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Le cardinal André Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris. Le cardinal André Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris. 

L'homélie d'adieu du cardinal Vingt-Trois à ses diocésains

Le cardinal Vingt-Trois, qui demeure administrateur apostolique du diocèse de Paris jusqu’au 6 janvier, a célébré ce samedi 16 décembre une messe d’action de grâce en la cathédrale Notre-Dame de Paris pour ses douze années passées à la tête du diocèse de Paris (2005-2017).

Dans son homélie, le cardinal André Vingt-Trois a appelé les chrétiens à ne pas céder à «la tentation de la fatalité», en dénonçant le procédé de «dramatisation» à l’œuvre «pour accrocher la clientèle des réseaux  d’information continue».

«On a jadis accusé l’Église catholique de régner sur les esprits par une pédagogie de la peur de l’enfer. Ce n’est pas elle aujourd’hui qui brandit les menaces et qui terrifie les esprits incertains. Notre société qui a voulu assumer la responsabilité du salut sous toutes ses formes et qui est acculée à reconnaître qu’elle ne parvient pas à le garantir, même avec le «principe de précaution», risque de vite devenir une société du soupçon, de la peur et de la délation», a-t-il énoncé.

Ci-dessous, l’homélie intégrale du cardinal Vingt-Trois prononcée samedi 16 décembre en la cathédrale Notre-Dame de Paris:

«Frères et Sœurs,

C’est pour moi un signe de la providence que je sois amené à remettre ma charge d’archevêque de Paris en ces jours où nous nous préparons à célébrer la Nativité du Seigneur. Cette coïncidence m’invite à relire mon ministère parmi vous à la lumière du ministère de Jean le Baptiste. Il a été envoyé par Dieu pour rendre témoignage à la lumière et préparer ses auditeurs à accueillir Celui que Dieu envoyait. Il n’était pas lui-même la lumière, il n’en était que l’annonciateur et le témoin. Comment mieux définir la mission de l’Église en ce monde et le ministère apostolique au cœur de l’Église?

Au cours de ces douze années, j’ai été appelé à porter ce témoignage avec vous et au milieu de vous. J’espère que je n’ai pas succombé à la tentation de me prendre pour le Messie et de laisser s’attacher à ma personne ceux qui cherchent Dieu et qui l’espèrent de notre ministère. Mais au moment où je suis appelé à une autre forme du témoignage de la foi, je suis rempli d’action de grâce pour tout ce que j’ai pu vivre au cours de ces années. Je rends grâce pour la vitalité de notre Église parisienne, pour sa disponibilité, sa réactivité, sa générosité. Je rends grâce pour les communautés eucharistiques que j’ai rencontrées chaque semaine. Je rends grâce pour les paroisses et les associations qui s’organisent pour accueillir ceux qui sont à la rue. Je rends grâce pour les communautés religieuses et les consacrés, pour les laïcs qui agissent modestement pour témoigner de l’amour de Dieu pour tous les hommes. Je rends grâce pour celles et ceux qui s’engagent dans l’œuvre de la transmission de la foi aux plus jeunes.

Dans cette action de grâce, je suis accompagné. Les nombreux témoignages que j’ai reçu au cours des jours écoulés me montrent combien nombreux sont ceux qui sont capables de rendre grâce à Dieu pour ce qu’ils vivent, et je les en remercie, même si je ne peux pas répondre à chacune et à chacun d’entre eux. De même que mon action de grâce ne m’aveugle pas au point d’oublier de demander pardon à celles et à ceux que j’ai pu blesser ou négliger dans la manière d’exercer mon ministère. En entendant tout à l’heure la lecture de l’Evangile, je pensais à la question qui m’a été souvent posé, comme si c’était une question importante évidemment pour celui qui la pose : Que dis-tu de toi ? Et l’étonnement. Moi ? Parce que je n’étais pas venu pour me rendre témoignage. Mais pour rendre témoignage à celui qui m’a envoyé.

Mais aujourd’hui, Frères et Sœurs, permettez-moi de vous partager un motif d’action de grâce très particulier pour les prêtres et les diacres du diocèse. Aujourd’hui, vous en voyez beaucoup rassemblés autour de moi pour cette action de grâce. Et je suis heureux que vous puissiez voir physiquement la réalité profonde habituellement invisible qu’ils représentent. Un évêque ne peut rien sans son presbyterium et sans le ministère des diacres. C’est par leurs ministères que s’organise et se structure la vie de l’Église et que se dynamise le Peuple de Dieu. J’ai eu la grande fierté d’être entouré par un presbyterium uni et dévoué à sa mission. Plus encore, j’ai eu la joie de voir des prêtres de Paris accueillir généreusement l’appel à la mission pour servir dans des diocèses moins bien pourvus, en Ile-de-France ou ailleurs ou pour accepter des ministères plus arides pour le service de l’Évangile. Nous pouvons rendre grâce à Dieu pour ces ministres qu’Il nous donne.

