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Le professeur Isidor Ndaywel, historien congolais (RD Congo). Le professeur Isidor Ndaywel, historien congolais (RD Congo).  Les dossiers de Radio Vatican

L’évangélisation en RDC, entre accueil et intériorisation

Enthousiasme, accueil et intériorisation sont parmi les éléments qui peuvent caractériser l’histoire de l’évangélisation de la RD Congo, qui accueille le Pape François du 31 janvier au 3 février. Selon l'historien congolais Isidor Ndaywel, la vraie césure ne se situe pas entre la première et la deuxième évangélisation, mais entre celle venue du dehors et celle produite à l’intérieur du pays, au point que les Congolais sont devenus eux-mêmes des missionnaires ailleurs.

Entretien réalisé par Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican

Dans l’histoire de l’évangélisation du Congo, la vraie césure se trouve entre l’évangélisation venue du dehors et celle faite maintenant de l’intérieur; après l’enracinement du christianisme, les Congolais étant devenus des missionnaires ailleurs. C’est ce qu’affirme Isidor Ndaywel, professeur émérite d’histoire à l’Université de Kinshasa et dans plusieurs autres institutions, notamment auteur de l'ouvrage LHistoire générale du Congo.

Entretien avec l'historien congolais Isidor Ndaywel

L’Église de la RD Congo est réputée vivante, avec une grande participation des fidèles et les messages des pasteurs qui portent. Peut-on dire que ce fait est le fruit de l’histoire de l’évangélisation qu’a connue le pays?

Nous pouvons dire qu’elle est le fruit d’au moins deux choses. La première, est l’évangélisation somme toute massive, parce que presque toutes les congrégations missionnaires de droit pontifical fondées au XIXᵉ siècle se retrouvent au Congo. L’autre élément est la qualité de l’accueil. Depuis toujours, le peuple congolais a accueilli avec beaucoup d’enthousiasme le message de l’Évangile, que ce soit du côté catholique que protestant. Pourquoi un tel enthousiasme? Parce que dans l’histoire du Congo, on constate que déjà au XVIᵉ siècle, c’est le roi du Kongo qui demandait les missionnaires. Même quand il y avait des difficultés, il revenait sur cette demande.

On a également constaté que, au moment où les derniers missionnaires capucins quittent le Congo en 1832, avant que les spiritains n’arrivent en 1880, les communautés chrétiennes ont continué à vivre leur foi. Ce sont les catéchistes qui ont continué, pendant des décennies, à animer les communautés chrétiennes. Cela témoigne de cette qualité de l’accueil. Un autre élément s’ajoute: dès le point de départ, les Congolais utilisent le message chrétien comme un outil de combat. Kimpa Vita, reconnue comme la prophétesse Dona Béatrice, au début du XVIIIᵉ siècle, faisait une sorte d’enseignement de l’inculturation avant la lettre. La capitale du Royaume Kongo s’appelait San Salvador, donc Saint Sauveur. Ceci montre que, dès le départ, il y avait une très grande intériorisation de la foi chrétienne et même de son utilisation comme arme de combat.


Vous dites que dès le départ, le roi demandait aux missionnaires de venir. Peut-on conclure que ce souhait d’évangélisation est parti non pas de l’Occident, mais plutôt du Congo même?

Oui, je pense bien. Il y a eu évidemment le premier contact. Nous savons que le premier baptême a eu lieu le 3 avril 1491. Mais ensuite, à cause de la grande proximité entre les religions traditionnelles et le christianisme, il y a eu un lien très fort qui s’est établi dès le point de départ parce que le christianisme s’est présenté comme une forme de rationalisation de la croyance ancienne. Le monothéisme et le fait que Jésus soit passé par la circoncision, ait sa famille, ses frères et sœurs, sa généalogie, sa manière de s’exprimer en paraboles, etc, sont des éléments que l’on retrouve dans les cultures africaines. Il y a donc eu ce télescopage très fort. Le problème des langues n’a pas été un obstacle. La christianisation a commencé par l’utilisation des interprètes, mais les peuples ont compris tout de suite de quoi il était question, et sont même allés au-delà. Nous pouvons aussi supposer que les religions traditionnelles subsistent aujourd’hui dans le christianisme qui leur a donné une deuxième vie dans la façon de s’exprimer, de prier, d’invoquer les ancêtres, les saints.

