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Congolais fuyant la ville de Goma, après la poussée des combats dans l'Est du pays, le 30 janvier 2025. Congolais fuyant la ville de Goma, après la poussée des combats dans l'Est du pays, le 30 janvier 2025. 

Le message du Pape en RDC est «plus actuel que jamais» selon le nonce à Kinshasa

Au seuil du deuxième anniversaire de la visite pontificale en République démocratique du Congo (31 janvier-3 février 2023), l'Est du pays est ravagé, pleure ses morts et affronte une crise humanitaire sans pareil. Le nonce apostolique à Kinshasa, Mgr Mitja Leskovar, dresse un état des lieux de la situation tourmentée et trace des chemins d'espérance quant aux voies possibles pour sortir de la crise.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican

Protéger la population civile de Goma et prier pour un rétablissement rapide de la paix et de la sécurité en RDC. Deux ans après le voyage apostolique dans le plus grand pays catholique et francophone d'Afrique, l'appel du Souverain pontife lancé en marge de l'audience générale ce mercredi 29 janvier au Vatican revêt un écho particulier. La tristesse et l'amertume face au drame de la guerre qui se poursuit sous le regard parfois détourné de la communauté internationale. Cette dernière que le Pape aimerait voir plus mobilisée dans la résolution du conflit. 

Plusieurs évêques congolais ainsi que la Première ministre du pays ont ainsi remercié le Pape pour son intervention publique, fait savoir le représentant du Pape en RDC, joint jeudi par téléphone. La nonciature apostolique à Kinshasa fut le théâtre il y a deux ans, le 1er février 2023, d’une mémorable rencontre où la souffrance s'est mêlée quelques instants à l'espérance. L’évêque de Rome écoutait les témoignages poignants de quatre victimes d’exactions de la guerre dans l'Est, qui, déjà, avait empêché François de se rendre à Goma. Ces témoignages crus, miroirs d'une violence inhumaine, semblent avoir été aujourd'hui oubliés, regrette le nonce apostolique à Kinshasa, Mgr Mitja Leskovar. Entretien. 

Entretien avec Mgr Mitja Leskovar

Quelles informations vous parviennent-elles de l'aggravation sécuritaire dans la partie Est du pays?

La situation à l'Est est très grave et délicate. Il y a des victimes. On me parle des corps des morts jonchant les rues. De plusieurs côtés, retentissent les bruits des armes, qui continuent. Toutes les parties de la ville de Goma ne sont toutefois pas concernées. Cela permet à la population de pourvoir à ses besoins essentiels, alimentaires ou élémentaires. Nous sommes dans une situation de siège, qui peut aussi s’étendre à un conflit plus large. Telle est la situation à Goma, mais nous devons penser au reste du territoire, où des combats se poursuivent avec toutes les conséquences possibles et imaginables pour la population locale. Nous espérons un retour à la table des négociations, la recherche de solutions diplomatiques, en dialogue avec toutes les parties concernées, et la fin du recours à la violence.

Comment ont été reçus sur place par les autorités et la population les paroles du Pape ce mercredi à l'audience générale?

Avec gratitude. La Première ministre du pays ainsi que plusieurs évêques m’ont remercié pour ces paroles. Elles sont arrivées en plein moment difficile tant pour la partie Est du territoire national, que pour la capitale où des désordres ont eu lieu. Cette exhortation au respect de tout le monde, des civils, de l'ordre public et de la propriété est appropriée et a été très bien reçue.

Comment le Saint-Siège pourrait-il accompagner les besoins humanitaires, criants dans l'Est?

Actuellement, ce n’est pas facile car les possibilités, surtout pour envoyer des choses, sont très limitées. C’est une zone de guerre. Or, déjà sans la guerre, l'acheminement est assez difficile car les routes ne sont pas bonnes, parfois impraticables pour les voitures. On passe seulement avec les motos ou à pied.

Par ailleurs, il n'est pas facile de savoir quels sont les besoins concrets, ni de quel côté ils sont les plus urgents. La troisième difficulté, et peut être la plus grande, est l'ampleur des nécessités: six ou sept millions de déplacés en RDC ont besoin d'assistance. Les Nations unies, d’autres organismes, et beaucoup d’ONG les aident, comme l'Église catholique, et les Églises s’entraident. Les nécessités sont tellement grandes qu’il est presque impossible de venir en aide à tous ceux qui en ont besoin. Cela ne veut pas dire que l’on ne fait rien, nous pouvons faire et nous devons faire. À la nonciature apostolique, nous essayons d’aider à travers les institutions de l'Église: les Caritas, les diocèses directement ou les congrégations religieuses. Nous faisons parvenir de l’aide en dépit des difficultés logistiques.

