La croix a été montée dans les airs par une grue et installée au sommet de la nouvelle flèche de la cathédrale parisienne, le 6 décembre 2023. La croix a été montée dans les airs par une grue et installée au sommet de la nouvelle flèche de la cathédrale parisienne, le 6 décembre 2023.   (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Notre-Dame de Paris, chantier fidèle à la matérialité et à l’âme des pierres

Son illustre flèche, sertie d’une couronne dorée surmontée d’une croix, renaît sous les yeux des Parisiens en ce mois de décembre. 96 mètres, identique à l’œuvre de Viollet-le-Duc. Cœur battant de l’île de la Cité, le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris avance selon les rythmes prévus afin que dans un an, dimanche 8 décembre 2024, solennité de l’Immaculée Conception, la réouverture fonctionnelle à la liturgie et à la visite ait lieu.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

«Vaste symphonie en pierre», «produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d'une époque, où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l'ouvrier disciplinée par le génie de l'artiste». Du génie architectural de la Reine mère des cathédrales, Victor Hugo et son chef d'œuvre éponyme en parle le mieux. L'édifice gothique n’avait jamais été fermé au culte catholique par le passé, hormis durant la Terreur. Voilà quatre ans et demi qu’il l’est, des suites du premier incendie de ses huit siècles et demi d’histoire. Partiellement réduite en cendres à l’orée de la Semaine sainte, le 15 avril 2019, la cathédrale rouvrira ses portes dans un an, après cinq ans de restauration et de reconstruction bien particulières.

 

Un chantier similaire à ceux des cathédrales françaises après les grands incendies du XIXᵉ, comme à Rouen ou à Chartres, qui présente cette fois la spécificité d’une reconstruction à l’identique. Au moyen même de techniques de pose médiévales pour la charpente notamment, il mobilise un millier d’artisans en France, et recourt à l’excellence européenne, dont deux architectes italiens et certains ateliers allemands.  

Mathieu Lours, historien de l’architecture religieuse, nous dessine les contours de cette renaissance. Il est l’auteur du beau-livre La Grâce des Cathédrales - Une esthétique du sacré, éditions Place des Victoires, 318 p.

Entretien avec Mathieu Lours, historien de l'architecture religieuse

Quelle est la particularité du chantier de Notre-Dame en comparaison à d'autres chantiers historiques de cathédrales?

Il faut regarder vers les guerres mondiales, car le chantier de Notre-Dame est assez proche de ce que l’on a pu connaitre après la Première Guerre mondiale en France. Il a fallu relever les cathédrales de Reims, de Soissons, de Noyon par exemple, où il fallait faire travailler tous les corps de métier ensemble pour faire renaître des édifices. Nous sommes quasiment dans un après-guerre pour Notre-Dame. Le chantier est aussi semblable à ceux connus après les grands incendies de cathédrales du XIXᵉ siècle, par exemple à Rouen en 1822 ou à Chartres en 1836. Avec la différence qu’à Notre-Dame de Paris les voûtes ont cédé, alors qu'à Chartres et à Rouen les voûtes avaient tenu, donc il s’agissait surtout de travaux de charpente dans ces deux cas-là.

Nous voyons les charpentiers fourmiller, recourir aux mêmes techniques de pose qu’au Moyen-Âge. Que nous dit la reconstruction de Notre-Dame des bâtisseurs de cathédrales de notre temps?

Nous sommes dans un siècle de la patrimonialisation, c'est-à-dire que l'on veut retrouver non seulement Notre-Dame telle qu'elle était avant, mais aussi l'authenticité des matériaux, l'authenticité au sens de conformité à l'état antérieur. Nous ne procédions pas ainsi autrefois. Par exemple, lorsqu'on reconstruit la cathédrale de Reims après la Première Guerre mondiale, on construit une charpente en ciment moulé. Quand on reconstruit la charpente de la cathédrale de Nantes en 1972, après l'incendie, on la reconstruit avec des murs coupés en béton.

