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Une fidèle prie en l'église Saint-Sulpice, à Paris le 4 octobre 2021. Une fidèle prie en l'église Saint-Sulpice, à Paris le 4 octobre 2021.  

Abus: la reconnaissance et la réparation des victimes enclenchée en France

Un peu plus de six mois après sa création formelle lors de l’assemblée des évêques français à Lourdes, l’Inirr, l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation, a déjà reçu 735 demandes de personnes ayant été abusées étant mineurs par des membres de l’Église. L’organisme a vocation à accompagner et réparer ces blessures invisibles mais béantes, dans la lettre et l’esprit de la justice restaurative.

Delphine Allaire – Cité du Vatican

À ce jour, 123 victimes sont accompagnées de «référents de situation», au nombre provisoire de 9 dans l’institution. Du premier accueil de ces personnes en situation pour la plupart de psychotrauma à la réparation financière, la démarche est inédite en France, selon les mots de la présidente de l’Inirr, la juriste Marie Derain de Vaucresson. «Nous n’avons pas le droit à l’erreur, il a fallu prendre tout ce temps pour penser l’organisation de l’accompagnement, et achever la structuration de l’instance», explique-t-elle, inflexible sur l’exigence de formation et de compétences à fournir dans de telles situations. Parmi les personnes ayant confié leur situation à l’Inirr, l’on dénombre un peu plus de femmes que dans les travaux de la Ciase (31% de femmes, 69% d’hommes, soit 10% de femmes en plus que dans le rapport Sauvé). Un léger rajeunissement apparaît également, l’âge des personnes oscillant entre 50 et 70 ans. 

La reconnaissance, réparatrice en elle-même

Parmi les premiers enseignements de ce point d’étape dans la vie de l’institution, l’importance de la «reconnaissance»  se détache nettement. «Pour certains, reconnaissance vaut réparation. Si la personne a vécu un moment compliqué avec un diocèse, l’Inirr peut organiser un échange. Cela apaise les relations», relève Marie Derain de Vaucresson. Parfois, cette étape revêt tout son sens dans le symbole. La présidente de l’Inirr raconte ainsi comment la toute première personne à avoir fait appel à l’instance s’est adressée à elle: «Je ne demande rien, si ce n’est d’être comptée». Pour matérialiser cette «reconnaissance réparatrice», l’Inirr incite à construire des temps mémoriels avec les diocèses ou les mouvements concernés par les violences subies ou à des célébration de repentance par l’évêque. 

 

Marie Derain de Vaucresson insiste aussi sur la perméabilité existante entre la reconnaissance et la réparation. Par ailleurs, certaines personnes ayant besoin de plus de temps que d’autres, ou se rendant compte qu’elles ne sont finalement pas prêtes à cette démarche: «Nous prenons le temps», assure-t-elle.

À l’écoute des faits de violence

Pour celles qui seraient prêtes, une adresse mail (contact@inirr.fr) ou postale est à disposition. L’accompagnement se déroule en plusieurs étapes: la création de la demande, l’envoi d’un accusé de réception et la création dans les deux semaines d’un dossier sécurisé aux normes RGPD de protection des données, la désignation d’un «référent», la confirmation  de la vraisemblance, les échanges entre le référent et la personne victime, permettent d’élaborer une synthèse et de faire une proposition, puis viennent l’évaluation de la réparation par un collège de dix experts (psychologues, magistrats, avocats, éducateurs, neuropédiatres) et le rendu de la décision.

Le référent a la charge d’accompagner la personne victime, de centraliser ses informations. «Nous partons du postulat que la personne dit vrai, nous la croyons», souligne Marie Derain de Vaucresson. «Je regrette que la démarche n’aille pas assez vite, l’attente est très compliquée pour les victimes», reconnaît la présidente, évoquant des difficultés à recruter des référents. Au 1er juin, 17% des demandes sont accompagnées par un référent. Il en faudrait 10 à temps plein, quand ils ne sont aujourd’hui que 9 à mi-temps. Le caractère profondément nouveau en France de telles instances, ainsi que son cadre encore inachevé en sont les principales causes, avance-t-elle. L’horizon devrait bientôt s’éclaircir pour l’instance aux 4 salariés. Un important volet de formation de ces référents va être lancé en juin.  

Les critères de la réparation financière 

À l’issue de la période d’accompagnement, variant de trois à six mois selon les besoins, le référent en question rédige une synthèse exposant les faits, les manquements et les conséquences de façon anonyme, qu’il soumet au collège qui évalue alors la gravité par une cotation. Les critères sont les suivants : les faits de violence ; les manquements de l’Église dans la prévention ou le traitement de ces faits -absence de réponse ou de réactivité, déni-; l’atteinte à la santé au sens de l’OMS comme bien-être global physique, mental et social. La réparation financière ne comprend pas de plancher et est plafonnée à 60 000 euros.

Après 25 ans de carrière dédiée aux personnes victimes, Marie Derain de Vaucresson imagine un avenir dense pour l’Inirr, au regard des chiffres de la Ciase. Fin 2022, au moment du rapport annuel, 1 500 personnes pourraient s’être manifestées, affirme-t-elle, réitérant la nécessité «d’un début et d’une fin» à cette instance. À l’issue de son mandat de trois ans, renouvelable une fois, elle préconise sa pérennisation sous une forme différente. L’ancienne Défenseure des enfants évoque un accompagnement plus durable, par exemple par des soignants formés au psychotrauma. «Notre travail est important, mais forcément insuffisant au regard des drames vécus», concède-t-elle.

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01 juin 2022, 12:00