Messe à Erbil: Jésus nous libère de la tentation de la vengeance

Pour la dernière étape publique de son voyage apostolique en Irak, le Pape François a célébré ce dimanche après-midi une messe au stade Franso Hariri d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien.

Cyprien Viet – Cité du Vatican

Environ 10 000 personnes étaient rassemblées dans ce stade, dans une ambiance de grande émotion, les drapeaux du Vatican, de l’Irak et de la province autonome du Kurdistan irakien se mêlant dans une atmosphère joyeuse.

Les principales autorités provinciales étaient présentes, et la messe a été représentative de la diversité ethnique qui coexiste dans cette province, avec des lectures et chants en arabe, en chaldéen, en kurde, en anglais et en italien. Une statue de la Vierge Marie avait été disposée près de l’autel, transférée depuis la localité de Karamless: décapitée il y a quelques années par les djihadistes de Daech lors de leur offensive sur la Plaine de Ninive, cette statue est en cours de restauration.

La puissance de Dieu ne s’exprime pas dans une démonstration de force

S’appuyant sur la lecture de saint Paul, le Pape a expliqué que la puissance et la sagesse de Dieu s’expriment surtout «par la miséricorde et le pardon». «Il n’a pas voulu le faire par des démonstrations de force ou en imposant d’en haut sa voix, ni par de longs discours ou des étalages de science inégalable. Il l’a fait en donnant sa vie sur la croix. Il a révélé sa sagesse et sa puissance divines en nous montrant, jusqu’à la fin, la fidélité de l’amour du Père, la fidélité du Dieu de l’Alliance qui a fait sortir son peuple de l’esclavage et l’a guidé sur le chemin de la liberté», a expliqué François en faisant référence au Livre de l’Exode, faisant écho à l’expérience concrète de l’exode, vécue physiquement et douloureusement par une grande partie des fidèles présents dans le stade d’Erbil.

Plutôt que de se laisser piéger par «de fausses images de Dieu qui nous donnent sécurité», il faut se rapprocher «de la puissance et de la sagesse de Dieu révélées par Jésus sur la croix». Seule cette logique de miséricorde permettra de désamorcer le cycle de la violence et de la vengeance qui fracturent la région depuis des décennies.

«Ici, en Irak, combien de vos frères et sœurs, amis et concitoyens portent les blessures de la guerre et de la violence, des blessures visibles et invisibles. La tentation est de leur répondre, ainsi qu’à d’autres faits douloureux, avec une force humaine, avec une sagesse humaine. Jésus nous montre au contraire la voie de Dieu, celle que lui a parcourue et sur laquelle il nous appelle à le suivre. »

Purifier le temple du coeur

Évoquant l’extrait de l’Évangile du jour, qui évoque l’altercation entre Jésus et les marchands du Temple, le Pape a invité à s’interroger: «Pourquoi Jésus a-t-il fait ce geste si fort, si provoquant? Il l’a fait parce que le Père l’a envoyé purifier le Temple: non seulement le temple de pierre, mais surtout celui de notre cœur. De même que Jésus n’a pas toléré que la maison de son Père devienne un marché, ainsi il désire que notre cœur ne soit pas un lieu d’agitation, de désordre et de confusion.»

«Le cœur doit être nettoyé, mis en ordre, purifié. De quoi? Des tromperies qui le salissent, des duplicités de l’hypocrisie. Nous en avons tous, a insisté le Pape François. Ce sont des maladies qui font du mal au cœur, qui salissent la vie, la rendent double. Nous avons besoin d’être nettoyés de nos sécurités trompeuses qui marchandent la foi en Dieu avec des choses qui passent, avec les convenances du moment. Nous avons besoin que soient chassés de notre cœur et de l’Eglise les suggestions néfastes du pouvoir et de l’argent. Pour nettoyer le cœur nous avons besoin de nous salir les mains: de nous sentir responsables et non pas de rester à regarder alors que le frère ou la sœur souffre. Mais comment purifier le cœur? Nous ne sommes pas capables tout seuls, nous avons besoin de Jésus. Il a le pouvoir de vaincre nos maux, de guérir nos maladies, de restaurer le temple de notre cœur.

Le Pape invité à ne pas jamais désespérer dans la quête de l’amour de Dieu. «Dieu ne nous laisse pas mourir dans notre péché. Même quand nous lui tournons le dos, il ne nous abandonne jamais à nous-mêmes. Il nous cherche, il nous suit pour nous appeler au repentir et pour nous purifier.» La réponse chrétienne n’est donc pas de chercher à tuer le méchant, mais de souhaiter la conversion de son cœur. «Le Seigneur veut que nous soyons sauvés et que nous devenions un temple vivant de son amour, dans la fraternité, dans le service, dans la miséricorde.»

