Rencontre entre la présidence tunisienne et la présidente de la Commission européenne, accompagnée des premiers ministres italien et néerlandais, dimanche dernier à Tunis. Rencontre entre la présidence tunisienne et la présidente de la Commission européenne, accompagnée des premiers ministres italien et néerlandais, dimanche dernier à Tunis.  Les dossiers de Radio Vatican

Les migrants face à un possible accord UE-Tunisie

Alors que l’Union européenne propose un partenariat renforcé à la Tunisie, l’archevêque de Tunis revient sur la crise économique que traverse le voisin méditerranéen, de l’impossibilité d’un contrôle total des flux migratoires et de la manière dont l’Église tâche d’aider les migrants à rentrer dans leur pays d’origine.

Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican

«Il est de notre intérêt commun de renforcer notre relation et d'investir dans la stabilité et la prospérité», affirmait la présidente de la Commission européenne dimanche dernier en Tunisie, où elle était accompagnée des Premiers ministres d'Italie et des Pays-Bas.

Premier partenaire commercial et premier investisseur en Tunisie, l’Union Européenne souhaite établir «un partenariat renforcé» avec Tunis et se dit prête à apporter une aide à long terme, pouvant dépasser le milliard d’euros au pays du Maghreb actuellement étranglé par une dette à hauteur de 80% de son PIB. Bruxelles promet notamment des investissements dans le numérique et les énergies renouvelables.

Entretien avec Mgr Ilario Antoniazzi, archevêque de Tunis.

Ce genre d’accord «aide toujours», mais l’archevêque de Tunis se dit «sceptique». Il craint l’exigence, en contrepartie, de réformes qui pourraient rendre la vie des Tunisiens encore plus difficile, telles que celles souhaitées par le FMI.

Depuis des mois, le président Saied négocie en effet un nouveau crédit avec le Fonds monétaire international, en vain. Le FMI réclame une restructuration de la centaine d'entreprises publiques lourdement endettées et la levée de certaines subventions étatiques sur les produits de base, ce que se refuse à faire le chef d’État tunisien.

Une économie des plus fragiles

«Ici il y a une grande crise humanitaire. L’économie ne tient pas debout», explique Mgr Ilario Antoniazzi. «Il y a des jours où l’on ne trouve pas de pain, et de nombreuses boulangeries de Tunis ont dû fermer parce qu’il n’y avait pas de farine. Alors si on commence à augmenter les taxes et à ne pas soutenir même le prix du pain… »

On ne connait pas les termes exacts du protocole d’accord conclu le 11 juin dernier entre l’Union européenne et la Tunisie et qui pourrait aboutir à un accord bilatéral d’ici la fin du mois de juin, mais la question migratoire est en jeu.

En pleine réforme du droit d’asile, les dirigeants européens sont attentifs aux départs d’embarcations des côtes tunisiennes vers l’Europe, notamment la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni qui a multiplié les déplacements en Tunisie ces derniers jours. Selon les dernières statistiques du HCR, 51.215 migrants sont arrivés clandestinement par la mer en Italie depuis le début de l'année (+154% sur un an), dont plus de 26.000 de Tunisie.

L’UE fournira «cette année à la Tunisie 100 millions d'euros pour le contrôle de ses frontières, la recherche et sauvetage» de migrants, a assuré Ursula Van der Leyen, pour lutter dit-elle contre le «business cynique» de l'immigration clandestine.

La question centrale de la migration

À l’issue de la rencontre de dimanche dernier, la présidence tunisienne a garanti la fermeture des frontières sud du pays, mais en ce qui concerne les rapatriements, la porte ne sera ouverte qu'aux Tunisiens en situation irrégulière, prévenait-elle. Le président Saied a fait savoir «que la solution que certains soutiennent secrètement d'accueillir des migrants en Tunisie en échange de sommes d'argent est inacceptable, tout comme les solutions sécuritaires se sont révélées inadéquates, voire ont augmenté la souffrance des victimes de la pauvreté et de la guerre».

Concernant la gestion des flux migratoires, Mgr Antoniazzi est clair, la Tunisie n’a jamais cessé de faire des efforts, elle ne s’est jamais soustrait à ses responsabilités, mais «on lui demande quelque chose de plus grand qu’elle-même. C’est un pays pauvre où tout le monde arrive car beaucoup n’ont pas besoin de visa pour venir ici. En outre, le désert est grand et on le traverse facilement. On s’échappe aussi de Libye pour venir chez nous. Pour ces raisons, je ne crois pas que la Tunisie puisse contrôler à 100% la migration. Là aussi, je suis sceptique».

La perspective de contrôles renforcés intervient dans un contexte déjà sensible pour les migrants subsahariens, qui représentent 0,2% de la population en Tunisie mais jusque 95% des fidèles catholiques dans le pays.

Des églises dépeuplées

Fin février, ils étaient la cible d’une discours politique qui a entrainé une vague de violence raciste, incluant des passages à tabac, des expulsions de logement ou des licenciements inopinés et injustifiés. «On ne célébrait plus la messe», explique Mgr Antoniazzi. «Maintenant la situation s’est tranquillisée, mais on s’est aperçu que, dans beaucoup d’églises, le nombre de chrétiens a diminué de manière radicale».

L’archevêque de Tunis rapporte que la semaine passée, à Sfax, le président Saied est allé à la rencontre de migrants, les appelant à ne pas avoir peur, les assurant que la Tunisie protège ceux qui sont en règle ou se mettrons en règle. «Alors la question est de savoir combien seront capables de se mettre en règle et quelle seront les conséquences s’ils n’y parviennent pas, si la police fermera un œil ou non. On le verra dans le futur». Les migrants présents sur le sol tunisien sont souvent en situation irrégulière car ils n’ont pas la possibilité de payer un billet d’avion ou la résidence, qui doit être assortie d’un projet de travail ou d’étude. Chaque semaine sans document est en outre passible d’une amende.

Le président Kais Saied avec un migrant à Sfax.
Le président Kais Saied avec un migrant à Sfax.

Tentative d’aide au retour de la Caritas

La Caritas «petite et fragile» fait de son mieux pour aider tout frère en difficulté, en particulier les migrants subsahariens. Elle leur apporte un soutien juridique, mais aussi sanitaire. L’archevêque de Tunis qui est également en charge de Caritas souligne et salue l’aide de nombreux médecins tunisiens qui apportent une contribution importante en offrant des soins et des médicaments gratuits à ceux qui viennent de la part de l’organisation caritative de l’Eglise.

L’équipe de Caritas est dans l’incapacité de monter de «gros projets» mais fait de son mieux pour permettre également aux migrants de rentrer chez eux, en leur enseignant par exemple un métier -coudre, faire du pain, etc. «Il y a des contacts entre Caritas en Tunisie et la Caritas de leur pays d’origine, si bien que s’ils rentrent ils sont attendus et aidés», explique Mgr Antoniazzi. Le prélat italien note cependant que «très souvent, c’est un défi dont on sait qu’il est perdu depuis le commencement. Une fois qu’ils sont ici, ils ne reviennent pas dans leur pays car pour venir ici, ils ont dû vendre leur maison, des terrains, et rentrer les mains vides pour eux, c’est très difficile. On me la dit parfois, je préfère mourir dans la Méditerranée que rentrer chez moi les mains vides. Que pouvez-vous dire devant une phrase pareille ?»

 

 

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15 juin 2023, 18:37