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La cathédrale Notre-Dame-de-Fátima de Karaganda, de style néo-gothique, au Kazakhstan. La cathédrale Notre-Dame-de-Fátima de Karaganda, de style néo-gothique, au Kazakhstan.  

Kazakhstan, Mgr Dell'Oro: la beauté et la charité, voies du dialogue

Mgr Adelio Dell’Oro raconte les défis de la minorité catholique qui attend le Pape François. Dans son témoignage, il rappelle la visite de Jean-Paul II dans le pays en 2001, l'exemple de tant de chrétiens persécutés par le régime soviétique, et sa déception face à l'absence du patriarche Kirill au Congrès des religions mondiales et traditionnelles.

Antonella Palermo - Cité du Vatican

Mardi 13 septembre, le Pape François partira pour le Kazakhstan. Sur les 19 millions d'habitants, 70% sont de confession musulmane, 26% sont chrétiens, principalement orthodoxes; le pays compte près de 120 000 catholiques. À une époque, les communautés catholiques étaient composées de divers groupes ethniques, notamment d'anciens déportés du régime soviétique, mais après l'indépendance, beaucoup d'entre eux sont retournés dans leurs pays d'origine respectifs et aujourd'hui encore, en raison de la situation économique, ce phénomène de migration se poursuit.

La venue de catholiques d’ex-républiques soviétiques

L'attente du Souverain pontife parmi les fidèles catholiques est élevée. Ils sont répartis en quatre diocèses, chacun portant le nom de la cathédrale qui se dresse dans le lieu et non le territoire géographique (diocèse de Marie Très Sainte à Astana - Nour-Soultan, diocèse de la Très Sainte Trinité à Almaty, diocèse de Karaganda et Administration Apostolique d'Atyrau) pour un total de 70 paroisses, et sont assistés par une centaine de prêtres. Des groupes de pèlerins sont également attendus de Saint-Pétersbourg, Moscou, Novossibirsk, Omsk, et même du Kirghizstan. Dans cette réalité ecclésiale numériquement minuscule, il y a un bouillonnement non négligeable, comme l'explique Mgr Adelio Dell'Oro depuis Karaganda, depuis un territoire diocésain deux fois et demie plus grand que l'Italie. Il est pasteur ici depuis sept ans et demi, après avoir vécu ici depuis 1997 en tant que prêtre fidei donum.

L'immensité du territoire du Kazakhstan pose des défis majeurs en termes d'évangélisation. À la lumière de la Constitution apostolique Praedicate evangelium, qui souligne l'aspect missionnaire de l'Église dans tous les contextes, comment vivez-vous ce stimulus supplémentaire dans un pays où vous travaillez depuis très longtemps?

C'est ce qui m'inquiète le plus. Comme chacun le sait, le régime soviétique a connu soixante-dix ans au cours desquels toute forme d'expression religieuse était interdite et les croyants des différentes religions, pas seulement les catholiques, étaient comme contraints de vivre l'expérience de la foi de manière clandestine. Et nous avons de grands témoignages de cette période. Par exemple, il y a six ans, en septembre, un prêtre qui était un ami du Pape Wojtyla a été béatifié, entre autres, père Władysław Bukowiński, qui a fait 13 ans et demi au Goulag et ensuite, quand il a été libéré, à Karaganda, il était très actif là-bas parce qu'ils ne pouvaient pas partir. Des survivants du Goulag y vivaient, dont de nombreux catholiques. Il y avait aussi une femme, Gertrude Detzel: elle aussi a passé 13 ans dans les camps et quand elle a été libérée, elle a organisé clandestinement de nombreuses communautés catholiques ici même à Karaganda.

