Le cardinal Jean Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg Le cardinal Jean Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg 

L’Église au Japon: témoignage du cardinal Hollerich, ancien missionnaire

Seconde étape de ce 4ème voyage apostolique en Asie, le Pape François se rend au Japon, terre de mission des jésuites depuis le XVIème siècle et où le jeune Bergoglio rêvait d’être envoyé dans sa jeunesse. Nous avons interrogé le cardinal Jean-Claude Hollerich, actuel archevêque de Luxembourg et missionnaire pendant 17 ans à Tokyo, à propos de l’histoire toute particulière de l’Église au Japon qui a su résister à plusieurs siècles de persécutions. Une Église qui vit aujourd’hui en bonne entente avec les autres confessions, et attire les jeunes de Tokyo.

Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican

Au Japon, le déplacement du Pape sur le thème de la protection de la vie sera marquée par sa rencontre avec les victimes du séisme, du tsunami et de la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011. Il sera également question du nucléaire lorsque le Pape prendra part à une rencontre pour la paix à Hiroshima, première ville dévastée par les radiations en août 1945, et avant cela à Nagasaki. Dans cette ville martyr de la Seconde Guerre mondiale, François prononcera un «message sur les armes nucléaires», 38 ans après celui de saint Jean-Paul II, et rendra hommage aux victimes de la bombe A.

Au Japon, tous attendent ces «paroles de vie», en particulier les catholiques qui ne forment qu’une toute petite minorité, 0,35% de la population.

Le Japon a été évangélisé par les Jésuites au XVIème siècle. Le christianisme fut interdit et les catholiques persécutés soixante-cinq ans plus tard. Comment la foi a continué à se transmettre? Le cardinal Jean-Claude Hollerich fut missionnaire pendant 17 ans au Japon, jusqu’à sa nomination comme archevêque de Luxembourg en 2011.

Entretien avec le cardinal Jean-Claude Hollerich

Tout d’abord il y avait beaucoup de laïcs qui collaboraient avec les jésuites, les doguku,  «ceux qui habitent avec». C’étaient des catéchistes. Ils traduisaient souvent les homélies,  et on avait averti et préparé les communautés catholiques à subsister sans prêtre. Dans de petites communautés chrétiennes qui restaient, les enfants avaient été baptisés, on leur avaient appris les prières, et on attendait le retour des missionnaires.

Donc c’est la force des communautés de base qui a permis de maintenir cette présence?

C’est également la force du sentiment de groupe des Japonais. Comme le christianisme était proscrit, si dans un ensemble de cinq familles on retrouvait un chrétien, tous étaient mis à mort. Donc, cela fonctionnait dans des familles de religions différentes. Mais quand toute la famille, tout le village, était catholique, cela ne fonctionnait pas: les gens sont restés catholiques en cachette.

Il y eux deux siècles de persécutions. Aujourd’hui l’Église, enracinée dans ce martyr, en porte-t-elle encore la mémoire?  

Certainement, on en a la mémoire et surtout à Nagasaki. Nagasaki et Tokyo sont des Églises différentes. Tokyo, c’est une nouvelle Église, (formée par) la couche moyenne de la société. À Nagasaki, ce sont les descendants des anciens chrétiens. La cathédrale de Nagasaki se trouve à Odakami, qui est maintenant à un quartier de Nagasaki, mais c’était auparavant un village séparé qui était resté entièrement chrétien.

 C’est d’ailleurs le père Bernard Petitjean,  prêtre des Missions étrangères de Paris, qui, dans une église de Nagasaki, a vu un petit groupe d’hommes qui entraient quoique cela était défendu sous peine de mort. Ils lui ont posé des questions, ils se sont décrétés comme chrétiens en lui disant «nous avons le même cœur».

Est-ce que le témoignage des martyrs crée la force de l’Église d’aujourd’hui?

Tout à fait, il y aussi des martyrs du XIXème qu’on ne connait pas très bien en Europe parce que, quand ces hommes se sont déclarés chrétiens, on les a encore persécutés. On les a fait transporter dans des camps de concentration dont un à Zuwano, près de Yamaguchi, qui est particulièrement connu. Il y a encore beaucoup de personnes qui sont mortes pour leur foi au XIXème siècle.

Pourtant, on vante aujourd’hui la bonne coexistence des religions au Japon. Comment cela s’explique, et comment cette bonne entente se manifeste?

Le Japonais est très soucieux de l’harmonie. Donc si une nouvelle religion arrive, c’est tout d’abord une irritation parce qu’il faut retrouver une nouvel équilibre, mais une fois qu’on fait partie du club, on fait partie de l’harmonie. On se respecte, on s’entraide. Je garde toujours en mémoire, quand j’étais jeune jésuite, je n’étais pas encore ordonné prêtre, la venue du cardinal Poupard. Il a visité le Mont Hiyei, le centre d’une des églises bouddhistes les plus anciennes au Japon, le Tendaï. La chaleur, la politesse, la fraternité  avec laquelle il a été reçu, c’était merveilleux. Les bouddhistes japonais sentaient que lui (le cardinal) avait une expérience spirituelle.

