il y a des ministères, au service de ce peuple de Dieu. C'est tout à fait caractéristique que la grande constitution sur l'Église Lumen gentium, une constitution dogmatique sur l'Église, après un premier chapitre sur la notion de mystère de l'Église, consacre un long développement, au chapitre 2, au peuple de Dieu. Au fond, Vatican II nous invite à reprendre conscience de cette réalité du peuple de Dieu dans lequel, comme dit le chapitre 5 de Lumen Gentium, tous sont appelés à la sainteté. C'est au service de ce peuple de Dieu qu'il y a bien sûr une structure hiérarchique de l'Église, des ministères, etc. C’est un premier enseignement qui me semble fondamental.

Je dirais d'autre part qu’il y a eu le renouveau liturgique. Vatican II a été un concile extrêmement important de ce point de vue-là, avec sa constitution sur la Sainte Liturgie.

Il y a la constitution Gaudium et Spes, très importante pour que nous ayons justement des repères sur la manière de comprendre la mission de l'Église dans le monde de ce temps. Il y a le texte Dei Verbum qui propose une réflexion extrêmement importante sur l'Écriture Sainte, le rapport à l'Écriture Sainte, le rapport à la Tradition. Ce sont autant d'enseignements extrêmement précieux pour nous.

Mais j'ajouterai aussi quelque chose d'essentiel. Il y a dans les actes du Concile Vatican II des textes qui invitent en quelque sorte à une nouvelle position de l'Église par rapport à la société, par rapport au monde. Je pense en particulier à la déclaration Nostra Aetate, sur le christianisme et les religions du monde. Le Concile Vatican II, dans cette déclaration, dénonce toute forme d'antisémitisme, bien sûr, mais aussi, plus largement, toute manière de ne pas respecter les croyances d'autrui. Alors l'Église, certes, Vatican II le dit, doit annoncer l'Évangile et doit annoncer le Christ, mais elle doit le faire dans le respect de ceux qui partagent d'autres convictions.

Il y a aussi la déclaration sur la liberté religieuse qui est extrêmement importante, et qui là encore, exhorte les chrétiens non pas à mettre entre parenthèses leur foi, mais à rendre compte de leur foi d'une manière qui respecte pleinement la liberté de croyance, la liberté de conviction d'autrui. Ce sont des textes très importants pour nous aujourd'hui.


Justement, en matière interreligieuse, quel regard portez-vous sur ce pontificat marqué par de nombreux gestes envers les musulmans et en faveur de la fraternité?

Il me semble que ces gestes sont tout à fait précisément dans l'esprit de Vatican II, et aussi dans l'esprit d'Assise, la fameuse rencontre d'Assise dont le Pape Jean-Paul II a pris l'initiative en 1986. Le point important est de comprendre que l'Église, en cela, ne renonce nullement à ce qu'elle estime devoir dire, aux témoignages qu'elle estime devoir porter dans le monde. Mais l'Église se tient dans une position nouvelle par rapport à ce qu'elle a pu donner à voir parfois dans le passé. Il est arrivé dans le passé que l'on fasse appel à l'adage «hors de l'Église, point de salut» pour exclure des personnes ou des groupes - et parfois de façon véhémente, violente. Or, justement, dans la ligne de Vatican II, la rencontre d'Assise en 1986 et le geste récent du Pape François manifestent une attitude nouvelle: il s’agit de cheminer avec les autres croyants, en témoignant humblement de ce que nous croyons, avec le souci de chercher des ponts, avec le souci du dialogue. Je crois donc que ces gestes posés par le Pape François sont extrêmement importants parce qu'ils témoignent la posture nouvelle de l'Église vis-à-vis des autres croyants. Encore une fois, ce n'est pas du tout un renoncement à ce que nous croyons. Au contraire, nous devons témoigner humblement de ce que nous croyons. Mais c'est l'exigence de témoigner de notre foi dans un dialogue constant avec ceux et celles qui croient autrement que nous.

