Des enfants juifs hassidiques d'Ukraine réfugiés, au bord du lac Balaton, en Hongrie, le 11 juillet 2022 Des enfants juifs hassidiques d'Ukraine réfugiés, au bord du lac Balaton, en Hongrie, le 11 juillet 2022 

Mario Primicerio: la sécurité est possible «seulement avec les autres»

Entretien avec Mario Primicerio sur la guerre en Ukraine, les paroles du Pape et les solutions de négociation envisageables: il faut «se référer aux principes de l'OSCE qui se fondent sur l'intégrité territoriale des États membres et prévoient une large autonomie pour les territoires habités par des minorités ethniques», estime l’ancien maire de Florence et mathématicien italien.

Andrea Tornielli

«Dans un monde globalisé, cela n'a aucun sens de penser à une sécurité "contre les autres", car seule une sécurité "avec les autres" est possible». C'est ce qu’explique le professeur Mario Primicerio, mathématicien, ancien maire de Florence dans les années 1990. Il a accompagné Giorgio La Pira – à l’époque maire de Florence - à Hanoi, lors de sa rencontre avec Ho Chi Minh, alors que la guerre du Vietnam avait déjà commencé. Primicerio a été président de la Fondation Giorgio La Pira. Nous lui avons demandé de commenter les appels de François et les solutions négociées qu'il considère possibles concernant le conflit en Ukraine qui a débuté en février dernier par une agression russe.

Lors de l'angélus du dimanche 17 juillet dernier, le Pape a déclaré: «Je prie et j'espère que tous les acteurs internationaux travailleront réellement pour reprendre les négociations, et non pour alimenter l'absurdité de la guerre». Pourquoi la négociation est-elle si difficile ?

Essentiellement parce que, comme l'a dit le Pape à la même occasion, «la guerre (...) tue la vérité et le dialogue» et ne laisse que l'illusion qu'il est possible de résoudre les conflits internationaux par des moyens militaires. Il faut plutôt se rendre compte qu'une solution avec un gagnant et un perdant est impossible, notamment dans le cas du conflit en Ukraine. En revanche, une victoire de la Russie, qui serait la défaite de la légalité internationale, serait inacceptable, tout comme une défaite de celle-ci, qui provoquerait une situation de revanchisme instable aux conséquences imprévisibles. La seule solution passe donc par la négociation, en commençant par un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, sous surveillance internationale, qui mettrait fin aux atrocités de la guerre: "vim fieri veto" (j'interdis l'usage de la violence, ndlr) comme le dit l'interdictum du juriste romain Gaius, que Giorgio La Pira citait souvent.

De nombreuses voix autorisées affirment qu'il n'est pas possible de commencer à parler de paix tant que la Russie refuse de le faire avant d'avoir pris une partie du territoire ukrainien, et que l'Ukraine refuse de le faire tant que les troupes russes occupent le sol du pays. Des positions qui semblent irréconciliables.

Mais la tâche de la politique - et, dans ce cas précis, celle de la diplomatie - est précisément de rendre possible le souhaitable, et donc de rechercher les points de rencontre possibles où chacun des prétendants renonce à une partie de ses exigences initiales, tout en pouvant se présenter à l'opinion publique comme le vainqueur substantiel du différend.

Quel est et quel devrait être, selon vous, le rôle de la diplomatie et notamment de la diplomatie européenne en ce moment?

Je crois qu'une diplomatie de médiation doit éviter de prendre parti de manière aprioristique sur la défense à outrance de la position de l'un des deux prétendants ; nous devons nous garder de la tentation de considérer ce conflit comme une "guerre sainte" contre "l'empire du mal" de la mémoire de Reagan. Cela ne doit cependant pas signifier se contenter d'un jugement d'équidistance entre les deux. Ce que l'on peut définir comme un "pacifisme politique" doit partir de la situation actuelle de manière réaliste, mais proposer une perspective pour la surmonter.

Quelles propositions de négociation vous semblent possibles pour parvenir à une trêve et ensuite construire une paix durable?

La situation concrète, que nous le voulions ou non, nous voit revenir des décennies en arrière vers une politique de confrontation et de puissance. La Russie poursuit avec nostalgie son rôle passé de grande puissance internationale et considère avec suspicion toute menace à ses frontières orientales. Dans cette situation, il est logique de proposer une sorte de "ceinture de neutralité" s'étendant de la Baltique à la mer Noire. Et d'invoquer les principes fondamentaux de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, qui reposent sur l'intégrité territoriale des États membres et prévoient en même temps une large autonomie pour les territoires habités par des minorités ethniques. C'est la raison pour laquelle je considère que tout élargissement de l'OTAN est inapproprié, du moins à l'heure actuelle, et je suggère d'envisager un moratoire sur les demandes d'adhésion de la Suède et de la Finlande.


Selon vous, a-t-on fait tout ce qui était possible pour empêcher cette guerre avant qu'elle n'éclate, puis pour l'arrêter une fois qu'elle a éclaté?

Je ne peux pas dire s'il a été possible d'éviter l'éclatement du conflit, mais il semble que la Russie et les États-Unis aient fait preuve d'une sorte de "nostalgie des barrières historiques", dans l'espoir que "faire jouer ses muscles" serait payant en termes de consensus interne. Malheureusement, dans tout cela, l'Europe a brillé par son absence. Incapable d'élaborer et d'exprimer une politique étrangère, elle a montré qu'elle est toujours coincée dans l'Europe gaulliste des patries et incapable de devenir une Europe des peuples. Et dire que, précisément à ce moment tragique de l'invasion de l'Ukraine, elle aurait pu - et peut-être encore - jouer un rôle décisif. C'est certainement l'Europe qui paie le prix le plus élevé pour cette guerre. L'évolution du taux de change euro-dollar au cours des quatre derniers mois a-t-elle une signification?

Lors de l'angélus du dimanche 3 juillet, le Pape François a appelé à une paix qui ne soit plus «fondée sur l’équilibre des armements, sur la peur mutuelle». Quel avenir nous attend après ce conflit au cœur de l'Europe?

Nous devons réagir contre la tentation de croire à l'inévitabilité de la guerre et de nous habituer à ses horreurs. Dans un monde globalisé, il est insensé de penser à la sécurité «contre les autres», car seule la sécurité «avec les autres» est possible. Ce ne sont pas les autosuffisances autarciques qui nous sauveront, mais seulement la conscience de l'interdépendance dans un destin commun. Cela peut sembler être des rêves utopiques, mais - comme La Pira le disait et comme le magistère du Pape François nous l'enseigne chaque jour - en fin de compte, l'histoire s’abandonnera à l'utopie.

Les médias du Vatican publient des éclairages sur les propos du Pape François concernant la guerre en Ukraine et les solutions possibles pour une négociation : les personnes interrogées expriment leurs opinions qui ne sont pas attribuables au Saint-Siège.


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22 juillet 2022, 15:34