Recherche

Les bienheureux Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi, couple d'Italiens choisis comme patrons de la 10e Rencontre mondiale des familles (Rome, du 22 au 25 juin 2022) Les bienheureux Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi, couple d'Italiens choisis comme patrons de la 10e Rencontre mondiale des familles (Rome, du 22 au 25 juin 2022)  Les dossiers de Radio Vatican

Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi: tisser en Dieu la trame de la sainteté

Le premier couple de bienheureux de l’histoire de l’Église – béatifié en 2001 par saint Jean-Paul II – a été choisi pour parrainer la dixième Rencontre mondiale des familles, qui s’ouvre à Rome ce 22 juin. Mais qui sont les époux Beltrame Quattrocchi, ayant vécu à Rome au début du 20e siècle ? Éclairage du père Antoine de Roeck, qui leur a consacré sa thèse et un récent ouvrage.

Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

La 10e Rencontre mondiale des familles s’ouvre ce mercredi à Rome, avec un festival en salle Paul VI auquel duquel interviendra le Pape François. Au total, quatre jours de conférences, témoignages et prières avec environ 2000 délégués venus de 120 pays se dérouleront jusqu’en fin de semaine. Une messe de clôture sera célébrée samedi soir sur la Place Saint-Pierre par le Souverain Pontife. Le thème choisi pour cette rencontre est «L’amour familial : vocation et chemin de sainteté», avec un couple donné en exemple : les bienheureux Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi, parrains de l’évènement. Ces Italiens qui ont vécu au début du 20e siècle sont le premier couple béatifié de l’histoire de l’Église : c’était le 21 octobre 2011, par saint Jean-Paul II. Trois de leurs quatre enfants étaient présents - Tarcisio, Paolo et Enrichetta.

Durant cette Rencontre mondiale des familles, un reliquaire des bienheureux époux sera exposé dans la Basilique Saint-Pierre, et déplacé sur la Place pour la messe de clôture.  


À l’écoute de leur temps

Mariés le 25 novembre 1905 en la basilique Sainte-Marie-Majeure, Maria (1884-1965) et Luigi (1880-1951) partagent près d’un demi-siècle de vie commune. Parmi leurs enfants, trois sont rentrés dans les ordres.

Leur vie conjugale s’enracine dans la foi, et se caractérise aussi par un important engagement social et apostolique – volontaires de l’Unitalsi, lancement de la pastorale familiale dans le diocèse de Rome, accompagnement de l’implantation du scoutisme. Luigi, romain et avocat de formation, témoigne discrètement de sa foi au travail, et exerce sa profession avec rectitude, dévouement, et amour de la patrie. En 1946, il est nommé vice-avocat général de l'État italien.

Maria, originaire de Florence, se dédie quant à elle plus spécialement à l’apostolat de la plume. Elle publie plusieurs livres et opuscules qui rassemblent idées, conseils et réflexions sur l’éducation et la vie matrimoniale, face aux défis qui touchent les familles de son époque – notamment la hausse déjà forte du nombre de divorces.


Un entrelacement jusque dans l’éternité

En 1953, reparcourant sa vie avec Luigi, mort deux ans auparavant, Maria rédige L’ordito e la trama («La chaîne et la trame»), republié plus tard sous le titre Radiografia di un matrimonio («Radiographie d’un mariage»). Dans ce texte court et vibrant, aux accents mystiques, elle décrit leur parcours matrimonial et rend hommage à son époux.

«Vie terrestre - faite d'angoisses et de soins - de craintes et de recommandations - de tendresses réciproques, qui ne sont pas du sentimentalisme ou du romantisme, mais un monde clos qui, des profondeurs abyssales et des extensions sans limites, tout en restant entre les deux, sait faire rayonner l'amour et la lumière à l'extérieur. Fil par fil; la trame en fonction de la chaîne ; la chaîne raison d'être de la trame - et comme l'un sans l'autre ne peut former le tissu, l'autre à partir du premier obtient la force et le soutien. C'est ainsi qu'est le Mariage : ce n'est que de cette manière qu'il est possible d'obtenir un résultat valable qui soit à la fois un prix en lui-même et le fruit du bien. Fil par fil, tissés en Dieu l'un avec l'autre sans interruption - jamais - jusqu'à l'éternité», écrit Maria.

Un chemin orienté par l'Eucharistie

Le couple de bienheureux repose désormais au sanctuaire de la Madonna del Divino Amore, au sud de Rome. Les Beltrame Quattrocchi sont bien connus dans la péninsule italienne, moins dans la sphère francophone, mais un prêtre français leur a récemment consacré un livre – Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi - Itinéraire spirituel d'un couple, publié chez Artège. Le père Antoine de Roeck, du diocèse de Vannes, vicaire à Lorient et membre d’un oratoire de Saint Philippe Néri en formation. Il nous explique d’abord ce qui a permis aux époux Beltrame Quattrocchi d’avancer ensemble vers la sainteté :

Écouter l'entretien avec le père Antoine de Roeck

La première chose c’est la grâce du mariage qui fait avancer sur le chemin de la sainteté. Une grâce qui a été actualisée notamment par des dispositions qui leur ont été bien utiles : la prière conjugale et la messe quotidienne, qui a été envisagée ensemble dix ans après leur mariage.

