L’émancipation des femmes maraîchères de Kinshasa grâce à la Caritas

Dans le sillage de l’encyclique du Pape François, Laudato si’, Caritas Kinshasa, avec le soutien de nombreuses ONG et organismes internationaux, mène un projet auprès des maraîchers de la capitale pour améliorer leurs récoltes et leurs revenus tout en respectant l’environnement et la santé. En plein développement, «le projet Elikya» commence déjà porter ses fruits.

Xavier Sartre – Envoyé spécial à Kinshasa, RDC

Les jardins maraîchers se succèdent le long de la route en construction. Le bandeau de bitume s’étire le long de la rivière N’Djili, dans la grande banlieue de Kinshasa, sur la commune de N’Sele, au sud-est de la mégapole. Le fracas de la ville laisse la place à la quiétude de la campagne. C’est tout au bout de cette voie que se trouve une concession de l’archidiocèse de Kinshasa mise à disposition de Caritas Kinshasa pour son ambitieux projet Elikya – «espérance» en lingala, la langue la plus parlée parmi la population de la capitale- lancé en 2009.

Quelques bâtiments remis progressivement à neuf se dressent au milieu d’un terrain herbeux et de champs de légumes. Ils abritent des salles de classe et à un terme un centre d’accueil avec chambres et sanitaires pour des séminaires pour les projets futurs d’agriculture durable. C’est là que Caritas, avec le soutien notamment de la Conférence épiscopale italienne, de Médecins du Monde-France, du Secours catholique-Caritas France, de Caritas Autriche, de SOS Faim Belgique ou de l’ambassade de France au Congo, a installé son quartier général.

Prince Kikalulu, responsable du service développement de Caritas Kinshasa
Prince Kikalulu, responsable du service développement de Caritas Kinshasa

Une filière structurée

Tout a commencé par le soutien à quelques maraîchères qui se sont ensuite structurées en associations. Aujourd’hui, Caritas collabore directement avec 34 d’entre elles, soit 2 500 femmes, pour la plupart «des veuves», explique Prince Kikalulu, responsable du service développement de Caritas Kinshasa. 5000 en tout, si l’on compte les collaborations indirectes. Pour les fédérer, a été créée l’Union des producteurs des associations de femmes maraîchères pour le développement de Kinshasa, appelée tout simplement l’Union. «À plusieurs, nous sommes plus fortes pour résoudre nos problèmes, comme ceux liés à l’expropriation, à un éventuel congé maladie ou à la vente de nos marchandises», constate Florence Nzumba, la présidente de l’Union.

C’est pourquoi a été mis en place en 2021 une coopérative pour la commercialisation des produits agricoles, détaille Prince Kikalulu. «Ces femmes ont chacune de cinq à dix ares à cultiver pour nourrir 80% des ménages de Kinshasa, soit 17 millions d’habitants à bas revenus qui préfèrent manger des aliments produits localement», poursuit le responsable. L’enjeu est de taille et le pousse à s’exclamer: «Ces femmes sont des pionnières!»

Le projet Elikya ne se contente pas d’aider à produire, il vise à cultiver mieux. «Jusqu’à présent, le modèle conventionnel de production maraichère à Kinshasa était basé sur l’utilisation de pesticides de synthèse, d’engrais chimiques, et de semences hybrides qui venaient de l’étranger et qui n’étaient pas forcément adaptées au sol de Kinshasa», explique Prince Kikalulu. Dans la perspective de l’explosion démographique de la capitale –25 millions d’habitants prévus en 2040 selon certaines études retenues par Caritas– une réflexion est menée par l’organisation pour voir comment nourrir toute cette population grâce à «un modèle de production sain et respectueux de l’environnement, qui prenne soin des générations actuelles et futures» précise-t-il, en droite ligne avec l’encyclique du Pape François Laudato si’.

Les membres de l'Union des femmes maraichères et de la coopérative
Les membres de l'Union des femmes maraichères et de la coopérative

Préparer l’avenir

Pour préparer l’avenir, Caritas a donc installé sur le site de la concession de l’archidiocèse un centre agroécologique, le centre Elikya. Il dispose d’un poulailler pour les poules pondeuses, d’un autre pour les canards, d’une porcherie, d’un clapier à lapins ainsi que d’une unité de production d’engrais naturels. Les maraichers d’aujourd’hui et de demain y apprennent à produire des compléments à leurs revenus tirés de leurs jardins. Ils découvrent aussi de nouvelles techniques pour mieux cultiver la terre et pour mieux gérer leurs ressources. Plusieurs champs sont cultivés grâce aux engrais produits sur place. Des mares fournissent l’eau enrichie pour arroser les plantations. Les résultats sont probants comme le prouvent ces concombres dodus qui pendent sur une parcelle. Ce centre Elikya sera à terme ouvert à tous les producteurs, pas seulement réservés aux maraichers et maraichères de Kinshasa, se réjouit Prince Kikalulu.

Victor Mankundi-Mbianda, président de la coopérative
Victor Mankundi-Mbianda, président de la coopérative

Mieux vendre pour mieux vivre

Si ces agriculteurs produisent des légumes et des fruits qui sont désormais biologiques, il faut encore les vendre pour leur assurer un revenu décent. La coopérative a été créée à cette fin. Victor Mankundi-Mbianda, son président, précise qu’elle sert aussi à «fournir des intrants agricoles». Plus globalement, il espère que ce système permettant de mieux vendre à un meilleur prix, «en trouvant des marchés de niches», améliore les conditions de vie des producteurs. Pour le moment, la coopérative ne compte que 104 membres mais son président espère engranger de nouvelles adhésions car «en étant nombreux, nous aurons plus de force» pour négocier.

Les efforts fournis par Caritas Kinshasa paient: selon Don Koka, chargé de projet et agroéconomiste, «les revenus des femmes maraichères sont passés de 84$ par mois en 2018 à 112$ en 2022. C’est déjà une nette amélioration, 40 % environ. Et on espère atteindre rapidement les 140 dollars mensuels. C’est assez ambitieux mais le revenu de départ n’est pas élevé et couvre à grand peine les besoins d’un ménage. Il y a donc beaucoup de marge d’amélioration» se réjouit-il. Florence Nzumba, la présidente de l’Union, a pu ainsi payer les études de ses enfants. «Je peux prendre aussi soin de ma maison» explique-t-elle.

Pour Angèle, une maraîchère, l’emploi d’engrais naturels est un avantage: «non seulement les engrais chimiques ne garantissaient pas de bonnes récoltes, mais il fallait les pulvériser plusieurs fois. Avec le fumier organique, on économise notre temps et de l’argent, et les récoltes sont meilleures». Angèle est satisfaite: finalement, elle est plus autonome économiquement et financièrement et plus émancipée en tant que femme. Un projet Caritas Kinshasa gagnant-gagnant qui ne demande qu’à grandir.  

Florence Nzumba, à gauche, présidente de l'Union des femmes maraichères, Angèle et Victorine
Florence Nzumba, à gauche, présidente de l'Union des femmes maraichères, Angèle et Victorine
Écoutez le reportage audio sur le projet Elikya de Caritas Kinshasa

 

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01 février 2023, 08:05