Messe de Pâques en la co-cathédrale latine du Père Miséricordieux de Zaporijjia, le 31 mars 2024. Messe de Pâques en la co-cathédrale latine du Père Miséricordieux de Zaporijjia, le 31 mars 2024.   (AFP or licensors)

Le nonce apostolique en Ukraine raconte Pâques à Zaporijjia bombardée

Entretien avec le nonce apostolique en Ukraine, Mgr Visvaldas Kulbokas, qui a passé la fête de la Résurrection dans la ville du sud de l’Ukraine frappée par les attaques russes.

Svitlana Dukhovych - Cité du Vatican

Excellence, vous avez passé Noël avec la communauté catholique de Kharkiv, l'une des villes les plus durement touchées par les attaques russes. À présent, pour Pâques, vous vous êtes rendu à Zaporijjia, autre ville bombardée presque tous les jours. Est-ce un choix de votre part de célébrer les fêtes les plus importantes avec ceux dont la vie est constamment en danger?

Oui, c'est un choix. Il est important pour moi de prier pendant des fêtes aussi importantes que Noël et Pâques aux cotés de gens qui regardent la prière avec un désir ardent, avec un élan d'esprit propre, parce qu'ils n'ont pas d'autre possibilité. Personne ne les sauvera tant la terreur de la guerre est forte.

Pour les catholiques de ces régions proches du front militaire, il est important que nous soyons avec eux. C'est aussi parce que l'aide humanitaire est moins importante à Zaporijjia, à Kherson, mais aussi à Kharkiv. Par exemple, les organisations catholiques recevant, entre autres, le soutien du Saint-Père lui-même par l'intermédiaire de son aumônier, le cardinal Konrad Krajewski, sont très actives ici.


Pour moi, c'est donc aussi une façon de voir comment cette aide arrive, comment elle est distribuée. J'ai également constaté le nombre de personnes qui ont besoin d'aide, même dans une ville comme Zaporijjia, et j'ai vu dans les yeux des gens qui reçoivent un morceau de pain et quelque chose pour l'accompagner: ils sont vraiment reconnaissants parce qu'ils n'ont rien. Et comme beaucoup d'entre eux ont perdu leur emploi parce que les usines ne fonctionnent pas à cause de la guerre, le nombre de personnes qui a besoin de cette aide ne cesse d'augmenter. C'est donc important pour moi et je pense que c'est encore plus important pour les catholiques qui vivent ici.

Comment se sont déroulées les célébrations de Pâques? Qui avez-vous rencontré et quelle est l'atmosphère à Zaporijjia, en particulier parmi les catholiques?

J'ai également rencontré la communauté gréco-catholique, mais seulement brièvement, car pour eux, Pâques arrive plus tard, en mai. J'ai donc consacré davantage des moments de prière aux catholiques romains, qui ont vécu des célébrations très recueillies, parce qu'il n'y a pas d'autre soutien à leur offrir. Pâques est donc encore plus important pour eux que dans les pays en paix, car en temps de guerre, le risque est grand de sombrer dans le désespoir humain, voire psychologique, en raison de tant de brutalités, de tant de difficultés. Il y a même des malentendus parce que, par exemple, j'ai aussi rencontré des volontaires de différents territoires et ils disent que dans leurs pays la compréhension est parfois incorrecte, elle est véhiculée par la propagande.

Ils viennent ici et découvrent une réalité différente, beaucoup plus touchante, beaucoup plus vécue, et ils veulent ensuite retourner en Ukraine parce qu'ils voient que la propagande politique oublie parfois ces besoins, se concentre sur les plus petites choses qui ne sont pas vues, et ne voit pas les choses les plus importantes. J'ai été très heureux de la manière dont nous avons pu prier ensemble: nous désirons vraiment que le Seigneur soit notre lumière, qu'Il soit notre Résurrection, qu’Il soit notre paix.Y-a-t-il un moment précis des célébrations de Pâques qui vous semble le plus approprié à la situation actuelle que vivent les gens là-bas?

Le rite d’ouverture de la veillée pascale a été très émouvant, car le rite commence par l'extinction des lumières. Cette obscurité évoque vraiment la guerre et une seule lumière reste allumée -le cierge pascal, Jésus qui brille dans l'obscurité. Pour moi, ce fut le moment le plus émouvant, car il montre que la guerre a été inventée par des hommes qui osent attaquer les autres sans demander l'avis du Seigneur qui est le Créateur. Cependant, la lumière du Christ reste allumée au milieu de nous.

Il ne se passe pas un jour sans que des villes et des villages ukrainiens ne soient attaqués, entraînant la mort de personnes et la destruction d'infrastructures. Sans parler des pertes humaines sur le front. La mort plane sur le pays. Dans ce contexte, quel sens ont les mots "Christ est ressuscité"?

