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Les sénateurs doivent se prononcer le 4 février sur le projet de réforme de la loi de bioéthique Les sénateurs doivent se prononcer le 4 février sur le projet de réforme de la loi de bioéthique 

Bioéthique: garantir la dignité de l’enfant pour l’Église de France

En France, le projet de loi de réforme de la loi de bioéthique sera soumis au vote du Sénat le 4 février. Au centre des débats, figure notamment la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules. Mgr d’Ornellas, archevêque de Rennes a écrit au Premier ministre pour lui expliquer l’opposition de l’Église catholique à ce texte.

Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican

Dans une lettre ouverte, Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes et responsable du groupe de bioéthique de la Conférence des évêques de France (CEF), met en garde le Premier ministre français Edouard Philippe contre les conséquences que le projet de loi, tel qu’adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, aurait sur les enfants et sur le pacte social qui régit notre société.

«Comment la loi gardera-t-elle sa mission de protéger l’être humain, en particulier le plus faible, et favorisera-t-elle la société inclusive que vous appelez de vos vœux, si le projet de loi ne barre pas nettement la route à ce qui vous inquiète légitimement : l’eugénisme libéral, fruit d’un individualisme et d’une peur exacerbés par le pouvoir exercé sans discernement du dépistage génétique» écrit ainsi Mgr d’Ornellas.

Cette prise de position est intervenue alors que les sénateurs examinaient en première lecture le texte approuvé par les députés. Ils doivent voter le texte amendé en session plénière le mardi 4 février avant que le projet ne soit transmis de nouveau à l’Assemblée nationale.

Mgr d’Ornellas revient pour nous sur ce qui pose problème dans cette réforme.

Écoutez l'entretien avec Mgr d'Ornellas

 

Dans le débat qui a lieu actuellement en France autour de la réforme de la loi de bioéthique, examinée ces jours-ci au Sénat, la chambre haute du parlement français, l'Église fait entendre sa voix, notamment au travers d'une lettre ouverte que vous avez écrite au Premier ministre, Edouard Philippe. Vous le mettez en garde contre plusieurs écueils : celui de faire le lit de l'eugénisme libéral, et celui de la dissolution du pacte social. 

Au cœur de vos critiques, il y a l'ouverture de la PMA, la procréation médicalement assistée, à des femmes seules et à des couples de femmes. Vous évoquez notamment la perte de l'ascendance paternelle pour les enfants qui naîtraient de cette manière-là. C'est cette perte de filiation masculine qui vous dérange le plus ? 

Premièrement, il ne s’agit pas d’une ouverture puisque le projet de loi tel qu’il est sorti de l’Assemblée nationale supprime le critère de pathologie pour l’infertilité qui est diagnostiqué médicalement, comme s’il n’y avait plus de différences entre des personnes qui ont une pathologie et des personnes qui n’en ont pas. Supprimer cette différence est un point majeur de notre pacte social. Si on la garde, le pacte est maintenu : nous sommes tous unis et solidaires pour prendre soin des personnes malades. Mais le sommes-nous tous pour prendre soin des personnes qui ont des désirs ? Évidemment non.

On voit bien que la question du pacte social est liée à ce mépris pour cette différence fondamentale entre les personnes qui ont un diagnostic médical qui dit l’infertilité et les personnes qui sont en très bonne santé. Ce n’est donc pas une ouverture, c’est un tout nouveau projet de société.

Deuxièmement, le Premier ministre, à qui j’avais déjà écrit et qui m’a déjà répondu au sujet de ces enfants qui naitraient sans ascendance paternelle, m’a répondu qu’il y avait des études qui montraient que ces enfants allaient aussi bien que les autres. Mais la question n’est pas du tout là ! Je n’argumente pas à partir d’études sociologiques, dont certains disent qu’elles ne sont pas crédibles – parfois ces études sont faites comme des plaidoyers pro-domo pour justifier ; on sait très bien qui font ces études. Moi, je m’appuie tout simplement sur un argument éthique : la loi civile a-t-elle le pouvoir de décréter que des enfants n’auront pas de père, pas d’ascendance paternelle ? Moi, je conteste ce pouvoir qui est donné à la loi civile. Au nom de quoi l’aurait-elle ?

Nous avons signé la déclaration universelle des droits de l’Homme à Paris, or il est précisé dans l’article 1 que «tous les hommes naissent libres et égaux en droit». Et bien c’est fini. Nous ne serions plus en harmonie avec cette déclaration parce qu’il y aurait des enfants qui naitraient sans père. Pour moi c’est un droit fondamental d’avoir un père. J’attends que l’on me démontre le contraire. Et c’est une injustice fantastique que la loi s’arroge le pouvoir de décréter qu’un enfant a un père ou n’en a pas.

Au moment du vote de la loi sur le mariage pour tous, ses détracteurs avaient mis en garde contre l'extension à terme de la PMA aux couples de femmes. C’est le cas maintenant. Dorénavant, la crainte des opposants à cet élargissement c'est la GPA, la gestation pour autrui. Est-ce votre cas ?