C’est donc sans aucun complexe que nous pouvons sereinement appeler des plus jeunes à prendre la relève et je me réjouis de la générosité avec laquelle répondent ceux qui sont appelés à la vie de notre diocèse. Les programmes de formation des futurs prêtres et des laïcs sont perçus par certains comme un poids très lourd pour notre Église parisienne, mais c’est la condition réaliste pour préparer l’avenir de nos communautés. Je rends grâce à Dieu des initiatives prises par le cardinal Lustiger dans ce domaine comme dans d’autres et je rends grâce d’avoir pu maintenir et développer cet investissement et d’en voir une expression brillante au Collège des Bernardins et dans la Faculté Notre-Dame en son sein.

La maladie qui m’a frappé ces derniers mois a été une épreuve que nous avons pu traverser avec la grâce de Dieu par l’implication forte de tous mes collaborateurs diocésains, évêques auxiliaires, vicaires généraux, vicaires épiscopaux, délégués diocésains, diacres, laïcs. Cette épreuve a été une occasion de mieux mesurer leurs rôles et leur place dans la vie de notre Eglise. C’est donc une grâce que Dieu nous a fait et je l’en remercie. Et je remercie celles et ceux qui ont ainsi contribué à la bonne marche du diocèse. Aujourd’hui cependant vous me permettrez d’adresser un remerciement très particulier à celles et à ceux qui font de notre cathédrale un haut-lieu de prière et d’accueil. J’ai eu la joie d’y présider régulièrement la messe du dimanche soir et les traditionnelles célébrations diocésaines. Je veux donc remercier les archiprêtres successifs et leurs chapelains, les clercs qui servent la liturgie, organistes, artistes invisibles de la beauté, la Maîtrise Notre-Dame et le chœur diocésain, tous les employés de la cathédrale et les nombreux bénévoles qui se dévouent jour après jour.

Au moment de quitter ma charge, je voudrais vous laisser avec l’exhortation de saint Paul aux Thessaloniciens: «Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce à Dieu en toutes circonstances.» (1 Th 5,16-18). Les temps que nous vivons sont médiatisés sur le mode haletant de l’alerte permanente. La dramatisation est devenue un procédé pour accrocher la clientèle des réseaux d’information continue. Dès lors, il n’est pas étonnant que nos concitoyens, sollicités sans cesse d’exprimer leurs peurs et leurs colères, vivent dans un climat anxiogène. On a jadis accusé l’Église catholique de régner sur les esprits par une pédagogie de la peur de l’enfer. Ce n’est pas elle aujourd’hui qui brandit les menaces et qui terrifie les esprits incertains. Notre société qui a voulu assumer la responsabilité du salut sous toutes ses formes et qui est acculée à reconnaître qu’elle ne parvient pas à le garantir, même avec le «principe de précaution», risque de vite devenir une société du soupçon, de la peur et de la délation.

Pour nous, «la joie du Seigneur est notre rempart» (Né 8, 10). Nous traversons les épreuves de la vie et nous endurons les souffrances de tous sans céder à la tentation du désespoir car nous savons en qui nous mettons notre espérance. «Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal» car je sais que l’amour de Dieu est plus fort que la mort et que rien ne peut nous en séparer. Si nous avons quelque chose à craindre, ce n’est pas que notre niveau de vie baisse ou que nos retraites deviennent incertaines, c’est plutôt que notre foi s’affadisse et devienne un sel insipide. C’est pourquoi notre joie est indissociable de la prière constante, même si elle est laborieuse.

Notre joie, c’est la joie de l’amour. L’amour d’un homme et d’une femme, l’amour des enfants que Dieu donne, l’amour des plus vieux pour la jeunesse, l’amour des jeunes pour leurs anciens. Notre joie, c’est la certitude profonde que, malgré nos faiblesses, nos lâchetés, nos péchés même, Dieu est un roc fidèle qui ne nous fait pas défaut. Notre joie est de savoir que l’Esprit de Dieu repose sur nous, qu’Il nous «a consacrés par l’onction, qu’Il nous a envoyés proclamer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux pauvres leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur.» (Is 61,1-2)

Frères et Sœurs, voilà le beau témoignage qui est attendu de nous et que nous devons rendre: au milieu des misères et des incertitudes que nous partageons avec tous les êtres humains. Nous ne cédons pas à la tentation de la fatalité, nous restons debout et nous apportons le signe que l’amour est plus fort que la mort. Nous portons ce signe par notre résolution à secourir celles et ceux qui sont blessés et rejetés. Nous portons ce signe par notre sérénité dans les épreuves, par notre constance dans les difficultés, par notre engagement à être des artisans de paix et non des exploiteurs de la polémique et de la haine. Nous devons être reconnus pour les services que nous rendons et nous réjouir non des belles choses que nous pouvons faire mais de ce que «notre nom soit inscrit dans les cieux» (Lc 10,20).

Que le Seigneur comble chacune et chacun d’entre vous de la joie d’être, selon la belle expression du Pape François, des ‘"disciples-missionnaires"’.»

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18 décembre 2017, 11:30