Là, cette fois-ci, on fait le choix non seulement de l'esthétique, mais le choix de la conformité de la structure du matériau. C’est exceptionnel et très nouveau. On est vraiment dans l'âme du XXIᵉ siècle. Un siècle qui cherche des continuités avec l'histoire, à patrimonialiser et à avancer du point de vue des monuments historiques, vers une restitution la plus fidèle possible. Y compris du geste avec lequel on va poser les différentes fermes et les différents entraits de la charpente avec ce mélange des matières.

Avec ce mélange des matières, la pierre, le bois, le verre, quel est le génie architectural d’une cathédrale comme Notre-Dame?

C'est un exploit, mais il faut savoir que l'excellence française en la matière s'est exercée de manière ininterrompue. Depuis le Moyen-Âge, nos artisans sont intervenus sur des cathédrales gothiques, même quand l'on ne construisait plus de gothique, car il fallait bien les entretenir conformément à leur style.

Cela nous dit beaucoup de la capacité de ces métiers à s'adapter aux attentes du temps. Les artisans d'excellence et les scientifiques travaillent en parallèle. L’accompagnement scientifique du chantier, géré par le ministère de la Culture et par le CNRS, permet de mieux connaître les techniques avec lesquelles Notre-Dame avait été construite. Il y a neuf équipes, l'une s'occupe de la pierre, l'autre du verre, une autre du métal. Nous découvrons des éléments utiles pour d'autres chantiers de cathédrales. Par exemple, nous avons découvert que Notre-Dame de Paris, dès le XIIe siècle, était cerclée en métal dans les parties hautes et que donc la structure des parties hautes n’est pas seulement de la virtuosité de la pierre, mais une collaboration entre les artisans de la pierre et les artisans du métal. La maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage travaillent conjointement sur tous les matériaux. Souvent cela nous manquait un petit peu comme connaissance parce que les textes ont disparu. Or, avoir la possibilité d'entrer dans la matérialité d'une cathédrale permet de combler le vide de certaines sources.

Ce chantier est-il le moyen de revaloriser des filières d'excellence, d'artisanat et de maîtrise d'œuvre?

Incontestablement le chantier de Notre-Dame contribue à une revalorisation des savoirs faire, de l'artisanat d'excellence et surtout de la capacité des entreprises à répondre dans l'urgence à des défis majeurs.

C'est important pour la France, certes, parce que nous avons des chantiers patrimoniaux immenses qui nous attendent. Pour une Notre-Dame à refaire, combien d'églises rurales, combien de châteaux, combien de demeures, d'enceintes fortifiées ont besoin de ce type d'intervention.

Et c'est une formidable vitrine pour l'excellence française à l'étranger. Actuellement, dans les pays émergents, on assiste à une soif de restauration patrimoniale, d’exaltation des monuments nationaux. Que la France puisse donc se positionner comme modèle à la fois pour la formation d’artisans d’art, pour l’intervention sur site, en terme également de conseil, est évidemment l’un des défis majeurs du XXIᵉ siècle.

“Pour une Notre-Dame à refaire, combien d'églises rurales, combien de châteaux, combien de demeures, d'enceintes fortifiées ont besoin de ce type d'intervention.”

Quelle est l’ampleur de la dimension européenne du chantier?

La dimension européenne est présente avec en particulier les deux architectes italiens qui travaillent, soit avec l'INRAP, soit avec le ministère de la Culture, pour mieux connaître, mieux modéliser les éléments archéologiques trouvés ou la charpente, aussi des ateliers allemands.

Rappelons-nous que le chantier de Notre-Dame, à la différence des autres chantiers patrimoniaux en cours, n'était pas planifié.

Il est arrivé en 2019, au moment où les entreprises avaient déjà leurs carnets de commandes plein. Il a fallu une mobilisation sans précédent. Cette mobilisation a ruisselé sur certains ateliers d'excellence des pays voisins, en particulier allemands.

C'est aussi quelque chose qui existait autrefois à l'époque gothique, la cathédrale de Cantorbéry, en Angleterre, a eu un maître d'œuvre français, Guillaume de Sens. La circulation de l'excellence a permis l’Europe des cathédrales.

Quel regard nouveau poser sur Notre-Dame après la catastrophe? Comment la cathédrale se laisse-t-elle redécouvrir?

