Ordination de 16 prêtres à la basilique Saint-Pierre, le 22 avril 2018. Ordination de 16 prêtres à la basilique Saint-Pierre, le 22 avril 2018. 

L’Église face au défi de l’accompagnement psychologique des prêtres

Les fragilités psychologiques de certains prêtres, souvent liées à des tensions relationnelles et au risque de la solitude affective, sont prises en compte d’une façon de plus en plus sérieuse par l’Église catholique. Alors que la place de la psychologie dans la formation des prêtres suscitait autrefois une certaine méfiance, elle est aujourd’hui souvent considérée comme une ressource précieuse pour vivre un sacerdoce équilibré et durable.

Cyprien Viet – Cité du Vatican

L’actualité récente de l’Église catholique, en France mais aussi dans d’autres pays comme l’Inde ou les États-Unis, a été marquée par plusieurs suicides de prêtres. Chaque histoire individuelle a des causes parfois intimes et inconnues, mais une prise de conscience progressive émerge dans l’Église quant à la nécessité de prêter une attention plus forte aux fragilités psychologiques des prêtres et des religieux, dans un contexte de pression sociale et médiatique qui est une source d’épuisement pour beaucoup.

Des cellules de soutien psychologique ont été mises en place dans certains diocèses, et de plus en plus de séminaires instaurent dans leur cursus des interventions de psychologues, et parfois un accompagnement personnalisé, afin d’aider les séminaristes à identifier leurs propres limites, quitte à interrompre leur parcours. L’enjeu est aussi d’aider les futurs prêtres à faire face aux difficultés psychiques des personnes pour lesquelles ils auront charge d’âme.

Le père Stéphane Joulain, membre de la Société des Missionnaires d’Afrique, communément appelés les “Pères blancs”, est aussi psychothérapeute. Il nous explique comment l’Église essaie de développer un soutien psychologique pour ses ministres du culte, en les aidant à trouver un équilibre réaliste notamment dans leur vie relationnelle.

Entretien avec le père Stéphane Joulain

Dans la mentalité traditionnelle de l'Église, la psychologie a parfois été sous-estimée, perçue comme contradictoire avec le développement de la vie spirituelle. Comment peut-elle s'intégrer aujourd'hui dans le parcours des prêtres?

D'abord cela passe par le fait de faire intervenir des professionnels de la santé mentale dans la formation des futurs clercs. Donc on rencontre des personnes, on parle avec elles. Et puis les formateurs restent attentifs à ce que peuvent vivre les séminaristes, et s’ils perçoivent que certains ont besoin d’une aide plus spécialisée, plus spécifique, ils vont leur fournir. Malheureusement, ce qui reste une grosse pierre d’achoppement, c’est que pour beaucoup de futurs prêtres et même pour des prêtres, avoir recours à un spécialiste de santé mentale c’est être considéré en situation d’échec par rapport à sa vie spirituelle.

On touche là à un point essentiel… Mais les prêtres eux-mêmes, au-delà de leurs fragilités personnelles, sont confrontés dans leur vie notamment de curé de paroisse, à des personnes qui ont des difficultés psychiques. Est-ce que le fait d’avoir été soi-même suivi en thérapie peut les aider à appréhender ces profils avec plus de justesse, d’équilibre et d’efficacité?

Oui, tout à fait. À partir du moment où ils ont fait ce chemin eux-mêmes d’avoir été accompagnés et aidés, de savoir qu’ils ne sont pas des super-héros mais qu’ils ne sont que des hommes, et que la nature humaine est fragile et a parfois besoin de soutien, cela en fait de meilleurs accompagnateurs pour le Peuple de Dieu. Ils savent être attentifs à cette dimension-là, sans chercher à tout spiritualiser. Donc oui certainement, si un prêtre ou un séminariste fait ce cheminement-là, cela en fera quelqu’un de beaucoup plus attentifs aux souffrances du Peuple de Dieu.

L’un des phénomènes les plus courants dans notre société moderne ou post-moderne, qui concerne toute la population mais aussi les prêtres et religieux, c’est l’utilisation parfois immodérée des réseaux sociaux, avec tout le narcissisme qui peut y être associé… Est-ce que cette question de l’image de soi et de la difficulté de se montrer à la hauteur de que l’on voudrait représenter, c’est une question centrale aujourd’hui dans les difficultés de certains prêtres et notamment de certains jeunes prêtres?