Les premiers missionnaires étaient des Portugais, arrivés au XVème siècle. Longtemps après il y aura les capucins, puis les jésuites arrivés au Congo avant même qu’ils ne soient présents dans certains pays d’Europe comme la Belgique. Nous sommes en présence d’une vieille chrétienté.


Concernant la subdivision historique, l’évangélisation dans votre pays s’est faite en deux étapes. Quelles sont ces deux étapes et quelles en sont les caractéristiques principales?

On fait généralement une distinction entre ce qui est appelé la première évangélisation et la deuxième. La première étant celle qui s’est limitée à la région côtière, qui va de la fin du XVᵉ siècle jusqu’au début du XIXᵉ. La deuxième commence dans la deuxième moitié du XIXᵉ siècle et se poursuit jusqu’à la période coloniale. Mais, on peut également mettre en cause cette lecture; parce que l’on peut dire que la première et la deuxième font partie de la même évangélisation. C’est l’histoire des évangélisateurs qui viennent de loin, commencent leur œuvre, d’abord dans la région côtière et ensuite dans l’arrière-pays. Il y a donc cette césure du premier et du deuxième temps dans une même mouvance de l’arrivée des missionnaires étrangers dans le pays.

On peut aussi dire que c’est une autre césure que celle de faire la distinction entre l’évangélisation catholique et l’évangélisation protestante, parce que les populations locales n'établissaient pas la différence entre les deux. C’était une différence politique et non du choix des personnes: on était protestant ou catholique par le hasard des circonstances, selon qu’on se trouvait dans le territoire ecclésiastique protestant ou catholique.

S’il y a une distinction, une sorte de bipartition à faire dans l’histoire de l’évangélisation du Congo, on parlerait d’une première évangélisation qui est celle venue du dehors et une deuxième, un mouvement que l’on pourrait considérer actuellement comme une évangélisation en partage. C’est-à-dire que les Congolais ont suffisamment intériorisé le message chrétien, au point d’être devenus eux-mêmes missionnaires.


C’est une évangélisation qui vient maintenant de l’intérieur?

Sur tous les continents, il y a maintenant la présence des missionnaires congolais, qu’ils soient catholiques ou protestants, et qui portent la Bonne Nouvelle ailleurs. Mais cela n’empêche que, au même moment, nous continuions à recevoir des expatriés, membres des congrégations missionnaires qui alignent des européens, sud-américains ou asiatiques. Nous sommes ainsi dans une logique différente où le christianisme, n’est plus pour nous une donnée du dehors; mais tout simplement une manière de vivre notre identité de congolais. Et nous portons cela ailleurs, dans notre façon de vivre et de célébrer le culte, dans notre manière de prier. Le mouvement de l’inculturation théologique et liturgique y a joué un grand rôle.

C’est peut-être là la vraie césure: l’évangélisation venue du dehors et l’évangélisation faite maintenant de l’intérieur qui s’enracine au Congo, en Afrique, mais qui va également ailleurs.

Comment pouvons-nous évaluer l’impact de l’œuvre évangélisatrice des Occidentaux sur l’histoire de votre pays en général? Outre l’évangélisation interne, quels peuvent être d’autres éléments qui témoignent de l’impact de cette première évangélisation venue de l’extérieur sur la suite de l’histoire de votre pays?

Je pense que l’évangélisation au Congo, a procédé par deux grands chantiers. D’abord, le chantier doctrinal qui fait que depuis le début du XXᵉ siècle, nous avons des formations des séminaires, grands comme petits. Nous avons notre premier prêtre congolais Stéphano Kaozé en 1917. Depuis lors, nous en avons énormément d’autres. L’autre filière, c’est le côté social où il y a eu des grands chantiers menés par les évangélisateurs, au niveau de la formation et sur le plan sanitaire. Presque toutes les grandes élites congolaises des années 1960, autour de l’indépendance, étaient formés dans des grands-séminaires ou dans des cadres éducatifs catholiques. Nombre d’ecclésiastiques sont par ailleurs à la base de l’identité ou des aspects de l’identité congolaise, comme le Père Boka qui a composé les deux hymnes nationaux ou le père Ekwa qui est à la base des premières réformes de l’enseignement. C’est donc un apport indéniable.

