«Si je témoigne c’est parce que je voudrais que d’autres puissent s’en sortir». «Si je témoigne c’est parce que je voudrais que d’autres puissent s’en sortir». 

Abus sur mineurs, une victime témoigne

La rencontre sur «La protection des mineurs dans l'Église» s’ouvre ce jeudi au Vatican. Durant ce sommet, les participants se mettront à l’écoute des victimes. Une femme abusée par un prêtre lorsqu’elle était enfant nous livre son témoignage.

Entretien réalisé par Hélène Destombes - Cité du Vatican

Écouter les personnes qui ont été victimes d’abus au sein de l’Église, mesurer la profondeur de leur douleur est l’une des priorités de ce sommet sans précédent de quatre jours qui réunit au Vatican les présidents des Conférences épiscopales du monde entier ainsi que les supérieurs des ordres religieux. 

Les quelques 190 participants à cette rencontre se mettront donc, à l’image du Pape,  à l’écoute des victimes qui chaque jour livreront un témoignage. Les travaux s’ouvriront d’ailleurs avec la projection d’une vidéo proposant le récit de plusieurs personnes abusées, venus de différents continents.

Nous avons interrogé une française, aujourd’hui âgée de 70 ans. Elle a été victime d’abus sexuels dans sa petite enfance, dès l’âge de 4 ou 5 ans. Après de nombreuses années de refoulement, de silence et de souffrance, et avec l’aide de proches et d’un thérapeute, elle est aujourd’hui en mesure de nous confier ce qu’elle a subi, en nous livrant un message d’espérance.    

Témoignage d'une victime d'abus

Mon histoire est liée aussi à celle de ma sœur. Nous avons été agressées sexuellement par un prêtre dans les années 1950. Il a été condamné à 20 ans avec circonstances aggravantes et il est mort en prison maintenant. Mes souvenirs sont… J’étais petite.  Je devais avoir quatre ou cinq ans, je ne sais pas exactement, et pendant très longtemps je n’ai pas eu conscience de ce qui s’était passé. Ma sœur en était beaucoup plus consciente, elle a quatre ans de plus que moi. Mais moi, ce n’était pas revenu à ma mémoire mais je n’étais pas bien. Disons que j’étais quelqu’un de fragile, je ne me sentais pas bien dans mon corps, au niveau psychique, j’étais très angoissée. C’est quelque chose qui marque une vie entière. J’ai des séquelles… c’est difficile de dire tout ça. J’ai réalisé que je n’aimais pas que l’on me touche, que l’on touche mon corps. Ça a été pendant très très longtemps, je ne savais pas pourquoi. Quand quelqu’un me touchait je disais «je ne veux pas que l’on me touche». C’était une réaction physique. Je crois que le corps est très très atteint. Ensuite, il y a la confiance et le doute. Moi, j’ai douté et je doute beaucoup, tellement on est atteint à l’intérieur.

Atteint de manière profonde. Quels sont les mécanismes de défense qui se mettent en place pour survire à une telle blessure?

Je crois que, moi, j’ai mis en place cette amnésie et puis j’ai fui. J’ai choisi un métier qui m’a permis d’être auprès des enfants, j’étais enseignante dans une école primaire. Je fuyais les adultes, je pense maintenant. Je suis rentrée ensuite dans une congrégation, je n’y suis pas restée. J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui ont compris que je n’étais pas bien et qui m’ont demandé si je pouvais faire un travail en psychologie. Finalement j’ai fait quatre ans d’analyse et les défenses étaient toujours là. Je ne peux pas dire que ça n’a servi à rien mais ça n’est pas venu à ma conscience. Puis, quand j’ai quitté la vie religieuse je suis partie faire des sessions. Un été, j’ai fait une session sur le corps et j’ai rêvé pendant cette session. J’ai rêve qu’il était en chaire, dans une église et qu’il me demandait pardon à ma sœur et à moi, en rêve. Je rêvais de cela. Du coup, ça commençait à me réveiller. Mais j’avais 35 ans.

Quels sont les conséquences que ce traumatisme a eu sur votre vie? votre vie de femme?

Je ne suis pas mariée. Je n’ai pas pu, je crois que ce stade, je ne peux pas le dépasser… C’est vraiment l’une des choses les plus difficiles.

De ne pas avoir pu vous marier? fonder une famille?

Oui fonder une famille. Donc quelque part, j’ai été blessée dans ma chair. Mais je me dis que voilà, maintenant, il faut vivre avec. On vous coupe une jambe, vous avez un accident, vous avez une maladie, vous vivez avec. Vous faites comme vous pouvez mais vous vivez avec. Et je crois que j’ai cette chance de pouvoir maintenant parler. Si je témoigne c’est parce que je voudrais que d’autres puissent s’en sortir. C’est possible de s’en sortir. Parce que j’ai rencontré quelques victimes depuis quelques années qui sont dans un état très grave. On a une atteinte très profonde.

Les victimes témoignent très souvent d’un isolement, d’un silence qui emprisonne dans la douleur. Comment expliquer cette impossibilité à parler de ce drame, à pouvoir se libérer de cette douleur?

Je me souviens qu’en thérapie, le thérapeute m’a dit un jour : «vous êtes dans une salle de cinéma. Vous créez votre film et c’est vous le visionnez». Et ce film, je l’ai intitulé «La honte». C’est vraiment quelque chose qui est commun à beaucoup de personnes abusées je crois. C’est l’inconscient qui imprime tout ça. Vous voyez comment ça peut être grave.

Lorsque l’on a été une enfant abusée par un membre du clergé, comment conserver la foi?

La foi, pour moi, c’est autre chose, c’est ma relation à Dieu. Je n’ai jamais pu me mettre en colère contre Dieu. Je n’ai jamais pu lui reprocher quelque chose. Pour moi, Dieu c’est l’amour. C’est peut-être cela qui m’a sauvée aussi. Et donc, la foi c’est au-delà de tout cela. La religion c’est autre chose, et l’Église c’est autre chose. J’en veux à l’Église, j’ai de la colère c’est vrai. J’ai pu trouver dans ma vie des groupes qui m’ont permis de vivre ma foi avec des laïcs mais par contre l’Église institutionnelle, c’est vrai que c’est difficile mais je suis dedans, je suis l’Église.

Peut-on parler de guérison face à un traumatisme de cet ampleur? Vous sentez vous apaisée, guérie en quelque sorte?

Je me sens apaisée. J’ai eu de la chance, je suis tombée sur un thérapeute…que j’ai choisie. Je suis apaisée, parfois en colère. Je crois que depuis quelques années où j’ai pu d’avantage parler, même éventuellement témoigner, ça m’aide, ça donne du sens. Le fait d’essayer d’aider, de se dire que ça va peut-être permettre à des personnes de se libérer, pour moi ça a beaucoup de sens. Et c’est aussi essayer de vivre l’Évangile, comme je peux, avec ce que je suis.

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21 février 2019, 08:12