Roseline Hamel lors de sa rencontre avec le Pape François, mercredi 6 décembre 2023 Roseline Hamel lors de sa rencontre avec le Pape François, mercredi 6 décembre 2023  (Vatican Media) Les dossiers de Radio Vatican

Roseline Hamel: «Le monde a besoin de gens qui se donnent»

De passage à Rome pour présenter l’édition 2024 du prix international Jacques Hamel, prix de journalisme en faveur du dialogue interreligieux, Roseline Hamel, sœur du prêtre assassiné par des islamistes radicaux en 2016, témoigne du pardon reçu et accordé aux familles des auteurs du meurtre de son frère.

Entretien réalisé par Jean Charles Putzolu – Cité du Vatican

Roseline Hamel a été reçue par le Pape François juste avant l’audience générale de ce mercredi 6 décembre. La sœur du père Jacques Hamel, assassiné le 26 juillet 2016 dans son église de Saint Etienne du Rouvray par deux jeunes islamistes radicalisés, a remis au Pape une copie d’une homélie de son frère pour le temps pascal, et le refrain d’une chanson qu’elle entonnait avec lui dans son enfance, “vienne la colombe, avec son rameau d’oliver, dans nos cœurs et dans ce monde où la paix reste à gagner“.

Roseline Hamel est présente à Rome pour présenter la prochaine édition du prix international Jacques Hamel qui récompensera le 26 janvier prochain à Lourdes, à l’occasion des journées saint François de Sales qui réuniront dès le 24 janvier des professionnels de la presse catholique de plusieurs pays, une œuvre journalistique en faveur du dialogue interreligieux. À travers ce prix, Roseline Hamel entend perpétuer la mémoire de son frère; elle entend aussi promouvoir le dialogue et la réconciliation.

Entretien avec Roseline Hamel

Roseline Hamel, quel est le sens pour vous de ce prix Jacques Hamel et le sens de cette mémoire que l'on honore aujourd'hui?

Dans le tumulte et le chaos que l'on vit beaucoup trop souvent, le monde a besoin de témoignages, de personnes qui se donnent pour retrouver la paix, malgré leurs blessures. C'est cela que l'on recherche dans les témoignages. Quand on voit ces reportages (sélectionnés pour le prix Jacques Hamel, ndlr), on les lit avec souffrance en prenant connaissance de ce qu’ont traversé des personnes blessées, battues, torturées, ou qui ont vu leurs proches succomber dans une inhumanité sans nom. Les gens ont besoin de savoir que malgré les souffrances qui se sont établies, beaucoup de gens de bonne volonté cherchent à rétablir la paix dans la rencontre, pour mieux comprendre et mieux rétablir des liens, pour que cela reconstitue un recommencement d'humanité dans leur pays.

Votre frère a consacré son sacerdoce à défendre la cause de la paix. Il y a aujourd'hui ce prix Jacques Hamel qui continue sur ce chemin. Vous même, bien que la douleur de la perte de votre frère ne s'éteindra jamais, vous avez fait une démarche de réconciliation avec la mère d’Adel Kermiche, l’un des deux assassins du père Jacques…

La rencontre avec Mme Kermiche fut le chemin que je cherchais pour donner un sens à ma vie, après avoir subi une telle violence en tant que victime collatérale. On était sur place, pratiquement au pied de l'église, et d'un seul coup on nous dit qu’il ne reviendra pas. Non seulement Jacques est mort, mais il est mort avec toute cette méchanceté humaine. Donc quand je suis allée voir Mme Kermiche, la première chose qu'elle a dite, évidemment, c'est que c’est son fils qui a agi de cette façon, et qu’elle me demandait pardon. Elle voulait nous rencontrer pour nous demander pardon et qu'on essaye de comprendre. On a partagé tout de suite cette douleur qui avait un sens différent. Mais, je me posais la question “qui peut souffrir plus que moi?”. C'est vrai que cette maman, qui a élevé ses enfants comme moi-même j’ai été élevée, porte une souffrance accablante. Elle me disait: “Vous comprenez, mon enfant, la chair de ma chair; j'ai dû appeler les gendarmes pour qu'ils le rattrapent et qu'ils mettent en prison parce que je ne pouvais plus gérer. Et quand j'ai appris comment il vivait en prison, auprès d'un adulte radicalisé, on l'a fait sortir, on a payé des avocats. Et pourquoi faire? Pour qu’il tue un religieux”. Elle porte en permanence ce manteau de culpabilité, en plus de la douleur d'avoir perdu son fils. Et elle nous a dit: “Voyez vous, vous avez subi, vous, chrétiens, et vous venez me rendre visite. Mais ma communauté m'a abandonnée”. Elle a été chargée de laver le corps de son fils et a découvert qu'il avait péri avec 50 balles dans le corps. Évidemment, des gens disent que c'est bien fait. Mais non! Ça n’aurait jamais dû se passer comme ça. Avoir à peine 18 ans et se livrer comme kamikaze pour l'amour de Dieu. Mais de quel Dieu? J'ai ressenti cette douleur accablante que je partage avec elle aussi souvent que je peux.


Et si j'avais pu, j'aurais rencontré les autres mamans. Je ne les ai vues qu'au procès, mais pendant le procès, nous n'avons pas pu nous approcher. Par contre, j'ai pu approcher quatre sœurs d'un détenu. Pendant une pause lors du procès, je suis allée les rencontrer sur les bancs où se plaçait le public et quand elles m'ont vu arriver, elles avaient un regard craintif et je leur ai tout de suite dit “Ne craignez rien! N'ayez pas peur de moi. Je suis venue vous vous dire ma compassion pour la peine qu'encourt votre petit frère”. Elles m'ont serré la main. Elles m'ont remercié. On a senti de l’apaisement. Au dernier jour du procès, elles m'ont attendu aux portes du palais de justice pour me parler plus longuement de leur jeune frère. Depuis tout petit, elles et leur mère n’avaient pas pu s'en occuper. On a parlé pas mal de temps et avant de partir, je les ai embrassées et je leur ai dit que maintenant, leur petit frère allait porter une lourde charge. “Soyez présente le plus possible, allez le voir parce qu'il aura beaucoup besoin de vous”. Ce jeune homme a été esseulé toute son enfance, placé dans un institut à son adolescence parce que la maman ne pouvait pas s'en occuper. Quatre enfants, quatre filles à charge plus le petit. Je leur ai dit qu'il aurait besoin des visites de ses sœurs beaucoup plus souvent. Et surtout qu’elles ne l'abandonnent pas.

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06 décembre 2023, 08:27