Le deuxième point que je mentionnerais sont les amitiés spirituelles. Ils ont su se laisser accompagner par des personnes qui leur ont permis d’approfondir leur foi et de tisser des amitiés profondes, et profondes en Dieu.

Et le troisième volet est l’apostolat extérieur, qui s’est déroulé au fur et à mesure de leur vie matrimoniale, de leur vie familiale, et qui leur a permis de développer, dans ce que Marie appelle «une eurythmie consciente», c’est-à-dire une vraie syntonie de cœur des œuvres qui les ont rapprochés. Tout cela s’est affiné pour marcher ensemble sans renoncer absolument, ni l’un ni l’autre, à leur personnalité.

Dans ce cheminement vers la sainteté, quels moments de crise ont-ils connu ?

Le premier a eu lieu durant la période de fiançailles : Luigi avait beaucoup de mal avec sa future belle-mère, ce qui n’était pas forcément une offense, mais ce qui pouvait être une gêne pour eux. Ensuite, au fur et à mesure de la vie conjugale, il y a eu des étapes un peu difficiles. Pour leur quatrième enfant, Enrichetta, il y a eu assez rapidement des hémorragies chez Maria. On est en 1913, mais le gynécologue ne recommande qu’une chose : l’interruption médicale de grossesse. Luigi et Maria regardent tous les deux le crucifix en même temps, dans le cabinet du gynécologue, et refusent en disant «non». Pour Luigi, c’est une grande épreuve, parce que Maria s’abandonne, elle essaie de retenir et se repose évidemment énormément. Luigi, tous les matins, passe à l’église à côté de chez lui pour conduire ses enfants à l’école, ils font une petite visite au Saint-Sacrement, il laisse ses enfants à la table sainte, et il va dans le confessionnal parce que c’est le seul endroit où il peut pleurer, en se disant «je risque de perdre mon épouse et ce quatrième enfant». Grande épreuve là aussi, qui a renforcé malgré tout leur couple.

On peut pointer aussi des difficultés professionnelles de Luigi, parce que c’est un homme au caractère très entier mais surtout incorruptible. Il n’a pas voulu transiger sur la morale, ce qui dans l’ensemble lui a joué des tours d’un point de vue professionnel.

Maria a traversé elle aussi une crise, une sorte de dépression, un passage à vide qui a duré quand même un certain temps, et qui a été une grande épreuve pour les deux. À ce moment-là, ils avaient encore de jeunes enfants, la petite dernière avait deux ans. Maria rédige son testament en pensant qu’elle ne passera pas ce cap.

Maria a beaucoup écrit sur l’éducation et la famille. À quels défis voulait-elle répondre ?

Sa première préoccupation était son propre rôle de mère de famille, qu’elle a voulu approfondir. Puis très rapidement, elle a pointé le manque d’investissement des parents. Elle pointe plusieurs difficultés qui reviendront au cours de ses écrits, tout au long de sa vie. La première chose, c’est que la mère de famille se décharge trop facilement sur ce qu’elle appelle des «mercenaires», c’est-à-dire des personnes extérieures qui devraient se charger de l’éducation. Elle dit en avance ce que va redire le Concile Vatican II et ce que dit l’Église de manière classique, c’est-à-dire que ce sont les parents qui sont les premiers éducateurs de leurs enfants.

Le deuxième aspect qu’elle pointe c’est la question de l’éducation sexuelle à l’école. On est en 1912, et pourtant, il y a déjà une forme d’agression dans une banalisation de la sexualité, une sorte de chosification. On lui enlève toute sa valeur humaine et sa grandeur. Maria essaie de combattre cela, ainsi que les atteintes à la pudeur qui peuvent blesser l’innocence et l’âme des enfants.

Elle voulait aussi éveiller face à la tiédeur des âmes chez les adolescents. Elle s’est un peu plus occupée des jeunes filles dans ses écrits, pour essayer de les éveiller à une grandeur d’âme par une vie morale heureuse et fondée sur la vie spirituelle.

Le dernier point que je mentionnerais, c’est qu’elle avait avec Luigi un sens de l’Église très fin. Elle a perçu tout à fait les défis auxquels l’Église devait répondre, et il est assez étonnant de voir que ce qu’elle écrit est confirmé dans la Magistère dans les années qui suivent, il y a une vraie affinité avec l’Église.

De quelle manière l’amour conjugal et leur chemin de sainteté a-t-il été fécond, au sein de leur famille et au-delà ?