Les arguments mis en avant pour ouvrir l’accès de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules montrent que tout est mis en place pour que la GPA vienne ensuite.

Premièrement, le Sénat militerait – mais il faut attendre le résultat du vote du 4 février – pour que la seconde femme adopte dans la mesure où les sénateurs ont relevé cette distinction fondamentale entre une femme qui accouche et une autre qui n’accouche pas, ce qui voudrait dire qu’on reconnait que la seule femme qui soit mère est celle qui accouche selon le principe ancestral «la véritable mère est celle qui accouche». Mais si c’est le projet de loi qui a été adopté par l’Assemblée nationale qui est maintenu, les deux mères seront reconnues à égalité comme mères, la femme qui a accouché et celle qui n’a pas accouché. Ce qui veut dire que l’on ne considère plus la valeur de la gestation. Elle n’a plus aucune valeur juridique.

Dans ce cas, on ouvre la porte à la GPA, parce que la femme d’intention qui n’a jamais porté l’enfant va se déclarer mère et elle aura raison : la gestation n’a aucune valeur et ce qu’a fait pendant neuf mois la mère porteuse, du moment qu’elle est bien traitée, bien payée, c’est-à-dire la gestation, n’a aucune validité juridique. C’est cela que cela voudrait dire.

Deuxièmement, la loi met un article principiel à l’article 6-2 du code civil qui précise l’égalité des droits et des devoirs de tous les enfants qui sont nés quel que soit le mode de filiation. On va inventer un nouveau mode de filiation et à ce moment-là, cet enfant aura les mêmes droits et devoirs. Je ne vois pas comment on peut s’opposer à la GPA dans ces cas-là. Tout est fait, du côté de la femme, puisque la gestation n’a plus aucune valeur, et du côté de l’enfant, puisque quel que soit son mode de filiation, il a mêmes droits et devoirs que tout le monde. Je ne vois pas au nom de quoi on pourrait refuser la GPA.

Existe-t-il aussi le risque de la marchandisation du corps de la femme ?

Le problème de la GPA, c’est que tout se fait par contrat. Il n’y a donc pas que la marchandisation du corps de la femme mais aussi celle de l’enfant. La procréation rentre dans le cadre d’une affaire commerciale où on fait un contrat sur des biens et on entre dans la marchandisation de la procréation. La procréation est d’une certaine manière l’acte le plus gratuit qu’on puisse faire, puisque l’être humain qui est conçu grâce à la rencontre des gamètes masculins et féminins, va produire un noyau qui aura une génétique qui n’a jamais existé, si bien que ce visage qui va naître, c’est absolument unique. C’est vraiment le lieu de la gratuité par excellence. Cette gratuité dans la mise au monde, dans la mise en vie d’un nouvel être humain, c’est vraiment l’essence même de l’anthropologie de l’être humain.

Et voici que cette gratuité est totalement frelatée par une marchandisation. C’est sûr que la marchandisation de la procréation qui la fait entrer dans la loi du marché, c’est vraiment une aberration vis-à-vis de la condition humaine. C’est une tentation parce que la loi du marché est juteuse et rapporte beaucoup d’argent à certaines entreprises. Sur mon ordinateur, une demi-heure après le vote de l’article 1 à l’Assemblée nationale, j’avais une publicité pour acheter du sperme qui présentait comme par hasard deux hommes qui étaient des apollons extraordinaires. Derrière cet achat du sperme, se glisse évidemment le mythe de l’eugénisme.

Est-ce l'eugénisme libéral que vous avez mentionné dans votre lettre ouverte qui est à l'origine de cette évolution de la société? 

Je sais que le Premier ministre est effarouché devant cela. Ça l’angoisse même. Et il sait bien que c’est le poison mais comment va-t-il faire pour barrer la route, comme je le lui demande par écrit, à l’eugénisme ?

Vous savez, je suis l’évêque qui accompagne l’Arche international, et je rencontre dans les communautés de l’Arche le bonheur qu’il y a à vivre chacun à son rythme avec des personnes qui sont handicapées, et singulièrement, handicapées mentales. On voit bien qu’il y a des maladies génétiques, des difficultés : ce n’est pas sans souffrance bien sûr. Mais il y a un vrai chemin de joie dans ces communautés.

Nous voulons une société inclusive. Tout le monde désire une société inclusive et en même temps, on va mettre dans la loi l’autorisation de faire des dépistages génétiques les plus nombreux possibles, notamment pour que dans le DPI (dépistage préimplantatoire NDLR), on ne puisse pas réimplanter des embryons qui auraient ceci ou cela, sans savoir que ces dépistages génétiques ne sont pas tous sûrs ; ils sont parfois illusoires. Sans compter aussi, qu’indépendamment de ces dépistages, comme l’a dit un jeune médecin, il y a des maladies qui ne viennent pas du dépistage génétique. Et alors les gens sont effondrés. Il y a une illusion dans le dépistage génétique et je pense qu’il faut que la loi soit ferme pour maintenir cette notion de gratuité quand on conçoit un enfant.

 

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02 février 2020, 13:34