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Le 7 juillet 2013, le Pape François rencontre des migrants lors de sa visite à Lampedusa. Le 7 juillet 2013, le Pape François rencontre des migrants lors de sa visite à Lampedusa.  

Cardinal Montenegro: Lampedusa, un voyage du Pape qui continue

Le cardinal Francesco Montenegro, archevêque d'Agrigente, a accompagné le Saint-Père lors de sa visite sur l'île sicilienne de Lampedusa, le 8 juillet 2013. Sept années plus tard, il évoque les moments les plus intenses de cette journée et dénonce les injustices dont sont encore victimes les migrants.

Fabio Colagrande - Cité du Vatican

Lampedusa vu comme le point de départ d’un pèlerinage du Pape François qui continue à travers le monde, pour regarder les migrants avec les yeux du cœur, comme tous ceux qui sont rejetés par la «mondialisation de l'indifférence». C'est ainsi que le voyage effectué par le Saint-Père le 8 juillet 2013 est décrit par le cardinal Francesco Montenegro, archevêque d'Agrigente, qui accompagnait le Pape ce jour-là. Le prélat italien se rappelle d’abord les temps forts de cette visite:

Ce voyage nous a étonnés, et ça a été magnifique. À partir de ce moment-là, le Pape François a pris un élan et ne s'est plus jamais arrêté. Les choses qu'il a dites ce jour-là à Lampedusa, il a continué à les dire avec toujours plus de force. Et c’est comme s'il faisait un voyage autour du monde, qui aurait commencé il y a sept ans à partir du port de Lampedusa. Voilà pour moi le sens de cette visite. Dans la portée musicale, il y a une clé qui permet de reconnaître les notes. C'est comme si le Pape, en venant sur notre île en 2013, avait fixé cette portée, et qu'aujourd'hui il restait fidèle à cette partition, à ces notes, en ne cessant de les répéter. C’est vrai, il semble souvent que ses paroles n'ont aucun effet, mais dans l'Évangile, nous lisons que la graine devient lentement un arbre.

Y a-t-il des images de ce 8 juillet qui sont restées gravées dans votre mémoire?

Beaucoup, mais peut-être un moment en particulier. Je n'avais pas encore rencontré le Pape François, je ne le connaissais pas. J'ai donc été impressionné de voir que pendant la visite sur le bateau, il a observé et écouté avec intérêt et émerveillement toutes les personnes qui nous accompagnaient. Puis, à un certain moment, il nous a demandé ce que signifiait le "O'Shah", le salut des insulaires qu'il avait entendu. Et lorsque nous lui avons expliqué que c'était une salutation, il a demandé les papiers de l'homélie pour l’inscrire… et, en effet, pendant son homélie, il a salué avec cette même expression. Alors que nous arrivions à l'endroit où il était censé jeter à la mer la couronne de fleurs en souvenir des migrants morts en Méditerranée, j'ai été frappé par le fait qu'il se soit levé et qu'il se soit éloigné de tout et de tout le monde. Il y avait devant lui, sur la terre ferme, de nombreuses personnes qui criaient et saluaient, il y avait de nombreux bateaux autour du nôtre. Mais il était complètement absorbé. Puis il a jeté la couronne et a repris ses esprits. J'ai également été impressionné par le fait que dès notre arrivée, il ait voulu saluer un à un tous les invités du centre d'accueil de Lampedusa, parler à chacun d'entre eux, même si l’on nous conseillait de nous dépêcher. Les mots qu'il a le plus utilisés ce matin-là, comme la note dominante, les mots qu'il me répétait souvent étaient: “Ah, mais quelle souffrance !” C'est un homme qui est venu en pèlerinage ce jour-là, il a regardé avec le cœur et continue à regarder avec le cœur.

Au cours de ces dernières semaines, les débarquements de migrants à Agrigente et à Lampedusa se poursuivent et à tout cela s'ajoute la crise de la Covid-19. Comment votre diocèse vit-il cette phase difficile?

