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Vue sur les îles du Frioul depuis la basilique Notre-Dame de la Garde de Marseille, lors de la venue du cardinal Parolin. Vue sur les îles du Frioul depuis la basilique Notre-Dame de la Garde de Marseille, lors de la venue du cardinal Parolin.   Les dossiers de Radio Vatican

L’Église de Marseille, pionnière en pastorale de la Méditerranée

Le diocèse de la plus antique cité de France a mis en place depuis un an un service pour les relations méditerranéennes. Premier de ce type sur les bords de la mer Méditerranée, il entend encourager à une conscience des enjeux de paix, dialogue et fraternité dans cette région, berceau abrahamique. Rencontre avec le père Alexis Leproux, vicaire épiscopal chargé des relations méditerranéennes du diocèse de Marseille.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Marseille, France

Forte de trente ans de savoirs académiques acquis à travers l’Institut de science et théologie des religions, intégré à l’Institut catholique de la Méditerranée il y a vingt ans, l’Église marseillaise a créé un pendant pastoral à ce patrimoine de recherche. Une petite équipe de jeunes réfléchit chaque mois aux enjeux politiques, sociaux et spirituels qui traversent la Mare Nostrum, de Gibraltar à Odessa en passant par Alexandrie et Palerme. Un modèle qui pourrait se dupliquer dans les diocèses de Méditerranée, selon le sillon tracé par le Pape François depuis son premier voyage à Lampedusa en 2013. 

Père Alexis Leproux, vicaire épiscopal chargé des relations méditerranéennes à Marseille

Quel bilan faites-vous de la première année d’existence du service diocésain pour les relations méditerranéennes?

C’est d’abord une grande joie que le cardinal Aveline ait eu l’intuition de l’ouvrir, une grande gratitude à son égard de me l’avoir confié. L’équipe est composée d’une douzaine de Marseillais, essentiellement de jeunes professionnels, qui échangent une fois par mois sur une thématique méditerranéenne: la question algérienne, libanaise, celle du dialogue interreligieux ou des migrants. Le but est de renforcer une conscience méditerranéenne démontrant que ces problématiques ne sont pas seulement locales, mais qu’elles concernent au contraire l’ensemble de la Méditerranée. Nous ne pourrons les aborder avec sagesse et efficacité que par l’unité des villes méditerranéennes.

Quelle est la genèse de cette pastorale de la Méditerranée? Un tel service diocésain est-il inédit?

Cette pastorale tient aux trente ans d’expérience du cardinal Aveline. Il a créé l’ISTR, un Institut de science et théologie des religions, intégré à l’Institut catholique de la Méditerranée il y a vingt ans. Il a parcouru la Méditerranée pendant trente ans, et souhaitait comme archevêque de Marseille, que ce travail soit encouragé en revêtant une dimension pastorale. Le but étant de le transmettre aux communautés chrétiennes de la ville, variées en termes de christianismes orientaux, -melkite, maronite-, ainsi que dans un esprit interreligieux.

Ayant participé à la rencontre de Florence en février 2022, je crois que ce service diocésain correspond à une intuition assez originale et unique. Je travaille en ce moment à essayer de susciter chez des confrères de Mgr Aveline ce même souhait de créer des services pour avoir des interlocuteurs au Liban, en Algérie, au Maroc, en Égypte.

 

Quelle est la nature de vos échanges au sujet de cette pastorale avec les Églises locales des quatre rives?