Il y a une prise de conscience dans la sidération face à l'incendie. Dans les images de Notre-Dame en ruines, on s'est rendu compte que le patrimoine n'est pas immuable. On s'imaginait peut-être parfois qu'à peu de frais, on pouvait effectivement entretenir le patrimoine a minima. Cela ne suffit pas.

Il faut une prise en compte globale des événements catastrophiques qui peuvent intervenir, les anticiper à travers la sécurisation des circuits électriques, le nettoyage des parties où les incendies peuvent prendre facilement. On a découvert que la mobilisation ne suffit pas au moment du drame. Dans le même temps, cette mobilisation au moment du drame, permet de créer de nouvelles solidarités.

Les 300 000 donateurs sont des personnes qui, clairement, ont manifesté leur attachement au patrimoine, ont été capables de faire un don. Ce modèle est peut-être transposable à d'autres éléments du patrimoine en péril. Je pense aux petites églises rurales au chevet desquelles le président de la République s'est rendu il y a quelques semaines, et qui nécessitent une anticipation avant des choix drastiques de démolition ou d'abandon.

Quelle sera l'identité de la cathédrale après toutes ces métamorphoses?

C'est une métamorphose paradoxale car pour la première fois dans son histoire, Notre-Dame de Paris se métamorphose pour redevenir identique à ce qu'elle était. Notre-Dame de Paris en a connu au cours de son histoire, mais à chaque fois pour être différente, pour être dans le style de son époque. Cette fois-ci, on la métamorphose de manière à ce qu'elle soit conforme à son dernier état connu, celui de Viollet-le-Duc.

À l'intérieur, en revanche, l'on va assister à une métamorphose qui relève de ce qu'on a connu dans les siècles passés avec le nouvel aménagement liturgique. Il relève d'un projet réalisé par Guillaume Bardet sur commission de l'archevêque et avec acceptation par la Commission nationale de l'architecture et du patrimoine.

C'est le moment où la cathédrale va réaffirmer son âme, celle d'être un édifice affecté au culte catholique. Par ce geste artistique et liturgique, l'archevêque de Paris rappelle que c'est l'Église catholique qui livre aux fidèles cette âme de Notre-Dame, son autel, son tabernacle, la présence réelle, l'exaltation de ses reliques à travers le nouveau reliquaire de la couronne d'épines et des autres reliques de la Passion.

L'Église aura là l’occasion de rencontrer des millions de visiteurs, d'afficher son ancrage dans une modernité esthétique, dans la continuité des siècles.

Le 15 avril 2019 fut spectaculaire dans son caractère dramatique. Pensez-vous que le 8 décembre 2024, la réouverture de Notre-Dame, le sera tout autant dans sa renaissance?

Le 8 décembre 2024 va marquer l'histoire de Notre-Dame de Paris. Tout le monde ne pourra pas assister à cette cérémonie comme tout le monde a pu assister à l'incendie. Néanmoins, par le biais de la télévision, d'Internet, des millions de personnes vont assister à cette cérémonie. De chœur, la planète entière vibrera à nouveau aux accents de Notre-Dame. Une sorte de cycle de drame et de reconstruction sera bouclé et fera partie des grandes émotions du XXIᵉ siècle.

C’est un processus de résilience, nous aurons l’impression d'un retour au cours normal des choses, et dans le même temps, d'avoir une Notre-Dame encore plus belle et lumineuse qu’auparavant.

C’est un retour au cycle qu'avaient connu nos cathédrales au Moyen-Âge, celui des incendies providentiels. Il n’y aurait pas de cathédrale de Chartres ou de cathédrale de Reims s’il n’y avait pas eu un incendie qui avait détruit la précédente.

“C'est le retour du cycle médiéval des incendies providentiels. Il n’y aurait pas eu de cathédrale de Chartres ou de Reims si un incendie n'avait pas détruit la précédente.”

Naturellement, il ne s'agit pas de souhaiter des drames, mais de dire qu'on est capable de surmonter le drame et que le monument blessé, laissé en ruines, qui rappelle le drame, est transmuté par le monument restauré après le drame, qui est à la fois le monument précédent et autre chose. L'histoire a ajouté quelque chose à Notre-Dame. Et là, ce ne sera pas un ajout par un geste architectural contemporain, mais par une restauration absolument exemplaire.

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07 décembre 2023, 13:00