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2020.10.05 Padre Ndoki, gesuita congolese 2020.10.05 Padre Ndoki, gesuita congolese  

L'écologie, l'affaire de tout le peuple africain

Pourquoi ne pouvons-nous pas faire écho des gestes de respect de l’environnement comme nous avons fait écho des gestes barrières contre la Covid-19 ? Le Père Christian Ndoki nous dit tout sur l’Afrique et les défis écologiques.

Camille Mukoso, SJ – Cité du Vatican

La crise climatique actuelle et la dégradation de l’environnement qui en découle sont deux graves menaces pour l’Afrique. Malheureusement, les Africains semblent ne pas avoir conscience de l’épée de Damoclès qui plane sur leur avenir, alors que l’impact du changement climatique est déjà perceptible sur le continent : la raréfaction des ressources compromet l’indépendance alimentaire et la toxicité environnementale affecte la santé humaine. Que faire pour que le continent qui contribue le moins à l’effet de serre ne paie pas le lourd tribut à des dérèglements causés par d’autres ?

“Entretien avec le père jésuite Christian Ndoki, jésuite de la République démocratique du Congo, ingénieur en agriculture et développement rural, professeur à la Faculté des Sciences Agronomique et Vétérinaire de l’Université Loyola du Congo.”

Une idée souvent rependue est que l’écologie est un problème des pays riches. Autrement dit, qu’il faudrait avoir atteint un certain niveau de vie pour se pencher sur les questions écologiques. Qu’en dites-vous ?

Si l’on traite l’écologie comme une science compliquée, avec des termes et des concepts réservés à des initiés, oui. Mais, en fait, l’écologie n’est pas une connaissance scientifique compliquée. C’est amplement une manière de vivre et d’entrer en relation avec le monde, en le respectant. Dans ce sens, l’écologie concerne tout le monde : riches ou pauvres, croyants ou incroyants, hommes ou femmes, jeunes ou vieux. A titre d’exemple, un point que nous rappelle l’écologie est que nos ressources ne sont pas illimitées. Le fait de savoir que nous pouvons un jour nous retrouver sans ressources et le fait de chercher à préserver nos ressources actuelles sont une préoccupation de tous : riches ou pauvres, hommes ou femmes, jeunes ou vieux.

Le Pape François affirme que nous avons besoin d’une conversion écologique, c’est-à-dire  changer des perspectives dans notre relation avec la nature. Comment cette conversion peut se matérialiser en Afrique, surtout lorsqu’on sait que l’information sur l’environnement dans le continent semble réservée à une élite experte ?

La conversion à laquelle le Christ nous appelle quand il annonce le règne de Dieu est une conversion de notre relation avec Dieu, avec la nature (c’est-à-dire le monde dans sa diversité), avec les autres humains et avec nous-mêmes. Le cœur de l’écologie est l’établissement, mieux le rétablissement des relations justes. Et en Afrique, cette question n’est pas nouvelle. De nombreux contes, proverbes ou interdits montrent à quel point la tradition africaine est soucieuse de l’établissement des relations justes. En Afrique, par exemple, nous nous définissons par les relations que nous entretenons avec les autres et nous ne considérons pas la nature comme quelque chose d’extérieur à nous. Au contraire, la nature nous comprend, elle nous inclut. Nous sommes enfants de la terre. Nous sommes dans une relation de profond respect avec chaque être, vivant ou inerte. En chaque être, nous saluons, avec révérence, la présence de Dieu.

“En Afrique, par exemple, nous nous définissons par les relations que nous entretenons avec les autres et nous ne considérons pas la nature comme quelque chose d’extérieur à nous.”

Le 1er septembre 2020 a eu lieu la journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création. Elle ouvre le Temps de la Création, qui se tient jusqu’au 4 octobre, en étant célébré cette année comme un “Jubilé pour la Terre”. Pour le Saint-Père, c’est un temps de retour à Dieu, notre créateur bien aimé pour changer nos habitudes vis-à-vis de notre maison commune. Comment rendre ce désir du Pape effectif sur le continent africain ?