“Nous avons notre premier prêtre congolais Stéphano Kaozé en 1917.”

Et parlant de la période actuelle, pensez-vous que l’Église catholique et le christianisme en général jouent un grand rôle dans la destinée du Congo ou ont-ils encore un rôle plus grand à jouer?

Le christianisme joue son rôle dans tous les domaines et, de manière probablement inattendue, même dans le domaine politique. Depuis 1956, un groupe des laïcs s’est réuni autour de l’abbé Malula; ils ont produit le premier document indépendantiste du pays, ce qu’on a appelé le Manifeste de la conscience africaine, qui est une balise importante dans l’histoire de la décolonisation du Congo. Au cours des années 1960, on a vu tout l’apport de l’Église: Joseph Kasavubu, premier président du pays, fut un ancien grand séminariste de Kabwe. Il y a eu l’action de l’abbé, archevêque, puis cardinal Malula, qui a fortement insisté auprès de Mobutu d’abord pour ce qu’il appelait «une justice distributive» mais également pour arrêter, mettre une barrière aux excès de l’authenticité. Malula est le seul congolais qui, jusqu’à sa mort, n’a jamais eu de post-nom. Il est resté Joseph Albert Malula jusqu’à la mort. Il a payé de sa personne, mais il estimait que ce n’est pas le fait de porter un prénom chrétien qui fait que l’on soit moins africain.

Et il y a les actions de la CENCO...

Il convient de mentionner toutes les actions fortes de la CENCO pendant tous les régimes politiques que nous avons connus. Il y a toute une panoplie de prises de position fortes de l’Église. Pendant la conférence nationale souveraine dans les années 1990, lorsque Mobutu a décidé d’arrêter le processus qui était en cours de réconciliation par ces assises, une équipe de conférenciers chrétiens ont lancé le Comité laïc de Coordination, qui a organisé la grande Marche du 16 février. L’Église, les chrétiens, les prélats jouent pleinement le rôle d’accompagnement des processus en cours sans empiéter sur la gestion politique qui demeure du domaine du temporel.

Avez-vous quelques suggestions ou autres éléments historiques importants à souligner en lien avec l’histoire de l’évangélisation de votre pays?

Soulignons les témoignages des individus. Pensons à un personnage comme le bienheureux Isidore Bakanja qui, au nom de sa foi, pour contrer les travers des agents coloniaux qui minimisaient le christianisme, a payé de sa vie; tout simplement parce qu’il ne voulait pas enlever la médaille qu’il portait, signe de sa dévotion, refusant ainsi d’obéir à une injonction de son patron. Fort heureusement, l’Église a reconnu ses sacrifices, il a été béatifié. La bienheureuse Anuarite a également joué ce rôle important, en défendant son engagement de religieuse. Nous avons eu des prélats qui ont également joué des rôles extraordinaires: mentionnons un personnage comme Mgr Munzihirwa, qui a vraiment payé de sa personne jusqu’à la mort. C’est autant de balises importantes dans notre histoire qui démontrent qu’on peut aller jusqu’au sacrifice. Ce n’est pas simplement une christianisation au niveau du discours, mais également au niveau des faits concrets, presque des «actes des Apôtres».

Quel est votre mot de la fin?

Je me réjouis fortement de l’arrivée du Pape dans notre pays. Nous avons eu cette joie en 1980, puis en 1985. Nous sommes heureux d’accueillir une fois de plus le Saint-Père chez nous. Il vient nous voir tels que nous sommes, dans nos problèmes, nos misères, notre guerre. Nous sommes heureux et fiers de ce geste de sa part.

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28 janvier 2023, 17:03