Recherche

Le père Khalayim avec le Pape François. Le père Khalayim avec le Pape François.  

Aumônier militaire ukrainien: "l'odeur de la guerre" ne s'explique pas

Dans une interview à Radio Vatican-Vatican News, le prêtre ukrainien, missionnaire de la Miséricorde, parle de l'assistance spirituelle au front. «Si le feu cesse, s'il y a la paix, pas seulement une trêve, alors il sera possible de parler de pardon». «Ce sera un long chemin de trois ou quatre générations», admet-il.

Svitlana Dukhovych et Antonella Palermo - Cité du Vatican

Le père Oleksandr Khalayim est un prêtre ukrainien du diocèse latin de Kamjanets-Podilskyj. Depuis la région de Khmelnytskyi, il faisait partie lundi 25 avril des missionnaires de la Miséricorde, qui ont participé à la rencontre avec le Pape François au Vatican. Ce fut également l'occasion de parler de ce qui se passe dans son pays, de l'urgence du dialogue sur le plan politique et de la proximité sur le plan humain. «Pardon» et «miséricorde» sont les mots clés dans un scénario de guerre; un chemin long, mais nécessaire. Selon les mots du missionnaire, c’est un remerciement renouvelé pour ceux qui, avec tant de solidarité et de sollicitude, tentent de panser les plaies d'un conflit dont la fin n'est pas encore en vue.

 

En tant qu'aumônier et en tant qu'Ukrainien, comment vivez-vous ces plus de deux mois de guerre?

Dans les premiers jours du conflit, il était difficile de croire et d'accepter qu'au XXIe siècle, la guerre existe encore et que cela se passe dans mon pays, avec mon peuple. Je me suis alors immédiatement posé la question: que puis-je faire? J'ai décidé d'être avec les gens [les soldats, les nombreux volontaires civils, ndlr], qui attendent maintenant la Parole de Dieu et l'assistance spirituelle. La fonction de l'aumônier est d'écouter, de célébrer la messe, d'entendre les confessions, de donner du courage et d'être avec ces personnes. Ils savent pourquoi ils se battent: pour leur famille. Ils sont prêts à tout donner pour se défendre. Il est également important d'être proche des personnes âgées, qui survivent aux lourds bombardements, afin que personne ne se sente seul.

Lors de la troisième rencontre avec le Pape, il a été demandé aux missionnaires d'être un signe concret de la miséricorde de Dieu. Qu'est-ce que la miséricorde dans la guerre, qu'est-ce que le pardon?

Avant le pardon, il y a le dialogue. Le pardon doit être accepté. Le pardon est un long voyage. Pour moi, il est difficile de parler de pardon maintenant, si les bombes continuent de tomber, si des enfants sont encore tués, si nos villes sont encore bombardées. Si le feu s'arrête, s'il y a la paix, et pas seulement une trêve, alors nous pourrons parler de pardon, mais ce sera un long chemin de trois ou quatre générations. Pardonner ce que les femmes et les enfants ont subi est vraiment très difficile. Oui, nous, chrétiens, devons parler du pardon, mais nous ne devons pas exploiter ce mot, car le pardon est une responsabilité. Dieu a pardonné non seulement avec des mots, mais avec le cœur. Une longue cure de l'âme est nécessaire.

Pouvez-vous parler de la miséricorde de Dieu avec les militaires?

Oui, je peux. La pitié demande aux soldats de ne pas tuer, si possible. Lorsque vous êtes en première ligne, ce n'est pas facile. Je leur dis de défendre le pays. Cela aussi, c'est la miséricorde: défendre leurs maisons et leurs familles. Il y a tant de miracles que ces garçons ont vus au cours de ces deux mois: ils se demandent, par exemple, comment il est possible qu'ils soient encore en vie au milieu de tant de destruction. Ici, la miséricorde de Dieu est sa présence ici avec sa protection.

Dans l'obscurité de la guerre, de nombreuses histoires de solidarité et d'accueil émergent également et atténuent un peu la douleur de tant de blessures.

De quoi le peuple ukrainien a-t-il besoin aujourd'hui?

Je crois que l'Ukraine n'a jamais eu cette unité et cette solidarité. Je remercie le peuple italien et beaucoup d'autres pour tout ce qu'ils font. Nous avons besoin de solidarité, de proximité, mais nous avons aussi besoin de rechercher la vérité. L'ennemi se cache à travers de nombreux mensonges et de la propagande. La vérité crie, nous ne devons pas avoir peur de dire la vérité, même si cela signifie la perte de la sécurité matérielle. Derrière une vérité non dite, il y a toujours quelqu'un qui donne sa vie. Et si cela arrive, l'on devient co-responsable de la mort de l'innocent. Et puis, il y a la prière. La guerre va toujours à l'encontre des droits de l'homme. Je tiens également à vous remercier pour l'aide aux militaires. Nous défendons notre terre. La liberté n'est pas seulement un mot mais une responsabilité. Et au nom de cela, vous devez être prêt à donner non seulement un peu de votre vie mais parfois toute votre vie.

Vous avez parlé de "l'odeur" de la guerre...

Dès les premiers jours de son pontificat, le Pape a déclaré que les prêtres devaient avoir l'odeur du mouton. Et maintenant, l'Église d'Ukraine a cette odeur. L'odeur de brûlé, l'odeur de la guerre. Ça ne peut pas être expliqué par des mots. Avec un diacre, nous sommes passés près de Donetsk et nous avons senti l'odeur de la guerre. L'odeur de la mort ne peut être expliquée. À Bucha, à Gostomel, vous pouvez sentir la puanteur du feu. À Tchernihiv, il y a une odeur d'abandon, tout est détruit. Les pauvres vieux sont seuls. Une personne n'a pas pu bouger pendant cinq jours, personne n'a pu l'aider. Elle n’avait que l'eau des radiateurs pour boire. Elle a donc survécu. Chaque ville a sa propre odeur de souffrance. Ça ne peut pas être décrit. Ici, l'Église doit s'imprégner de cette odeur et se tenir prête à apporter son aide de différentes manières. La véritable Église est une Église "flexible".

Dans quelle mesure l'espérance est-elle palpable au sein du peuple ukrainien?

Nous ne savons pas combien de temps ce chemin de croix durera pour l'Ukraine. C'est toujours le carême pour nous, même si nous chantons "Christ est ressuscité". Néanmoins, nous continuons à garder l'espérance. Ce que nous faisons, nous ne le faisons pas pour jouer, parce que nous n'avons rien d'autre à faire. Mais parce que c'est notre devoir. Les gens sont épuisés, mais ils ont foi en Dieu et en ceux qui les entourent. Un soldat de Crimée, dont toute la famille est athée, voulait recevoir tous les sacrements avant de partir au combat. Pendant une semaine, il s'est si bien préparé qu'il est rare de voir une telle gratitude. Pour lui, l'approche des sacrements était vraiment un cadeau. J'en suis le témoin. Espérons qu'un jour nous pourrons chanter que nous sommes ressuscités avec Lui.

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

26 avril 2022, 17:00