Quel est le rapport des Japonais à la foi?

La plupart des Japonais n’appartiennent pas à une religion, ou ils ont oublié à quelle religion ils appartiennent, surtout dans la ville de Tokyo qui est quand même une très grande agglomération. Si la grand-mère meurt, il faut se demander quel bonze faut-il appeler pour les funérailles. Donc, c’est une société fortement sécularisée de l’appartenance religieuse, mais il n’y a pas d’inimitié envers la foi. Les gens sont ouverts à la religion. Tout le monde pratique pour le Nouvel an. On va tout d’abord, avant minuit, dans des temples bouddhistes pour écouter et voir les cloches. Ensuite, dans des temples shintoïstes. Et beaucoup de jeunes ont des questions sur la religion.

Les catholiques représentent 0,35% de la population. L’écrasante majorité des mariages sont mixtes. Dans ce contexte, on imagine que la transmission de la foi n’est pas simple?

On a dans toutes les paroisses l’école du dimanche ou du samedi. Il y a quand même beaucoup de jeunes. Et puis, les enfants sont encadrés par des jeunes, ce qui est très bien, un petit match de foot avant la catho, ça fait toujours du bien. Il y aussi sans cesse des conversions, surtout en ville. En effet, il y a une régression du nombre de catholiques à la campagne, mais une augmentation en ville et, moi qui ai toujours travaillé à l’université, j’ai eu la chance de pouvoir baptiser chaque année deux ou trois de mes étudiants. Aucun d’entre eux n’était catholique. Mais l’amitié avec les étudiants, le fait de passer beaucoup de temps ensemble, nous avons fait des voyages ensemble… Ils me demandaient «mais pourquoi vous êtes venus au Japon ? Pourquoi vous ne touchez pas de salaire  alors que vous êtes professeur ? Pourquoi vous n’êtes pas marié ?» Voilà les questions qu’il posait au missionnaire : pourquoi j’étais venu au Japon. Alors naturellement, on ne peut pas tout expliquer en une soirée, mais en prenant un verre de bière de temps à autre en partageant ma vie, j’ai toujours eu des gens qui ont demandé le baptême.

Peut-être est-ce un regard erroné que l’on pose sur le Japon, mais quand on pense à ce pays, on a l’impression qu’il s’agit une société de consommation, où la culture individualiste est très forte, avec un rythme de vie frénétique, où l’on assiste à une explosion des familles traditionnelles. Vous dites que ces jeunes sont intéressés, cela veut dire qu’il y a néanmoins un souci du temps long?

Oui, je vais donner un exemple. En parlant avec un de mes étudiants qui m’a demandé le baptême,  j’ai découvert qu’il fréquentait un jardin d’enfants catholique. Il gardait un souvenir de la paix qu’il avait dans le cœur quand il priait alors qu’il était un enfant de cinq ans, et il avait le désir de retrouver cette paix, de retrouver ce sentiment de bonheur. Alors il a demandé le baptême.

Comment l’Église peut accompagner ces jeunes?

C’est comme en Europe, il faut être proche d’eux. Il ne faut pas travailler pour les jeunes, il faut être avec les jeunes et j’ai eu la chance, comme j’étais toujours à l’université, de voir combien les générations de jeunes étaient différentes, et ainsi de ne pas avoir une image figée des jeunes «ils sont comme ci-comme ça», mais d’être ouvert à la rencontre, à l’écoute et comme le dit notre Pape une «écoute empathique». Alors, des relation s’établissent, des amitiés se créent et je suis encore tout à fait heureux quand chaque année à Luxembourg, j’ai des visites de familles japonaises, mes anciens élèves qui viennent  me retrouver. C’est merveilleux de pouvoir conserver ces amitiés.

Qu’attendent les Japonais de la venue du Pape?

Je pense qu’ils voient dans le Pape un homme saint, un homme qui parlent un langage qu’ils comprennent. Et c’est le sage qui vient de l’Occident, or il y a toujours eu cet attrait pour l’Occident au Japon. Donc, ils attendent ce message, je pense.

J’ai encore eu un message d’un jeune japonais d’une trentaine d’années, un ancien étudiant, qui me disait: «j’ai pris un billet pour la messe du Pape à Tokyo!», je lui ai alors répondu que pourtant il n’était pas catholique, «oui mais je veux voir le Pape et je veux assister à la messe». Il existe cet élan. On attend quelque chose, on attend des paroles de vie. Donc, c’est un peu la société post-moderne à Tokyo qui a perdu sa boussole. Les valeur traditionnelles existent et plus qu’en Europe, mais elles se sont effritées depuis 20 ou 30 ans. Or, on veut savoir comment être heureux sur cette terre et quelle est notre responsabilité.

 

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23 novembre 2019, 08:24