Au sein de leur famille, évidemment par leurs enfants. Ils ont la particularité d’avoir eu trois enfants qui sont rentrés dans les ordres. La manière avec laquelle ils ont accueilli la vocation – notamment des deux garçons – et dont ils l’ont accompagnée est très édifiante. Enfin, leur dernière fille Enrichetta, est restée auprès de ses parents et a travaillé, elle est restée célibataire. Elle a été déclarée vénérable le 30 août dernier, ce qui traduit assez bien la fécondité qui rejaillit de sa vie, notamment par un apostolat très développé dans les œuvres de charité, la proximité avec les gens, avec les petits.

Un volet que l’on peut développer dans cette fécondité est le scoutisme, qui est vraiment né en Italie, en grande partie en s’appuyant sur Luigi et Maria, et aussi quelques autres. Ils ont vraiment fait venir le scoutisme, ils l’ont analysé et l’ont rendu compatible avec une éducation catholique, sachant que son origine était plutôt anglicane – cela venait d’Angleterre avec Baden Powell, et pouvait donc susciter une certaine crainte de ce point de vue-là.

Je mentionnerais aussi dans leur fécondité les conversions de proches. Ils ont des amis qui n’étaient pas forcément catholiques, ou pas très engagés, et qui se sont convertis. Je pense même à un proche collègue de Luigi qui s’est converti après la mort de Luigi, mais en se faisant accompagner par leur fils aîné.

Que peuvent retenir les couples et les familles d’aujourd’hui de ce témoignage ?

Évidemment le fondement de la vie spirituelle, nécessaire pour édifier une vie morale et construire une vie familiale, avec cette prière conjugale et familiale quotidienne, la consécration du foyer avec l’intronisation du Sacré-Cœur en 1920, qui est un passage très important, la messe quotidienne à partir de 1916. Je mentionnerais aussi la richesse des amitiés spirituelles : le fait d’avoir su s’entourer d’amis qui étaient sûrs du point de vue de la vie spirituelle et morale les a aidés aussi considérablement à avancer tous les deux. Donc il ne faut pas hésiter à aller rechercher ce qu’il y a de meilleur, car une émulation se fait dans la sainteté. Ensuite l’audace évangélique, en toute simplicité : au fur et à mesure de l’éducation de leurs enfants, ils ont déployé des trésors de ce qu’ils avaient cultivé au sein de la famille à l’extérieur de leur propre foyer, et cette audace a porté énormément de fruit. Et enfin cette conviction de la complémentarité des différentes vocations dans l’Église, vécue d’abord chez eux – au sein de leur famille, il y a un peu toutes les vocations – mais aussi dans la richesse de leurs amitiés spirituelles.

Comment voyez-vous le fait que les bienheureux Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi soient les patrons de cette Rencontre mondiale des familles ?

Évidemment comme une excellente nouvelle, car j’ai beaucoup d’affection pour eux depuis le travail que j’ai fait pour eux. D’autre part, je crois qu’ils sont tout à fait actuels et qu’ils peuvent encore répondre aux questionnements et aux défis que les familles ont à relever. Concernant le thème de la Rencontre mondiale des familles – «L’amour familial, vocation et chemin de sainteté» - je crois qu’ils l’illustrent très bien. Si un verset pouvait résumer leur vie,  je mettrai vraiment celui de l’Évangile selon saint Matthieu «Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. Si le sel venait à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ?» (Mt 5, 13), demande Jésus. Or c’est cela : ils ont cultivé au sein même de leur famille les vertus du foyer, et c’est de cette manière-là qu’ils sont devenus très précieux pour l’Église catholique, à tel point qu’ils ont été béatifiés.

Il y a d’autres couples saints dans l’Église catholique, comme les saints Louis et Zélie Martin : quel est le fil rouge qui les relie ?

Chez Luigi et Maria comme chez Louis et Zélie, il y a la vie de piété qui est très forte, et aussi ce cocon familial qui porte beaucoup. Avec Frédéric et Amélie Ozanam, il y aussi toute l’œuvre de charité, qui sera portée d’abord par Frédéric. Mais la raison de la béatification de Frédéric Ozanam n’est peut-être pas d’abord la vie du foyer – elle est venue la compléter - ce sont d’abord ses œuvres. On pourra penser aussi à Charles et Zita d’Autriche.

Il y a un point qui les met tous en commun, c’est la messe quotidienne : ce n’est pas forcément évident pour tous les foyers aujourd’hui. À leurs époques, ils avaient plus facilement la possibilité de trouver une messe avant l’heure du petit déjeuner, et d’avoir aussi parfois la possibilité d’avoir du personnel pour s’occuper des enfants quand il y avait des petits enfants, mais en tous cas la participation ensemble à la messe régulière est, me semble-t-il, une clé incontournable.

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

21 juin 2022, 13:26