Dans le don radical de sa vie, Jésus «nous libère d’une manière de comprendre la foi, la famille, la communauté, qui divise, qui oppose, qui exclut, afin que nous puissions construire une Église et une société ouvertes à tous et soucieuse de nos frères et sœurs les plus nécessiteux. Et en même temps, il nous fortifie afin que nous sachions résister à la tentation de chercher à se venger, qui fait s’enfoncer dans une spirale de représailles sans fin. » François a martelé que «le Ressuscité fait de nous des instruments de la paix de Dieu et de sa miséricorde, des artisans patients et courageux d’un nouvel ordre social».

Le Seigneur veut nous relever

En disant «Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai» (Jn 2, 19), Jésus «parlait du temple de son corps, et donc aussi de son Église. Le Seigneur nous promet que, par la puissance de sa Résurrection, il peut nous relever, nous et nos communautés, des ruines causées par l’injustice, par la division, et par la haine. C’est la promesse que nous célébrons dans cette Eucharistie. Avec les yeux de la foi, reconnaissons la présence du Seigneur crucifié et ressuscité au milieu de nous, et apprenons à accueillir sa sagesse libératrice, à nous reposer dans ses blessures, et à trouver la guérison et la force de servir son Règne qui vient dans notre monde », a expliqué l’évêque de Rome.

«L’Église en Irak, par la grâce de Dieu, a fait et est en train de faire beaucoup pour proclamer cette merveilleuse sagesse de la croix, répandant la miséricorde et le pardon du Christ, spécialement aux plus nécessiteux, a souligné François. Même au milieu de grandes pauvretés et difficultés, nombreux parmi vous ont généreusement offert une aide concrète et une solidarité aux pauvres et aux personnes souffrantes. Ceci est l’une des raisons qui m’ont poussé à venir en pèlerinage parmi vous, à vous remercier et vous confirmer dans la foi et dans le témoignage. Aujourd’hui, je peux voir et toucher du doigt le fait que l’Eglise en Irak est vivante, que le Christ vit et œuvre dans ce peuple saint et fidèle qui est le sien.»

Le Pape a conclu son homélie en confiant les fidèles présent «à la protection maternelle de la Vierge Marie qui a été associée à la passion et à la mort de son Fils, et qui a participé à la joie de sa résurrection. Qu’elle intercède pour nous et nous conduise à lui, puissance et sagesse de Dieu.»

Les adieux du Pape au peuple irakien

Au terme de cette célébration, le Pape a chaleureusement salué le Patriarche assyrien Mar Gewargis III, les évêques, la population kurde, les autorités civiles, les volontaires  et tous ceux qui ont contribué à l’organisation de son voyage.

«Durant ces jours passés au milieu de vous, j’ai entendu des voix de douleur et d’angoisse, mais j’ai aussi entendu des voix d’espérance et de consolation. Et c’est le mérite, en grande partie, de ces inlassables bonnes œuvres qui ont été rendues possibles grâce aux institutions religieuses de chaque confession, grâce à vos Églises locales et aux diverses organisations caritatives qui assistent les gens de ce pays dans l’œuvre de reconstruction et de renaissance sociale», a déclaré le Pape, en mentionnant notamment les organisations membres de la ROACO.

«Maintenant, se rapproche le moment de repartir pour Rome, a expliqué le Pape François. Mais l’Irak restera toujours avec moi, dans mon cœur, a-t-il promis. Je vous demande à tous, chers frères et sœurs, de travailler ensemble dans l’unité pour un avenir de paix et de prospérité qui ne laisse personne à la traîne et ne discrimine personne. Je vous assure de ma prière pour ce pays bien aimé. Je prie de façon particulière pour que les membres des différentes communautés religieuses, avec les hommes et les femmes de bonne volonté, coopèrent afin de nouer des liens de fraternité et de solidarité au service du bien commun et de la paix. Que Dieu vous bénisse tous ! Que Dieu bénisse l’Irak ! Salam, salam, salam ! Allah Ma’akum», a conclu le Pape, en adressant ses vœux de paix en arabe.

Il est ensuite reparti pour Bagdad, pour une troisième et dernière nuit à la nonciature apostolique, avant de repartir lundi matin pour Rome. Cette messe à Erbil était donc la dernière étape publique de ce 33e voyage apostolique, probablement le plus difficile et le plus complexe de son pontificat sur les plans de l'organisation et de la sécurité, mais qui s’est finalement déroulé dans d’excellentes conditions et qui a apporté une consolation à ce peuple très éprouvé.

 

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07 mars 2021, 16:00