Ces mots sur la résurrection de Jésus ont une signification très importante, je dirais beaucoup plus importante que dans les pays en paix, aussi parce que tôt ou tard la vie s'arrête, à cause de la guerre ou pas, et il reste, même au milieu de la guerre, cette lumière que personne ne peut éteindre, que personne n'est en mesure de nous enlever. Jésus est la certitude, le fondement, l’espérance, car les autres espérances n'existent pratiquement pas. C'est le sens fondamental et il est très clair dans les zones de guerre comme celle-ci. Par exemple, tout près de la cathédrale catholique romaine de Zaporijjia est enterré un homme que je connaissais: l'avocat Denys Tarasov, qui a même fait partie du comité technique de l'initiative du Saint-Père "Le Pape pour l'Ukraine". Avant l'attaque russe [ndlr: à grande échelle], il s'occupait de questions humanitaires, puis la guerre l'a forcé à défendre son pays et il a perdu la vie. Ainsi, avant je le connaissais vivant, je connais maintenant sa tombe, c’est pareil pour d’autres personnes. Mais même lorsqu’on perd la vie injustement, de manière si agressive, la résurrection demeure. C’est une évidence encore plus poignante à l'ère de la guerre.

Dans son message de Pâques Urbi et Orbi, le Pape a lancé un appel à un échange général de tous les prisonniers entre la Russie et l'Ukraine. Vous êtes personnellement très engagé dans cette cause. Selon vous, quelle est la signification de cet appel du Saint-Père?

Nous avons écouté cet appel du Saint-Père avec beaucoup, je ne dirais pas de satisfaction, parce que la satisfaction viendra s'il y a un effet, mais avec beaucoup d'attention et vraiment en union spirituelle, parce que pour moi, être ici dans la région de Zaporijjia signifie aussi être dans la zone où nous sommes le plus proche de la vie de tant de prisonniers. Pour moi, ce serait une Pâque encore plus grande si je pouvais aller rendre visite aux prisonniers. Et lorsque le Pape lance l'appel à un échange total de tous les prisonniers, il ne s'agit pas d'un simple appel, mais d'un appel qui concerne de nombreuses vies, plusieurs milliers de personnes qui non seulement n'ont pas la possibilité de célébrer Pâques, mais aussi les deux prêtres gréco-catholiques qui ont été emmenés ici depuis Berdiansk, pas si loin de Zaporijjia, puisqu'il s'agit de la même région.

Ma pensée est donc encore plus intense avec eux et pour eux: pour ces prêtres, il n'y a même pas la possibilité de célébrer Pâques. Il s'agit d'un appel très humanitaire que le Pape adresse à tous les croyants et non-croyants, mais aussi d'un appel à prier pour que le Seigneur ouvre les cœurs de ceux qui sont politiquement responsables de ces échanges de prisonniers. J'ajouterais ici les paroles du Saint-Père dans les méditations du Chemin de Croix du Vendredi Saint, en disant qu'en se trouvant sur des terres éloignées de la guerre, on court parfois le risque de ne pas pleurer avec Jésus et de penser à la guerre de loin. Et justement, cet appel, exprimé par le Saint-Père aujourd'hui, en ce dimanche de Pâques, est une manière d'être proche, de s'intéresser réellement et concrètement à ceux qui souffrent le plus, et ceux qui souffrent le plus, ce sont eux: les prisonniers, les blessés et ceux qui perdent la vie dans cette terrible guerre.

Vous dites que ce serait une Pâque encore plus grande si vous pouviez rendre visite aux prisonniers. Que voulez-vous dire?

Mon plus grand souhait reste de pouvoir rendre personnellement visite aux prisonniers, à ceux que je ne peux pas visiter. Ici, en Ukraine, je peux leur rendre visite, j'ai même pu rendre visite à des prisonniers russes détenus ici. En revanche, je sais que mon collègue en Russie ne peut pas rendre visite aux prisonniers ukrainiens et qu'aucun représentant de l'Église ne peut leur rendre visite, pas même les prêtres gréco-catholiques.

C'est pour moi un très lourd fardeau: savoir que des personnes se trouvent dans des conditions si difficiles et que même le commandement de Jésus -va rendre visite à ton frère qui est en prison- ne peut tout simplement pas être respecté. Et dans quelles conditions restent-ils? Tant d'anciens prisonniers qui ont été libérés m'ont dit que c'était là la plus grande épreuve: perdre la confiance, perdre l'espérance, perdre la foi. Je sais donc que pour eux, la foi est presque la seule chose qui reste, mais on aimerait aussi toucher cette foi, les encourager, car sinon leur souffrance reste immense et il n'y a pas de possibilité de leur rendre visite.

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01 avril 2024, 11:00