Certains jeunes prêtres sont les enfants de leur génération, donc ils sont nés avec les réseaux sociaux, cela fait partie de leur identité. Moi je le vois bien chez nous, nos jeunes confrères sont très présents sur les réseaux sociaux! Il y a une dimension d’apostolat et d’évangélisation dans ces milieux qui n’est pas à sous-estimer. Il y a un travail qui est fait par certains et qui est assez admirable. Mais le problème, c’est quand le cœur du message et de la présence dans le cyberespace n’est plus Jésus-Christ mais le prêtre lui-même. Ça, c’est une difficulté, et puis les réseaux sociaux ont tendance à n’amplifier que les choses positives, à idéaliser les aspects positifs, donc ça creuse quelque chose au niveau du narcissisme des personnes, mais comme tout outil il y a des zones d’ombre et des zones de lumière.

Le lien ecclésial et communautaire est souvent en question. On peut remarquer que parfois des prêtres cohabitent dans le même presbytère sans se parler, sans partager leurs repas, sans se comprendre, parfois à cause d’une différence de génération… Comment réussir à engendrer empathie et écoute parmi les prêtres eux-mêmes?

Ça doit commencer dès la maison de formation, dès le séminaire. Si on n’instille pas la vie d’équipe dans les séminaires, ça ne marchera pas après dans la vie courante. Beaucoup d’efforts ont été accomplis sur ce plan, mais ensuite cela va dépendre du rapport de l’individu à son ministère. Est-ce qu’il va considérer que les autres sont là pour travailler avec lui et qu’il est là pour travailler avec eux, mais pas seulement, qu’ils sont là aussi pour se soutenir mutuellement dans la vie de prêtre, parce que c’est une vie qui n’est pas facile… Bien souvent, nous les religieux nous sommes plus habitués à la vie communautaire, alors que pour les prêtres diocésains cela peut être plus difficile pour certains. Mais il y a de gros efforts qui ont été faits pour mettre en place par exemple des équipes de vie, ou des prêtres de la même génération, qui ont fait la même formation, se retrouvent régulièrement pour échanger.

Beaucoup de prêtres se sentent parfois coupables, par manque de disponibilité, pour n’avoir pas su bien réagir par exemple vis-à-vis d’une famille en deuil ou d'autres personnes en souffrance. Comment l’approche psychothérapeutique peut aider à dépasser ce sentiment de culpabilité, par rapport à cette notion de “suivre le Christ” et aux réalités humaines parfois plus complexes qui se présentent à tout prêtre?

D’abord, cela va nous aider à accepter cette limite, que le prêtre ne peut pas être partout, et qu’il va parfois décevoir des personnes ou se décevoir lui-même par rapport aux idéaux qu’il a. La psychologie va l’aider à faire ce point de vérité sur la réalité. Elle peut aussi, tout comme un bon accompagnement spirituel, l’aider à orienter ses priorités. Si le prêtre se rend compte qu’il passe beaucoup de temps à hue et à dia dans des réunions pour des tas de choses qui ne nécessitent pas forcément sa vocation sacerdotale, il va falloir qu’il réfléchisse à comment il peut déléguer certaines choses, afin de se rendre plus disponible pour d’autres.

Le problème, c’est que beaucoup de jeunes qui arrivent dans le ministère sont pleins d’énergie, ils vont partir dans toutes les directions, jusqu’au moment où ils se crashent, parce qu’ils ne peuvent plus continuer comme ça. Et ce moment n’est pas négatif: c’est le moment où l’on découvre ses limites, et c’est là qu’il faut être accompagné. Parce que découvrir ses limites, c’est très important, cela permet de ne pas les transgresser, chez l’autre, chez soi… Donc il y a tout ce travail qui doit être fait, et les prêtres, bien souvent, ne tirent pas la sonnette d’alarme quand ils voient qu’ils arrivent à la limite, ou aux limites.

Il y a des cellules qui ont été mises en place pour accompagner les prêtres, avec des psychologues, avec des travailleurs sociaux, parce que, même si on parle souvent des jeunes prêtres, il y a aussi des prêtres âgés qui vivent parfois des situations de détresse humaine. Donc là aussi il faut que les diocèses soient très attentifs à ça, et plusieurs diocèses, en France mais aussi ailleurs dans le monde, ont mis en place ces cellules qui sont là pour accompagner ces prêtres qui sont en situation de souffrance humaine, spirituelle ou psychologique.

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11 septembre 2020, 09:46