Il nous faut, d’abord, raviver le sens de l’appartenance à la terre. Nous sommes enfants de la terre. La terre est notre mère et, par conséquent, les différentes créatures sont nos frères et sœurs. Ce n’est pas une invention de Saint-François d’Assise. La Bible le dit déjà quand elle parle de « récapituler toutes choses dans le Christ ». Eph. 1,10. Le jubilé de la terre est une pratique ancienne. Nos traditions culturales africaines insistent beaucoup sur la jachère, c’est-à-dire le repos de la terre. Et le livre du Lévitique au chapitre 25 aborde de nombreux aspects du jubilé et du sabbat qui concernent aussi bien la terre, les animaux que d’autres êtres vivants. Il s’agit donc de sensibiliser nos familles, nos communautés, nos jeunes, nos étudiants, nos élèves, nos paroissiens, nos politiciens même, à vivre une relation renouvelée avec la terre. Ce n’est pas seulement un désir du Pape qu’il faut rendre effectif. C’est une question d’identité, une question de survie. Si nous ne changeons pas notre manière d’habiter la terre, nous perdons notre identité et nous n’aurons pas d’avenir.

Pour le Pape également «la pandémie nous a conduits à un carrefour ». Il est donc temps de faire les bons choix « pour mettre fin à des activités et à des finalités superflues et cultiver des valeurs, des projets génératifs ». Quelles peuvent être les conséquences de la pandémie du nouveau coronavirus sur notre environnement ?

Il nous faudra beaucoup de temps pour réévaluer, à juste titre, les effets de la pandémie de la Covid-19 sur notre environnement. Mais, nous pouvons déjà relever quelques éléments. Tout d’abord, la pandémie de la Covid-19 nous a frappé, elle nous a mis à genoux, elle nous a humilié et nous a rappelé que nous ne sommes pas invulnérables, nous ne sommes pas le centre du monde. Ensuite, peu importe l’origine de cette maladie, elle nous a interpellé sur le fait que la nature n’est pas manipulable à souhait. Finalement, elle nous a permis de retrouver certaines habitudes de vie, des habitudes saines. Le temps de confinement, par exemple, a vu le pic de pollution chuter dans des nombreux pays.

“Nous Africains, nous nous plaignons que les autres prennent des décisions qui nous sont défavorables. Mais, n’est-ce pas parce que nous ne sommes pas assez proactifs ?”

Quel rôle joue aujourd'hui l'Afrique dans le processus de préservation de l'environnement ? Est-elle leader ou se contente-t-elle de suivre ?

Malheureusement, l’Afrique traine encore les pieds. Nous sommes cruellement absents des beaucoup de débats et des lieux où se prennent les grandes décisions sur les questions environnementales. Il est vrai que l’Afrique a tellement des problèmes que les questions des changements climatiques peuvent paraître secondaires. Mais, en fait, tout est lié. Les questions environnementales ne doivent pas être dissociées des questions économiques, politiques et sociales. Nous Africains, nous nous plaignons que les autres prennent des décisions qui nous sont défavorables. Mais, n’est-ce pas parce que nous ne sommes pas assez proactifs ? Nous sommes tellement absents que les autres décident à notre place. C’est à nous d’être présents.

Pour le continent africain, bien en retard dans la technologie, le changement climatique constitue-t-il un obstacle à la croissance et au développement ?

Premièrement, l’Afrique est le continent qui a le moins de capacité de résilience face au changement climatique ou tout autre catastrophe naturel. Nous sommes très peu outillés. Nous avons peut-être moins contribué que les autres Etats, les autres continents au changement climatique. Mais, c’est nous qui allons en payer les conséquences plus que les autres, parce que nous avons moins de capacités d’anticipation et de réaction. Et cela aura un impact fort sur notre croissance et notre développement. C’est évident. 

Au regard de cette réalité, où en est l'Afrique aujourd'hui dans son rapport à l’environnement ?

“La plupart des guerres, des situations d’instabilité sur notre continent sont liées au contrôle des ressources naturelles. Le pire est que ce n’est même pas à notre avantage.”

