2019.04-06 LUTUMBA SIMARO MASIYA, Musicien de la RD CONGO 2019.04-06 LUTUMBA SIMARO MASIYA, Musicien de la RD CONGO 

RD Congo : Hommage à Simaro Lutumba Masiya

Le pays de Patrice Lumumba pleure son poète. Né à Kinshasa le 19 mars 1938, l’artiste musicien Simon Lutumba Ndomanueno, connu sous le nom de Lutumba Simaro Masiya, a tiré sa révérence le samedi 30 mars 2019 à Paris en France, à l’âge de 81 ans. Auteur-compositeur, ce guitariste de talent fut chef de l’orchestre TP OK Jazz et co-fondateur du groupe musical Bana OK.

Jean-Pierre Bodjoko, SJ – Cité du Vatican

Felix Wazekwa, vous êtes musicien de la République démocratique du Congo. Aujourd’hui, on pleure Simaro Lutumba Masiya, un grand artiste congolais et africain qui vient de quitter ce monde le 30 mars dernier à l’âge de 81 ans. Que représente pour vous cette perte ?

Il représente cet esprit d’entreprise, esprit de partage et surtout de collaboration avec ses contemporains. Il a énormément travaillé avec beaucoup d’artistes. Par moment même, il les faisait jouer en studio. Il aimait beaucoup son travail et je pense qu’il était surtout très heureux quand il y avait un concert, quand il y avait des répétitions. Pour moi, il est une icône de notre musique. Aujourd’hui tout le pays est en deuil.
Vous avez évoqué son esprit de collaboration, un homme qui était ouvert à tout le monde et à toutes les générations. Dans plusieurs de vos chansons ou compositions, vous avez dialogué avec Simaro Masiya Lutumba et vous aimiez surtout lui poser des questions. C’était une façon d’apprendre ou de faire passer des messages par la bouche de ce musicien que l’on peut qualifier de sage ?
C’était pour moi une façon d’apprendre, parce que, comme il venait souvent à la maison, moi aussi j’allais chez lui. Donc j’avais découvert qu’il avait beaucoup de choses à dire - qu’il ne disait pas dans ses chansons. C’était comme s’il écrivait un livre ou une chanson chaque jour. Alors j’ai trouvé plus de sagesse en lui parlant qu’en écoutant ses produits. Je me suis dit : pourquoi ne pas lui poser certaines questions qui pourront servir à la postérité, questions auxquelles il avait d’ailleurs bien fait de répondre sur les deux chansons qu’on a faites. La troisième chanson que j’ai faite s’appelle Simaro Lutumba Icône d’Afrique.

On va y arriver ! Vous avez dédié une chanson à Simaro, chanson intitulée, « le poète Simaro Lutumba, icône d’Afrique ». C’était une façon aussi pour vous de lui rendre hommage, encore vivant ?
C’était surtout ça, parce que déjà, il avait du mal à se déplacer. Je me suis dit que c’était le moment de faire quelque chose. J’ai été le voir pour lui demander cette possibilité. Il m’a dit qu’il n’y a pas de problème. Et comme j’avais besoin de son intervention dans la chanson que je faisais pour lui rendre hommage, on était obligé de déplacer tout un studio chez lui à la maison pour que lui aussi puisse participer à l’album.
Je l’ai fait parce que je voulais que de son vivant il puisse nous dire vraiment ce qu’il a pensé de la vie et ce qu’il pense laisser à sa postérité.
Et maintenant qu’il est mort, vous sentez-vous orphelin ?
Oui. J’ai déjà perdu mon père biologique. Là, je viens de perdre mon deuxième père. Je suis très affecté par cette disparition. Pour moi c’est une perte. On sait bien que nul n’est remplaçable. Finalement, on est tous unique. Dieu à fait en sorte que nous puissions être des êtres uniques sur terre. On peut vous remplacer en tant que maçon, on peut vous remplacer en tant que menuisier ou musicien, mais personne ne fera exactement ce que vous avez fait.
Lutumba Simaro était connu pour des thématiques de la vie. Ses chansons avaient toujours des thématiques assez bien connues et profondes mêmes. Vous aussi vous êtes réputé pour vos adages, vos paroles, vos proverbes. Etes-vous prêt maintenant à prendre la relève ?
La relève, on est plusieurs à le faire déjà, je pense. D’une certaine façon, on avait commencé à le faire de son vivant. Et il aidait beaucoup aussi dans ce sens-là. Mais je ne pense pas être capable de faire ce que Lutumba a fait. En plus, il a eu beaucoup de temps, 60 ans pour faire parler de lui, de son œuvre. Je ne sais pas si je vivrai aussi longtemps que lui.
Vous avez encore aussi une longue carrière devant vous, Félix Wazekwa.
Merci beaucoup. Mais je pense que ce qu'il a fait est extraordinaire pour le pays.
Lutumba était un chrétien pratiquant et dans votre chanson « le poète Simaro Lutumba, icône d’Afrique », on l’entend, après votre question, dire : « ce que moi je vous lègue c’est la Bible ». Que signifie pour vous cet héritage, un grand musicien qui préfère parler de la Bible comme testament ?
Pour moi, cela avait plusieurs facettes. C’était une façon de montrer que certaines personnes, certains musiciens font leur carrière en s’appuyant sur Dieu. Ce n’est pas tous les musiciens qui pratiquent le satanisme. Donc, Lutumba était quelqu’un qui a marché toute sa vie avec Dieu. Papa Wendo Kolosoy m’avait dit aussi la même chose : qu’il avait fait sa carrière en se basant sur Dieu. Donc, on est nombreux à nous appuyer sur Dieu pour notre carrière, alors que l’image qui est donnée aujourd’hui à l’artiste musicien, c’est quelqu’un qui touche à la drogue, aux femmes, aux fétiches, alors qu’en réalité, certaines carrières se font avec l’appui de Dieu.
Un petit mot de la fin ?
Merci beaucoup pour cette opportunité. Je dis à tous qu’en République démocratique du Congo, nous avons un grand malheur qui nous est tombé dessus. Nous avons perdu un artiste talentueux, immense, un monument. Il avait plusieurs casquettes : poète, éducateur, etc. Il avait presque tous les superlatifs. Ce que je voudrais demander c’est que personne ne fasse quoi que ce soit pour ternir son image.

Entretien de Jean-Pierre Bodjoko avec Felix Wazekwa

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06 avril 2019, 13:12