Siège du parti Socialiste sans frontière (PSF) du président Yaya Dillo démolie. Siège du parti Socialiste sans frontière (PSF) du président Yaya Dillo démolie.   (AFP or licensors)

Au Tchad, crainte et panique à l’approche des élections présidentielles

Dans un communiqué le 27 février, l'Agence nationale de gestion des élections (ANGE) a annoncé la date des élections présidentielles fixées au 06 mai 2024, une nouvelle qui a été suivie des tensions conduisant à la mort de l’opposant Yaya Dillo, situation qui inquiète tous les tchadiens. Dans une interview avec Radio Vatican, le père Rodrigue Naortangar fustige la manipulation des politiciens en utilisant des appartenances régionales et religieuses et appelle à des élections pacifiques.

Jacques Ngol, SJ – Cité du Vatican

«La situation actuelle au Tchad est une situation alarmante, car tout semble marcher, fonctionner et se dérouler selon un plan bien fixé», a déclaré le jésuite tchadien Rodrigue Naortangar. Il a, dans ce sens, rappelé la mort de l’ancien président Idriss Déby Itno en avril 2021, suite à laquelle «les militaires ont pris le pouvoir et ont mis à la tête du Tchad son fils, qui avait promis de quitter le pouvoir» 18 mois après, promesse qui n’a pas été respectée. Cette phase de la transition a été marqué par «le dialogue national inclusif qui malheureusement n'a pas inclus toutes les forces rebelles, armées, ni non plus les forces de l'opposition» et les évènements douloureux du 20 octobre où plusieurs jeunes ont été massacrés.

Que peut-on attendre des élections qui auront lieu le 06 mai prochain?

«Tout semble fonctionner selon le plan prévu, puisque le référendum relatif à la nouvelle constitution a été adoptée selon les désirs du pouvoir», a regretté le père Naortangar, assurant que «nous nous acheminons bien évidemment vers une situation où tout sera maîtrisé encore d'avance». Selon lui, «le peuple ne semble pas avoir été écouté, la société civile ne semble pas avoir droit à la parole». C'est une situation qui inquiète «parce qu'on a l'impression que c'est un rapport de force, c'est le plus fort qui s'impose». Dans son analyse, il a montré que l’assassinat de l’opposant Yaya Dillo, président du Parti socialiste sans frontière (PSF), dans l'assaut mené par l'armée contre le siège de son parti mercredi 28 février, est une menace pour «ceux qui étaient contre le pouvoir», ce qui constitue une inquiétude pour «les opposants qui sont encore en exil, la société civile». Face à ce climat tendu, «on se demande si ces élections reflèteront vraiment le désir du peuple d'avoir à sa tête un gouvernement désigné par ce peuple lui-même».

Le prêtre tchadien exhorte les politiciens à «éviter le piège de la division», en manipulant les différences afin de parvenir à «une certaine unité, qui conduira davantage vers une situation plus démocratique».

Suivre le père jésuite Rodrigue Naortangar, dans un entretien avec Radio Vatican.

Appel à la sérénité et détermination pour des élections crédibles

Dans cet entretien avec Radio Vatican, le théologien tchadien appelle ses compatriotes à «la sérénité et à la détermination». Pour lui, il ne sert à «rien d'entrer dans une panique générale, mais il faut voir les choses de manière sereine». Cela, a-t-il assuré «vaut pour tout le monde, tant pour les acteurs politiques que pour la population». Il a souhaité que cette sérénité dans ce processus électoral soit maintenue comme «l'attitude du veilleur, celui qui attend, mais dans une attente d'espérance que les choses changent, et qui reste vigilant, qui agit en fonction de cette vigilance». Cette attitude, a assuré l’enseignant chercheur, est primordiale. S’adressant spécifiquement aux acteurs politiques, le père Naortangar appelle à «privilégier l'intérêt du Tchad comme république, une chose commune, le bien commun de tous. Et non pas le bien d'une famille, d'un clan, d'un parti, ou bien le bien d'une région ou encore tout simplement le bien personnel, l'intérêt personnel». Pour lui, «si chacun ne pense qu’à soi, c'est tout le monde qui périra».

La crainte de revivre le Tchad de 1979

Partant de son livre publié récemment, intitulé «Au cœur du conflit nord-sud», le jésuite tchadien a rappelé le souvenir de la guerre civile qui a opposé les tchadien au nom de leurs appartenances régionales, religieuses, demandant à ce que «la jeunesse soit alertée durant cette période électorale pour ne pas qu'un politicien ou un allié d'un candidat utilise cet argument pour pouvoir diviser encore davantage le peuple». Car pour lui, «si les Tchadiens sont de plus en plus divisés, la situation ne changera pas». Le changement n’est possible que «grâce à l'unité des Tchadiens et non à leurs divisions».

Poursuivant, il a fait observer que la peur de retomber dans cette situation est «une crainte qui ressurgit à chaque crise sociopolitique au Tchad». Car «à chaque guerre, à chaque conflit grave, le spectre de la guerre de 1979-1980 revient toujours» a-t-il dit, évoquant le temps colonial où «ce spectre a été présenté comme un danger réel», ce qui a poussé le premier président tchadien, Ngarta Tombalbaye «à déclarer le parti unique et annuler la démocratie au Tchad», afin de maintenir l’unité. Malgré tout, cette dichotomie nord-sud, chrétien-musulman poursuit son chemin, «un cercle infernal duquel il faut sortir».


Le rôle primordial de l’Église dans l’atténuation de la situation

«L'Église, surtout l'Église catholique, a joué déjà un rôle assez important» a reconnu le prêtre, citant «les lettres des évêques, les messages de Noël tout au long de l'histoire du Tchad». Il a en outre rappelé un colloque sur ces documents des pasteurs, qui a permis de rappeler que la «contribution de l'Église catholique était vraiment essentielle, une voix, qui veillait en silence, discrètement sur la cité et qui alertait toujours les acteurs politiques». L'Église a toujours été présente et a joué un rôle très important. Malheureusement, «les acteurs politiques n'ont pas toujours écouté cette voix de l'Église» a-t-il déploré, affirmant que «l’Église doit passer à la vitesse supérieure» afin d’être beaucoup plus incisive, surtout «en matière de sensibilisation».

Pour le jésuite tchadien, «tout acteur politique qui utilise l'argument ethnique, l'argument religieux, ou bien l'argument régional ou régionaliste devrait être disqualifié». Il faudrait que ce soit ceux qui promeuvent une vraie unité des tchadiens qui puissent être perçue comme pouvant aider les tchadiens à aller de l'avant, vers un Tchad meilleur. Car, a-t-il assuré, «l'idée de l'unité même a souvent été galvaudée surtout ces dernières années dans la scène politique tchadienne». Dans ce sens, le rôle de l'Église dans cette période électorale est «d’intensifier la sensibilisation», mais aussi, de mettre en œuvre «les moyens traditionnels de l'Église, que sont la prière et le jeûne qui peuvent aider justement à implorer la miséricorde de Dieu, la force du Seigneur sur le Tchad et sur ce processus électoral».

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06 mars 2024, 16:04