En août dernier, nous avons ouvert le procès diocésain pour sa béatification. Puis, en 1991, l'indépendance est arrivée et tout le monde a pu enfin sortir de la clandestinité. De nombreux prêtres sont également venus ici, invités, notamment d'Allemagne et de Pologne, pour organiser les structures ecclésiastiques, construire des églises, organiser la vie paroissiale. Je vois ici, d'une part, le courage des premiers missionnaires et, d'autre part, une limitation, à savoir qu'ils ne s'adressaient, disons, qu'aux catholiques de leur nationalité. En outre, il est arrivé qu'après l'indépendance, de nombreux catholiques, notamment des Allemands et des Polonais, retournent dans leur pays d'origine. Ainsi, ces communautés, qui étaient très vivantes et très nombreuses après 1991, ont diminué au fil du temps.

À la lumière de cette histoire, ma plus grande préoccupation est de nous demander si tous les sacrifices qui ont été demandés aux générations de croyants qui nous ont précédés en valaient la peine ou non. Sommes-nous destinés à disparaître? Ou le Seigneur nous demande-t-il quelque chose?

Quelle est votre réponse à cela?

Ce que je semble entrevoir, c'est que nous devons nous réjouir du fait que dans une terre autrefois athée, nous avons pu et pouvons vivre la foi, une foi qui rend notre vie belle, attrayante, joyeuse, et comment nous pouvons alors être ouverts -comme l'a répété le Pape Benoît, repris par le Pape François- être attrayants pour tous, y compris les Kazakhs, qui représentent 78% de la population et qui sont de tradition musulmane.

Les deux voies que j'ai essayé de proposer aux prêtres, aux sœurs et aux laïcs du diocèse au cours de mes sept années et demie de service sont la beauté et la charité. Un exemple que je donne est que dans la cathédrale de Karaganda se trouve le seul grand et bel orgue, un cadeau de l'Autriche, (deux autres se trouvent dans les académies de musique d'Almaty et d'Astana). Nous organisons généralement des concerts de musique sacrée pour orgue d'avril à octobre, environ deux fois par mois. La cathédrale est bondée, avec des gens debout.

Cela signifie que le cœur de chaque homme, au-delà de sa nationalité, au-delà de son appartenance religieuse, a une énorme soif de beauté. Une beauté qui vous conduit vers le mystère, vers Dieu. L'autre exemple est que le week-end, tous les jeunes couples -musulmans, orthodoxes, protestants- viennent se faire prendre en photo avec en toile de fond la cathédrale, qui a été construite dans un style gothique moderne, très beau et impressionnant. Parfois, ils ne savent même pas d'où ils viennent. Je les rencontre pour leur souhaiter bonne chance et leur demander: mais pourquoi êtes-vous venus ici? Et ils sont étonnés: où peut-on trouver un si beau château dans nos villes? Et cela devient donc une raison d'entamer un dialogue avec eux aussi.

Ensuite, il y a la charité. En dehors de l'enceinte de nos églises paroissiales, nous ne pouvons rien faire en tant qu'Église. Cela vaut également pour les autres religions de la ville. Lorsque nous organisons des réunions de prêtres ou de religieuses, nous ne pouvons pas, comme cela était possible dans les années 1990, louer des espaces (sanatoriums, maisons de repos...) qui étaient encore utilisés à l'époque soviétique. Nous devons nous organiser au sein de nos structures, car la liberté de religion n'est pas encore tout à fait au point. Mais quand un homme vient avec un besoin urgent, je suis certain qu'à travers ce morceau de pain ou ce médicament que nous parvenons à leur donner, c'est l'amour du Christ pour eux qui passe.

Pouvez-vous nous raconter un souvenir personnel de ce qui vous a le plus frappé lorsque vous avez commencé votre mission sur cette terre? Et qu'avez-vous pu apprécier le plus au fil du temps de ce peuple, carrefour d'autres peuples et cultures?