Nous le vivons bien sûr en essayant de réagir de manière positive, mais il y a toujours eu des débarquements ici, on ne peut pas dire qu'ils aient repris. Ils continuent, non pas en grand nombre, mais seulement avec de petits bateaux. Parce que maintenant, cette route est ouverte et personne ne pourra la fermer. Malheureusement, parce que nous ne voulons pas nous attaquer au problème de l'immigration, et je le dis aussi au niveau européen, nous continuons à le traiter comme si c’était une urgence, mais ce n'est pas une urgence. C'est maintenant un fait naturel, car les gens doivent s’en aller: pour des raisons politiques, pour des problèmes environnementaux, à cause de la faim. Mais il y a une Europe qui a peur de l'Afrique. Elle a probablement peur que les Africains retrouvent leur identité. Leur continent est jeune et il peut mettre notre vieille Europe en crise.

Certains disent qu'aujourd'hui, les habitants d'Agrigente ont besoin de touristes et non de migrants: comment réagissez-vous à ces slogans?

Je suis d'accord pour dire qu'il faut du tourisme, mais nous devons aussi nous équiper pour recevoir les touristes. Mais il n'est pas logique de dire que l’on n'a pas besoin de migrants, car il est bien connu que ces migrants ne s'arrêtent pas à Agrigente. Ils ne veulent pas rester ici. Nous n'avons même pas de travail pour nous, pour nos jeunes, qui partent et vont en Allemagne. Ici, un jeune sur deux est au chômage, donc je ne pense pas qu'un étranger puisse et veuille rester ici. Bien sûr, nous devons nous équiper pour avoir plus de tourisme, mais cela doit être un engagement de ceux qui ont des responsabilités politiques et techniques. Mais l’on ne peut pas rejeter la faute sur les migrants seulement, même si je comprends que cela peut être commode: trouver un responsable est toujours un bon jeu.

Dimanche 5 juillet, l'octave dédiée à votre co-patron, Saint Calogero a débuté à Agrigente, une occasion de rappeler les valeurs de l'hospitalité...

Accueillir l'étranger est une valeur sacrée pour nous, chrétiens: c'est l'Évangile qui nous le demande. Je souligne toujours une contradiction : nous, les Agrigentins, nous nous agenouillons devant Saint Calogero qui est un saint "noir". Nous le gardons près de nous, tandis que les autres "noirs", nous voulons les rejeter. Lui qui est noir, selon la tradition, est venu aider les blancs en proie à la peste, sans poser aucun problème. Si nous étions vraiment dévoués à Saint Calogero, et être dévoué signifie pouvoir imiter, nous devrions être aussi capables d’accueillir. Au milieu de tous ces gens qui viennent, il peut y avoir des délinquants, je ne dis pas non, mais il peut aussi y avoir des saints.

Le Pape François nous a dit que le temps de la pandémie ne peut pas être le temps de l'égoïsme. Vous aussi, vous considérez qu'il s'agit d'un moment de solidarité?

Je dois dire qu'il y a eu un réveil de la solidarité en ces mois de pandémie. Pas nécessairement liée à l'Evangile, mais spontanée, disons même laïque. Ce que j'espère, c'est que nous n'oublierons pas trop vite ce qui s'est passé, mais au contraire, nous saurons comment l'approfondir pour nous aider davantage. Maintenant que la pandémie touche à sa fin, et je n'ai pas besoin de m'en rendre compte seulement par le retour de la vie nocturne, il y a d'autres chemins à prendre. On court le risque d'oublier. En ces jours-là, la peur a pris le dessus, beaucoup de prière ont même été faites seulement par peur. Mais nous devrions plutôt prier pour chercher Dieu, pour le sentir proche de nous. Nous sommes entre les mains de Dieu et nous avons tous besoin de nous convertir. Il est certain qu'après ces derniers mois, quelque chose devra changer, je crois, y compris dans l'Église.

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08 juillet 2020, 14:35