Un autre domaine qui vous est familier, c'est l'œcuménisme. Que pensez-vous de ce souhait partagé récemment entre François et Bartholomée d'établir une date commune pour Pâques?

Ce serait vraiment magnifique. D’une certaine manière, nous sommes ici dans une situation historique différente de celle des tout premiers siècles. Vers la fin du IIᵉ siècle, il y avait eu une controverse entre l'Église de Rome et des communautés chrétiennes en Asie Mineure. La controverse portait sur la date de la Pâque et à cette époque, saint Irénée de Lyon était intervenu auprès du Pape Victor pour dire «ce n'est pas gênant si la date de la Pâque n'est pas la même de part et d'autre, l'important est que nous soyons unis dans une même foi». Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans la même situation historique, et je crois que pour les raisons-mêmes pour lesquelles saint Irénée plaidait pour l'unité des chrétiens à sa manière, en son temps, nous avons aujourd'hui à reconnaître que ce pourrait être un signe très fort sur les chemins de la réconciliation entre nos Églises que de parvenir à une même date pour la célébration de Pâques. Je crois que ce serait un geste tout à fait prophétique, effectivement.


Ce serait un geste prophétique, un signe d'espoir… En revanche, il y a aussi la guerre en Ukraine. Pourrait-elle, selon vous, changer irrémédiablement les relations entre catholiques et orthodoxes?

Malheureusement, à l'occasion de cette terrible guerre en Ukraine, il y a d'abord une grave crise au sein de l'orthodoxie. Bien évidemment, les relations entre certaines Églises orthodoxes sont devenues extrêmement difficiles, parfois impossibles, nous le savons bien. Mais d'abord, nous devons être discrets par rapport à cela. Ce sont d'abord aux orthodoxes eux-mêmes d'essayer de trouver des chemins de réconciliation entre leurs Églises divisées. Et cela prendra certainement du temps.

Mais je pense que cette crise interne à l'orthodoxie, même si elle a forcément des incidences sur le dialogue œcuménique avec l'Église catholique, avec les protestants, ne doit pas empêcher d'aller de l'avant. Je fais moi-même partie de comité de dialogue entre catholiques orthodoxes en France. Il y a par ailleurs une commission internationale de dialogue entre l'Église catholique romaine et l'Église orthodoxe. Tout cela est très important. Il faut continuer ce chemin. Bien sûr, la guerre en Ukraine freine considérablement des espoirs de réconciliation, de communion. Mais il ne faut pas pour autant baisser les bras. Vous savez, l’œcuménisme, c'est une aventure de longue durée qui demande beaucoup de patience, beaucoup de persévérance, mais qui doit toujours être poursuivie avec l'espérance de parvenir un jour à la pleine communion des Églises.

Père Michel Fédou, vous avez aussi abondamment écrit en matière de christologie. Qu'est-ce qu'il vous reste à découvrir du Christ?

Oh ! Toujours beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses, parce que, vous savez, ce qu'on peut écrire au sujet du Christ est toujours infime par rapport au mystère de ce qu'Il est, de ce qu'Il représente pour nous. C'est vrai que j'ai beaucoup écrit sur l'histoire de la christologie, sur la manière dont les chrétiens, à l'époque des Pères de l'Église et depuis lors, ont parlé du Christ et ont réfléchi à son sujet. Mais je pense que nous sommes loin d’avoir épuisé la question, bien évidemment. Nous serons toujours conduits à poursuivre le travail, à essayer de trouver des mots, des catégories, des concepts pour rendre compte, époque après époque, du mystère du Christ qui nous dépasse toujours immensément. Nous sommes conduits aujourd'hui, comme à chaque époque, à faire ce que saint Pierre préconisait dans sa première épître – «rendre raison de l'espérance qui est en nous», pourvu que ce soit «avec douceur et respect». Je crois que cette exigence, que l'épître de Pierre formulait ainsi, demeure une exigence pour nous, comme à chaque époque.

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01 décembre 2022, 15:21