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Mgr Giuseppe Andrea Salvatore Baturi, secrétaire général de la CEI, la conférence épiscopale italienne. Mgr Giuseppe Andrea Salvatore Baturi, secrétaire général de la CEI, la conférence épiscopale italienne.  

Rapport des évêques italiens sur les abus: 613 dossiers transmis à la Doctrine de la Foi

Un rapport rendu public jeudi 17 novembre par la Conférence épiscopale italienne fait le point sur le travail du réseau territorial des services diocésains pour la protection des mineurs et des personnes vulnérables. Environ 89 cas ont fait l’objet d’un signalement en 2020-2021, avec 68 abuseurs présumés. «Il est temps que le linge sale ne soit plus lavé en famille», a déclaré le responsable du Service national pour la protection des mineurs.

Salvatore Cernuzio - Cité du Vatican

613. C'est le nombre de dossiers contenant des allégations d'abus sexuels au sein de l’Église italienne qui ont été envoyés par les diocèses de la péninsule à la Congrégation pour la doctrine de la foi (aujourd'hui Dicastère pour la doctrine de la foi) ces vingt dernières années. Sur la période 2020-2021, le nombre de victimes s’étant signalées s’élève à 89 (dont 61 mineurs) -rapportant des cas d'abus pour moitié récents, pour l'autre du passé- effectués par 68 abuseurs présumés: des prêtres (30) et des religieux (15), mais aussi des laïcs (23) tels que des professeurs de religion, des sacristains, des animateurs de patronage, des responsables d'associations, des directeurs de bureaux de la Curie romaine, des catéchistes et des présidents d'organisations sans but lucratif. Nombre d'entre eux se sont vu proposer des voies de réparation dans des communautés d'accueil et un accompagnement psychothérapeutique. 

Une première dans l’Église italienne

Ces données ressortent du premier rapport publié ce 17 novembre par la Conférence épiscopale italienne (CEI) sur le travail réalisé par le réseau territorial des services diocésains et interdiocésains pour la protection des mineurs et des personnes vulnérables au cours des dernières années. La pandémie de Covid a, semble-t-il, aggravé le phénomène. Un phénomène, précise le texte, qui ne concerne pas seulement le délit de violence sexuelle, mais aussi le «harcèlement», l'«exhibitionnisme pornographique», le harcèlement en ligne, les «actes d'exhibitionnisme», des «manipulations», les «propositions indécentes», la «violence domestique» ou, dans un cas, l'«appartenance à une secte satanique».

Ce document, intitulé "Protéger, prévenir, former", a été présenté au siège de Radio Vatican-Vatican News en l'absence du président de la Conférence épiscopale italienne, le cardinal Matteo Zuppi, mais en présence du secrétaire général de l’épiscopat, Mgr Giuseppe Baturi, du responsable du Service national pour la protection des mineurs, Mgr Lorenzo Ghizzoni, ainsi que de quelques membres des services et centres déployés dans la région.


Une enquête à approfondir

Mgr Baturi a parlé des «nouvelles» données qui ont émergé concernant les 613 dossiers contenant des plaintes pour abus arrivés à l'ancienne Congrégation pour la doctrine de la foi en provenance des diocèses italiens. Il a expliqué qu’une «enquête sera menée en collaboration avec le Dicastère pour un examen qualitatif et quantitatif du phénomène qui a émergé en Italie au cours des vingt dernières années». 

Ce nombre se révèle bien plus important que ceux communiqués dans le passé par la CEI sur la dernière décennie. Mgr Baturi a précisé que «d'après les informations que nous avons recueillies, il y a plus de 600 dossiers, mais un examen est nécessaire pour comprendre combien et quelles victimes il y a, dans quel contexte elles vivent, qui sont les auteurs, leurs profils, notre capacité à réagir aux plaintes. Tout sera recherché sur des cas réels et cela prendra du temps mais la CEI sera soutenu par des centres indépendants», a-t-il assuré.

Méthodes et réparations

Il n'y a aucune volonté de se cacher, a-t-on pu comprendre lors de cette conférence de presse. Au contraire, comme l'a déclaré Mgr Ghizzoni, «il est temps que le linge sale ne soit plus lavé en famille». Ce rapport, a ajouté le secrétaire de la CEI, «est un signe de la volonté de systématiser des méthodes nouvelles et synergiques, avec une prédisposition d'actions, y compris nouvelles, pour favoriser une lecture globale» de la pédophilie dans l'Église, qualifiée plusieurs fois par François de «cancer». Et c'est précisément grâce au Pape qu'une culture nouvelle et différente a pu se répandre dans l'Église italienne en ce qui concerne la lutte contre les abus, concrétisée par des décisions prises par l'assemblée des évêques et par «une attention importante qui doit être reconnue». La CEI n'a pas de compétence judiciaire, a reconnu Mgr Baturi, mais «c'est le signe d'une volonté de systématiser des méthodes nouvelles et synergiques».