La réalité actuelle est que l’Afrique a encore beaucoup de chemin à faire face à son rapport avec l’environnement. Ce dernier a été pillé durant des décennies, des siècles d’exploitations anarchiques entre l’esclavage, la colonisation ainsi que la forme sournoise qu’a prise la colonisation aujourd’hui que l’on ne sait pas encore nommer. Nous avons été appauvris au point de vendre, de spolier nous-mêmes le peu de ressources qui nous restent : les eaux, les forêts, les animaux, les ressources minières, etc. La conséquence en est un appauvrissement continue, un cycle infernal de conflits et de contrôle de telle ou telle autre ressource. La plupart des guerres, des situations d’instabilité sur notre continent sont liées au contrôle des ressources naturelles. Le pire est que ce n’est même pas à notre avantage. Nous ne faisons que ramasser les miettes que veulent bien nous laisser les puissances qui se servent de nous. Quel avantage, par exemple, tirons-nous de la grande forêt du Congo ? Pas grand-chose.

On a justement beaucoup parlé du cas du bassin du Congo. Quelle est la situation ?

Le dernier synode sur l’Amazonie a posé des questions qui concernent aussi bien le bassin du Congo que l’Amazonie. Les nombreux acteurs notamment les Réseaux Ecclésiales du Bassin du Congo, REBAC, que dirige le père jésuite Rigobert Minani, ont travaillé et travaillent encore sur la sauvegarde de ce riche espace pour sa biodiversité et de ses populations qui sont marginalisées et menacées. La forêt du Congo est un des deux poumons du monde et est menacée par l’exploitation sauvage du bois et d’autres ressources animalières et minières ainsi que par le déplacement forcé des populations autochtones, dont la vie est intimement liée à cette forêt.  Il y a donc beaucoup à faire. Il faudrait sensibiliser les populations et le politiques au fait que le bassin du Congo est une richesse menacée et qu’il nous faut, à tout prix, le sauvegarder. 

À chaque conférence sur le climat, la même question revient inévitablement : les pays riches peuvent-ils imposer aux pays pauvres des mesures contre le réchauffement climatique ?

Je ne sais pas s’ils le peuvent ou pas. Mais, le rapport des forces est inégal. Il y a des décisions qui sont prises parfois en notre défaveur par des pays riches. La question environnementale ne constitue pas un point important dans l’agenda de la plupart des pays africains. C’est juste un appendice et c’est bien dommage. Le résultat est que les autres finissent par nous imposer leurs points de vue parce que nous ne sommes pas suffisamment préparés. Dans des réunions d’importance sur le climat, nous venons parfois sans apporter aucune solution sur les questions abordées. Le pire est que les délégations africaines qui participent à ces forums sur le climat sont souvent constituées non sur base des compétences, mais d’appartenance à un groupe politique ou à un autre. La vérité est que beaucoup y vont pour faire du tourisme. C’est bien dommage.

“Pourquoi ne pouvons-nous ne pas faire écho des gestes de respect de l’environnement comme nous avons fait écho des gestes barrières contre la Covid-19 ?”

Que suggéreriez-vous pour mieux sensibiliser les populations à l’environnement ?

Il faut commencer par la base, c’est-à-dire par l’éducation, en famille, à l’école, dans nos paroisses. Apprendre aux jeunes, aux enfants et aux adultes les gestes simples du respect et de la protection de l’environnement. Il s’agit, par exemple, de la bonne gestion des déchets, de l’économie d’énergie, du renouvèlement et de l’entretien des arbres, etc. Pourquoi ne pouvons-nous ne pas faire écho des gestes de respect de l’environnement comme nous avons fait écho des gestes barrières contre la Covid-19 ? Ensuite, il faudrait mettre en place une politique d’incitation au respect de l’environnement. C’est-à-dire sanctionner ceux qui détruisent l’environnement et encourager ceux qui l’entretiennent, en leur octroyant des prix, des subsides, etc. Dans ce sens, l’on pourrait, par exemple, encourager les paysans à adopter des pratiques culturales respectueuses de l’environnement, à pratiquer l’agriculture biologique et à faire moins usage d’engrains chimiques. Et finalement, à grande échelle, l’on pourrait adopter une politique qui promeuve le respect de l’environnement, aussi bien au niveau des Etats qu’au niveau régional. Dans ces trois secteurs, l’Eglise peut jouer un rôle fondamental. A titre illustratif, la Compagnie de Jésus, a choisi comme une des 4 préférences apostoliques, le soin de la maison commune. L’éducation demeure un chantier prioritaire pour l’atténuation et l’adaptation au réchauffement climatique en Afrique.

Entretien avec le père jésuite Christian Ndoki, jésuite de la République démocratique du Congo

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05 octobre 2020, 15:05