Ce service doit être constitué par des rencontres amicales et fraternelles. Nous construisons les relations avant les idées. Ensuite, les éléments communs surgissent de cette communion ecclésiale et de cette synodalité méditerranéenne. Cette communion peut être en sommeil dans la Méditerranée à cause de notre vision du monde segmentée en continents: Europe occidentale, Afrique du Nord, Balkans, Turquie-Ukraine, Moyen-Orient. Ce sont des espaces religieux et culturels plutôt séparés les uns des autres, qui supposent, pour les Églises, d’entrer dans un dialogue concret, afin que la synodalité ne demeure pas à l’état d’idée ou de désir. De premières étapes m’ont emmené au Maroc, en Sicile, à Florence, au Liban, en Bosnie. L’Algérie et la Tunisie vont suivre, et l’été prochain, l’Égypte et Israël-Palestine. La région la plus difficile ou distante aujourd’hui est en zone gréco-turque et ukrainienne; les conflits y sont complexes et l’orthodoxie étant très impliquée, l’Église catholique y est moins présente qu’au Liban ou au Maghreb.

Qu’apportent trente ans d’expérience académique, via l’ISTR et l’Institut catholique de la Méditerranée, à la pastorale et à la théologie pour la Méditerranée telle qu’elle est vécue aujourd’hui à Marseille?

D’abord un immense patrimoine de recherche -il y a trente ou quarante numéros de la revue «Chemins de dialogue». Chacun d’entre eux est rempli de pages passionnantes du cardinal Etchegaray, du cardinal Aveline, de Christian Salenson, d’un grand nombre de chercheurs et d’intellectuels, qui, ayant travaillé sur ces questions théologiquement, offrent une base sur laquelle se déployer pastoralement. À savoir, comprendre comment l’Église n’est pas présente au monde par une sociologie visible de chiffres, mais par une qualité relationnelle de présence. Comme ce fut le cas par exemple pour les moines de Tibhirine, pour Mgr Claverie, et un certain nombre d’acteurs, qui à la manière de Charles de Foucauld, bien qu’ils soient peu nombreux, ont eu une puissante présence de dialogue et de paix. Soit des expériences ecclésiales très fortes, peu familières aux Églises occidentales, qui regardent souvent leurs pertes de chiffres, et sont parfois moins sensibles à la pertinence de leur présence.

“L'enjeu est de comprendre comment l’Église n’est pas présente au monde par une sociologie visible de chiffres, mais par une qualité relationnelle de présence”

Que change le cardinalat de Mgr Aveline pour cet élan méditerranéen?

En choisissant Mgr Aveline, le Pape a souhaité, je crois, mettre en lumière qu’une ville comme Marseille, qui a pu être oubliée, où la pauvreté est importante, hors des réseaux des grandes capitales européennes, peut être un message pour la Méditerranée et pour le monde. Recueillant le patrimoine théologique, spirituel et humain de Marseille, ce message permet d’entendre que ce que dit le Pape dans Fratelli tutti n’est pas un rêve, mais engendre déjà de petits laboratoires. Je crois à cette humble vocation.

“Fratelli tutti n’est pas un rêve, mais a déjà engendré de petits laboratoires”

Qu’y aurait-il de prophétique dans l’espace méditerranéen? Quelle espérance reflète cette mer?

Ce grand couloir de l’humanité qu’est la Méditerranée ne cesse d’être traversé de crises et tensions, comme tous les carrefours qui sont toujours aussi des lieux d’enrichissement mutuel. Il y a deux niveaux dans la lecture de l’histoire: celui des conflits, et celui, moins visible, du travail de fond des acteurs de paix. Or, il faut constamment construire la paix, même en secret, même lorsque les guerres sont à nos portes. La première espérance de la Méditerranée est qu’elle est le berceau de la naissance du Christ, de la foi juive et musulmane. Ces grands monothéismes délivrent un message sur ce que signifie appartenir à la famille d’Abraham. En creusant cette unité familiale abrahamique, l’on peut s’approcher de l’unité de la famille humaine. Le grand Florentin, Giorgio La Pira, regardait le bassin méditerranéen comme la tente d’Abraham, où cette descendance sainte et plurielle était appelée à construire l’unité d’une famille. Sur les rives de la Méditerranée brille la mémoire profonde de la rencontre entre l’homme et Dieu.

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30 septembre 2022, 18:00