Lors d'une mission de sauvetage de l'ONG allemande Mission Lifeline, non loin de la Sicile, le 3 novembre 2022. Lors d'une mission de sauvetage de l'ONG allemande Mission Lifeline, non loin de la Sicile, le 3 novembre 2022.   (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Pour l'OIM, peu de choses ont changé depuis l'appel du Pape à Lampedusa

Flavio di Giacomo, porte-parole de l'Organisation internationale des Migrations, revient sur la situation migratoire en mer Méditerranée dix ans après la visite du Pape François sur la petite île italienne de Lampedusa. Plutôt que de criminaliser le secours en mer, il faut bâtir des politiques à long terme, plaide t-il.

Entretien réalisé par Olivier Bonnel - Cité du Vatican

Dix ans après la visite du Pape François sur la petite île italienne de Lampedusa, la situation des migrants, arrivant principalement du continent africain, ne s'améliore pas. Ces dernières années ont été marquées par la fin des opérations européennes Mare Nostrum et Sofia en Méditerranée, laissant à la charge de chaque État-membre de l'Union européenne le contrôle de ses frontières et la gestion des migrants. Devant les hésitations de Bruxelles dans la gestion des flux migratoires, les pays du Sud de l'Europe comme l'Italie se sentent parfois seuls. L'arrivée ces dernières années de gouvernements populistes n'a pas, bien au contraire, amélioré la situation des migrants. Ces derniers mois, les ONG de sauvetage en mer ont d'ailleurs été entravées dans leur travail, étant la cible de décrets-loi de plus en plus stricts. Une situation que déplore Flavio di Giacomo, porte-parole pour l'Italie de l'OIM, l'Organisation internationale des Migrations.

Flavio di Giacomo, porte-parole de l'OIM

En fait, après dix ans, je dirais que rien n'a changé. Même après les naufrages de Lampedusa, on a vu tous les politiciens européens et italiens se rendre à Lampedusa pour dire "plus jamais de morts en mer" mais la situation hélàs reste la même. On a calculé que depuis 2014 presque 27 000 personnes sont mortes dans la Méditerranée.

En plus, les contextes médiatique et politique pour la migration ne se sont pas améliorés, au contraire. À présent il y a moins de patrouilleurs, la priorité n'est pas de sauver les vies comme cela l'était encore en 2013-2014 jusqu'à 2017. À partir de 2017, on a assisté à une criminalisation des ONG. Nous sommes très préoccupés car les gens continuent à mourir en mer et il y a encore une narration très négative de la migration en Europe, selon laquelle toute l'Afrique est en train de venir en Europe. On sait très bien en fait que 85 % des flux migratoires africains restent en Afrique. 

Lampedusa est une île symbole, elle n'est pas loin de la Tunisie. Pourtant, c'est la porte de l'Europe. Que répondez-vous à ceux qui disent "Regardez, les flux migratoires continuent et se sont accélérés sur l'île de Lampedusa" ?

Il faut redire que ce n'est pas une urgence en termes de chiffres pour l'Italie et pour l'Europe. On a enregistré l'arrivée d'à peu près 67 000 migrants en Italie par la mer en 2023 jusqu'à aujourd'hui. C'est bien entendu une augmentation par rapport à 2021 et 2022, mais c'est à peu près le même chiffre qu'on avait enregistré en 2016-2017. 

Mais ces chiffres pour l'Europe qui a une population de 450 millions d'habitants, et pour l'Italie qui a une population de 60 millions d'habitants, ce n'est pas une chose énorme. Cela n'a rien de comparable avec ce qu'on a enregistré par exemple en Grèce en 2015, quand presque 1 million de Syriens sont arrivés de la Turquie. On ne peut pas comparer non plus ces chiffres avec les flux des Ukrainiens qui fuient la guerre. Près de huit millions d'entre eux ont quitté leur pays et l'Europe a été capable d'aider, donner une réponse excellente.

Il y a dix ans, le Pape François avait lancé un appel dénonçant "la mondialisation de l'indifférence". Aujourd'hui, on est toujours dans cette situation là?

Il semble que oui, cette mondialisation de l'indifférence n'est pas terminée. Il faut dire pour ce qui concerne les flux migratoires africains et du Moyen-Orient, il y a une indifférence croissante de la part de l'opinion publique européenne. Il faut travailler là-dessus. C'est la responsabilité des hommes politiques mais aussi des médias. Il faut travailler tous ensemble pour changer cette situation car en fait, on sait très bien que pour faire face au phénomène de la migration, il faut mettre en place des politiques de long terme. Or on est confronté à une vision à court terme qui ne regarde qu'à deux ou trois mois, aux prochaines élections. Il est nécessaire aussi de résoudre les problèmes qui sont la cause des décisions des personnes à émigrer. Eviter aussi de renvoyer les personnes dans les pays de départ car ils vont être encore une fois victimes de violences, d'abus des droits humains. Le Pape François joue un rôle très important, nécessaire dans la narration de la migration aujourd'hui. Il est important encore aujourd'hui d'entendre sa parole, ses appels, pour exhorter les consciences à bouger sur cette question migratoire. 

 

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08 juillet 2023, 16:51