Quand je suis arrivé ici, j'ai trouvé une grande destruction, fruit de l'agonie de l'Union soviétique. Vous vous leviez le matin et ne saviez pas s'il y avait de l'eau froide ou de l'eau chaude ou même s'il y avait de l'eau. Je me souviens d'une semaine, 40 degrés en dessous de zéro dans les rues, pas de chauffage. La ville n'était pas éclairée la nuit, l'électricité était là et elle ne l'était pas... Ce qui m'a le plus choqué, c'est la destruction de la responsabilité de la personne humaine. L'homme soviétique, dans ses dernières années, n'était plus responsable de rien. C'était chez les adultes, mais chez les jeunes, c'est le contraire. Et c'est la chose la plus belle que j'ai rencontrée. J'ai eu l'occasion d'enseigner la langue et la culture italiennes à l'université d'État de Karaganda pendant six ans. Je me souviens du désir, de la soif qu'avaient les jeunes de donner un sens à leur vie. Non pas avec des livres, mais avec des chansons populaires italiennes, avec la cuisine italienne, en préparant des spaghettis, des pizzas, du tiramisù, ils ont senti qu'il y avait quelque chose qu'ils n'avaient pas trouvé jusque-là et ils ont commencé à venir.

On se réunissait, on étudiait, on chantait, on louait une salle où j'allais tous les vendredis. Et à partir de là, un flot de questions a surgi. C'est à mon avis le plus grand miracle que j'ai vu, et c'est que leur vie a changé. Ils ne savaient pas pourquoi, le fait est que leur vie est devenue belle. Je me souviens d'un jeune homme du Kazakhstan qui, après dix ans, a dit: "C'est Jésus, c'est Jésus qui a changé ma vie, je demande le baptême!". Et avec lui beaucoup d'autres. J'ajoute que le peuple kazakh est un peuple d'une très, très grande humanité, d'une très grande capacité d'accueil, notamment des personnes âgées. C'est impressionnant. Le mot "Kazakh" signifie en argot "vagabond", "celui qui se déplace dans la steppe", "nomade". Il est probable que dans les conditions de vie de leurs ancêtres, ils ont hérité de ces valeurs humaines qui sont restées en quelque sorte.

Quel souvenir gardez-vous de la visite de Jean-Paul II dans le pays il y a 21 ans? Et comment le Kazakhstan a-t-il changé en termes ecclésiaux, œcuméniques, sociaux?

Cette visite, à laquelle personne ne s'attendait d'ailleurs ces derniers jours, était impressionnante. Il y avait eu l'épisode tragique de l'attaque terroriste du 11 septembre... Tout le monde a apprécié, du président aux personnes les plus simples, la décision et le courage du Pape de venir, malgré cette situation de peur mondiale. Il faut ajouter une chose: personne ne savait qui était le Pape de Rome, le chef des catholiques du monde entier. À cette époque, le téléphone et l'internet commençaient tout juste à apparaître. Après tout, en Europe, nous ne savions même pas où se trouvait le Kazakhstan. Mais la curiosité et le désir de comprendre ont mobilisé tant de personnes. Et il devait y avoir environ 40 000 personnes à la messe. Beaucoup de choses ont changé ces dernières années.

Comment réagissez-vous à l'absence annoncée du patriarche Kirill au Congrès des chefs des religions mondiales et traditionnelles?

Avec beaucoup de peine et de douleur, car en marge de ce Congrès des religions, s'ils avaient été tous deux présents, le Pape François et le Patriarche Kirill se seraient inévitablement rencontrés. Et après la réunion qu'ils ont eue en ligne [à Cuba, ndlr], cela aurait vraiment pu être une occasion très, très efficace et incisive de porter un jugement sur ce qui se passe, d'un point de vue apolitique mais vraiment religieux. Je pense aussi aux musulmans, de ce point de vue: si Dieu est un, nous sommes tous ses fils et ses filles et donc frères et sœurs parmi nous. Et donc, comme le Pape le crie, la guerre est la chose la plus horrible, la plus inconcevable qui soit. D'autant plus lorsque cela se produit entre des peuples chrétiens.

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10 septembre 2022, 12:43