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Le château Frontenac, surplombant le fleuve Saint-Laurent, depuis la Citadelle de Québéc, le 27 juillet 2022. Le château Frontenac, surplombant le fleuve Saint-Laurent, depuis la Citadelle de Québéc, le 27 juillet 2022.   Les dossiers de Radio Vatican

Riche d'un passé fécond, l'Église de Québec dans une période de purification

Berceau de la foi en Amérique du Nord, Québec porte en son cœur l’histoire d’une longue tradition catholique, dès sa découverte par le navigateur Jacques Cartier, mandaté par François Ier à l’été 1534. Alors que le Successeur de Pierre visite cette province canadienne en cette fin juillet, quel est le visage contemporain de l’Église québécoise, après quatre siècles de prédominance discontinue et cinquante ans de sécularisation accélérée? L’éclairage du père Gilles Routhier, théologien québécois.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

Prémice d’une évangélisation riche et fructueuse, un prêtre français accompagnant l’expédition de l’exploration Cartier célèbre une première messe sur les rives de la péninsule gaspésienne, dans ce qui devient la Nouvelle-France. La colonisation débute ensuite avec la fondation de la ville de Québec en 1608 et de Ville Marie, aujourd'hui Montréal, en 1642. La Nouvelle-France aura vécu 229 ans avec le statut de Vice-Royauté de France, correspondant à une période de fastes dans l’épanouissement de la foi avec un essaim de congrégations religieuses. Un élan coupé par l’intermède britannique et anglican sous Georges III, avant que Québec ne retrouve sa ferveur catholique et romaine dès 1841, lorsque l’Acte d’Union octroie une reconnaissance légale complète à l'Église au Canada.

L’Église québécoise contemporaine contraste donc avec sa vitalité passée, un demi-siècle de sécularisation ayant creusé son sillon, mais selon le père Gilles Routhier, théologien et professeur à l’Université de Laval, il ne s’agit rien de moins qu’un retour «à une Église plus pauvre, une Église des marges» correspondant à sa vocation initiale, celle annoncée par le Christ montant à Jérusalem.

Entretien avec père Gilles Routhier, théologien québécois

Dans quelle mesure l’Église catholique occupe-t-elle un rôle central dans l’histoire du Québec?

Elle a effectivement tenu ce rôle à différentes époques mais pas de manière continue. En particulier après la Conquête lorsque toutes les élites militaires, les gouverneurs, détenaient des sauf-conduits pour rentrer France. Il y a d'abord eu un régime militaire, suivi du régime britannique après le Traité de Paris (1763). Ainsi, comme élites canadiennes françaises ne restaient plus que des hommes et femmes d’Église réellement désireux de demeurer au Québec. Les dirigeants de la société étaient alors des ecclésiastiques. La situation a changé ensuite. Après 1840 et le pacte confédératif, la responsabilité des soins de santé, des services sociaux, de l’éducation, revenait aux provinces. Or, pour toutes sortes de raisons, il y a une absence d’État, et l’Église occupe donc un rôle de suppléance important durant un peu plus d’un siècle. Jusqu’aux années 1960, l’Église québécoise était littéralement «au four et au moulin», responsable de ce qui normalement relève de l’État. Puis, l’État québécois a souhaité récupérer ces prérogatives, si bien que la suppléance de l’Église a cessé.

“L’Église supplée l'État québécois durant un peu plus d’un siècle jusqu’aux années 1960”

Le catholicisme demeure-t-il aujourd'hui lié à l’identité québécoise? L’héritage d’un certain catholicisme français des origines est-il encore présent?

Le catholicisme est toujours lié à l’identité québécoise, mais la défense de cette identité a été prise en charge à partir des années 1960 par l’État québécois. Avant, planait une confusion entre être catholique et francophone, soit la langue défend la foi, et réciproquement. Cette période est terminée. Des personnes étaient attachées à l’Église seulement pour des questions d’identité -et elles sont importantes-, mais la foi ne s’y résume pas. Il y a véritablement une option de foi à faire. Nous sommes sortis de la confusion entre les identités croyantes et l’identité canadienne française.

“La confusion entre l'identité religieuse catholique et l'identité linguistique francophone est une période révolue”

Comment qualifier la foi des Québécois d’aujourd’hui?

C’est une foi éprouvée. Nous entrons dans une période de purification de l’Église. Une purification décapante, éprouvante, loin d’être finie. En conséquence, nous allons certainement vers une Église beaucoup plus pauvre, une Église discréditée, une Église des marges. Est-ce une situation dramatique? Elle fera assurément souffrir, mais je pense que c’est la condition de l’Église même. De mon point de vue, ce qui fut le plus ardu dans la montée du Christ à Jérusalem est de faire comprendre aux apôtres qu’il allait souffrir et mourir. Ils ne l’ont compris qu’après la Résurrection, ils ont mis un temps infini. Même sur le chemin d’Emmaüs, le Christ le leur reprochera: «Vous n’avez donc pas compris que le Messie allait mourir?» C’est la même chose pour l’Église. Nous comprenons difficilement ce qui est en train d’arriver.

“Nous allons certainement vers une Église beaucoup plus pauvre, une Église discréditée, une Église des marges”

Comment les catholiques québécois s’insèrent-ils aujourd’hui dans ce Canada progressiste qui verse dans la cancel culture, telle que le Pape la dénonce? Ont-ils un rôle prophétique à jouer?

Je répondrais avec une catégorie de Vatican II: l’Église est le sacrement du salut, c’est-à-dire qu’elle est un signe dans cette société. Comme disait Christian de Chergé, l’important n’est pas de faire nombre, mais c’est de faire signe. Parfois, nous confondons les deux, en pensant que nous devons faire nombre. Espérons que l’on comprenne que nous devons faire signe. Je ne sais pas si le Canada est une société progressiste, cela peut se discuter, mais dans cette société, l’Église a clairement une contribution à faire, de la même manière que par le passé, mais autrement. Elle a une mission pour ce pays.


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28 juillet 2022, 13:45