Concernant d’éventuelles réparations, Mgr Baturi, en réponse aux questions des journalistes, a déclaré: «Dans l'Église, c'est une question que nous avons examinée à un niveau normatif et général, le Motu proprio Vos estis lux mundi prévoit un soutien. Mais nous n'avons pas formulé de formes d'aide plus précises, la question de l'indemnisation est liée à la procédure civile».

Un changement de mentalités

Pour sa part, le responsable du service de protection des mineurs a souligné un changement positif dans la perception de la gravité des abus. En témoigne la réponse obtenue auprès des différents diocèses: «Depuis le début de l'année 2019, grâce au Conseil permanent, un réseau a été mis en place. Nous ne nous attendions pas à ce qu'en un an et demi, les diocèses nous répondent. Chacun d'eux indiquait une personne de contact diocésaine pour le service de protection de l'enfance». La prise de conscience envers les victimes est également «différente»: «Le véritable changement, en tant qu'Église, s'est produit lorsque nous avons commencé à nous mettre à la place des victimes. Nous avons partagé leur douleur et leurs blessures, et commencer à prendre en compte ce facteur, plus que les autres, a signifié que nous avons sérieusement commencé à changer de style», a déclaré l'archevêque de Ravenne.

Ce changement s'est également produit «au niveau social et culturel; il y a une prise de conscience spécifique du problème de la maltraitance, mais ce n'est pas encore suffisant. La dignité d'une personne vaut plus que le monde entier», a-t-il expliqué. Et «l'Église italienne, avec ce rapport, s'engage à évaluer les cas, pour une réaction adéquate qui implique tous les sujets de la société italienne concernant un problème qui appartient à tous et qui doit voir une plus grande implication et synergie».


Un rapport par an est prévu

Pour le moment, ce rapport constitue «un premier aperçu de ce que l'Église italienne fait pour contrer le phénomène des abus et s'engager dans la prévention», a poursuivi Mgr Ghizzoni. «Nous n'en sommes qu'au début», a-t-il assuré, et ce qui est «urgent» est «certainement de faire la vérité sur le passé et le présent et de rendre justice, [car] c'est un crime et un péché très grave. Nous tenons à ce que cet événement ne se produise pas, nous voulons y arriver plus tôt pour que les enfants, les parents, les familles puissent accéder à tous nos environnements avec une véritable tranquillité d'esprit et en toute sécurité».

La CEI prévoit maintenant de faire un rapport chaque année, avec des indications précises, afin de «faire croître les activités de prévention». «Notre objectif n'est pas seulement d'agir comme un centre d'écoute pour recueillir des rapports et des plaintes, mais d'anticiper les événements négatifs et de former les gens. Lesquelles? Les prêtres, les religieux, les collaborateurs laïcs les plus proches, s'étendant à ceux qui gravitent dans l'environnement ecclésial comme les entraîneurs sportifs, les animateurs de patronage, les centres de jeunesse, les écoles catholiques... Autant de domaines pour que les gens soient attentifs, vigilants, prêts à agir et à réagir», a expliqué le prélat italien.

Des procédures distinctes

Une autre clarification importante offerte par Mgr Ghizzoni est qu’«en tant qu'Église, nous ne devons et ne voulons pas nous substituer aux autorités, ni à la police, ni encore moins à la justice: ces délits qui doivent être signalés de toute façon, quel que soit l'abuseur, nous les écoutons, nous les accueillons, s'ils concernent des personnes dans la vie de l'Église afin de prendre des mesures ecclésiales pour un processus canonique juste qui mène à des conséquences, avec une procédure connue: vérification de la vraisemblance, investigatio previa, renvoi à la Doctrine de la Foi, procès, jugement... Jusqu’à ce point-là, les gens ont le droit d'être considérés comme innocents et à la protection d'une bonne réputation», a-t-il rappelé.

Journée de prière le 18 novembre

L’archevêque de Ravenne a également rappelé la journée convoquée le 18 novembre par l'ONU pour la protection des mineurs contre l'exploitation et les abus sexuels. À cette occasion, la Conférence des évêques italiens a exhorté toutes les paroisses, les diocèses et les mouvements à organiser une journée de prière pour les victimes et les survivants. Des textes appropriés ont également été diffusés. Tout cela afin de favoriser une prise de conscience qui, a assuré le prélat, «conduira de plus en plus de personnes à s'exprimer»: «Pour une victime, ouvrir ce discours sur sa vie et son passé, c'est découvrir une blessure, un mélange de culpabilité et d'humiliation, à ne pas sous-estimer. Si l'environnement devient plus attentif, sensible et solidaire, les victimes peuvent s'ouvrir davantage et dénoncer».

Certaines associations de victimes - à commencer par Rete L'Abuso, avec dont le responsable a directement dialogué avec le cardinal Zuppi l'été dernier - ont critiqué le rapport présenté aujourd'hui et ont affirmé que les données de la CEI «battent» en réalité celles qui ressortent de l'étude de la CIASE, commission indépendante de l’épiscopat, en France.

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17 novembre 2022, 18:07