L’Église catholique congolaise est très engagée dans la société. Quel rôle d'apaisement peut-elle jouer?

Sa première tâche la plus immédiate est de subvenir aux nécessités élémentaires de la population, dans la mesure du possible. Grâce aux structures médicales notamment, car parfois il n’y a pas d’autres institutions sanitaires que celles de l’Église, parfois il y a aussi les autres. On peut bien travailler dans la complémentarité. Des informations me parviennent sur la situation alarmante des hôpitaux proches des zones des conflits. Ils débordent de blessés, il n’y a plus de place, c'est une situation grave.

De l'autre côté, il y a tout le travail pour la paix. La paix, ici comme dans beaucoup d’endroits du monde, n’est pas la question des armes, mais plutôt la paix nourrie dans un dialogue et une écoute de tous les points de vue en cherchant le compromis. L’ouverture au compromis est très importante. Sans elle, il n’est pas possible d’arriver à la paix malheureusement. L’Église catholique ici s'est engagée dans ce sens-là, en cherchant à faire le possible pour un dialogue social plus vaste qui puisse conduire, comme on l’espère, à une solution politique. Les solutions politiques ne sont pas directement du ressort de l'Église, mais l’Église est là pour soutenir le premier pas du dialogue social.

Comment le Saint-Siège peut-il mobiliser la communauté internationale à s'impliquer dans une sortie de crise pacifique, sans se résigner à l'impuissance ou à l'indifférence?

Le Saint-Siège s'est déjà engagé dans ce sens-là. Le Pape le fait en portant à l’attention internationale les difficultés du pays, parfois oubliées. Il y a aussi le travail de la diplomatie bilatérale et multilatérale. Même l’observateur permanent du Saint-Siège auprès les Nations unies à New York, s'est engagé dans ce sens. Au niveau bilatéral également, dans les contacts avec les États, le Saint-Siège n'a pas manqué de souligner l'importance de la recherche d'une solution pacifique et dialoguée dans le cas de la RDC.

Le Pape a rencontré il y a deux ans des victimes des exactions des violences dans l’Est à la nonciature apostolique de Kinshasa lors de son 40e voyage apostolique en RDC. La situation a empiré depuis. Les paroles du Pape lancées à ce moment ont-elles été oubliées?

Étant arrivé en RDC en juin 2024, je n’étais pas dans le pays à ce moment-là. Mais j’avais suivi les témoignages des victimes de la guerre et des violences parfois ethniques en RDC. Quand je lis ces témoignages, je suis profondément touché pour deux raisons: d’un côté la violence, la haine de certaines personnes, la bestialité parfois de cette violence. De l’autre côté, la capacité que les victimes ont de pardonner. Elles ont porté par exemple une machette ressemblant à la machette qui a tué le père de toute la famille d'une des victimes. Trop de personnes ont oublié ces témoignages. Cela leur ferait le plus grand bien de les relire, les retrouver. Ils sont d’ailleurs publics.

Ce matin, un de mes collaborateurs m'a par exemple informé de la teneur des commentaires au discours du président de la République de ce mercredi soir sur la situation. Quelqu’un écrivait ainsi: «Ce sont de belles paroles, mais nous voulons la guerre». Cet homme-là n’a pas lu ces témoignages, il ne sait pas ce qu'il dit. C'est terrible. Malheureusement, trop de personnes communes aussi ont oublié ces témoignages-là.

Il y a deux ans, jour pour jour, le Souverain pontife lançait en RDC un appel à la réconciliation et au changement dans les mains même des Congolais. Quelle trace a laissé ce voyage, selon vous, dans les cœurs? Quelle graine a-t-il tout de même pu semer?

Le message du Pape lancé il y a deux ans est plus actuel que jamais aujourd’hui. La violence n’apporte rien si ce n’est une situation encore plus terrible pour les personnes déplacées, un revers encore plus grand pour la société, et une pauvreté accrue. Il faut arrêter ce cercle vicieux de la violence. On ne peut le faire que grâce au dialogue et à l’ouverture au compromis. Sans cela, il n'est pas possible de trouver la paix dans ce pays martyrisé par tous ces contrastes, parfois guidé aussi par l'intérêt personnel.

Comment sortir des logiques de puissance et d'exploitation dont la RDC se fait le tragique creuset et que le Pape avait lui-même dénoncé il y a deux ans?

Pour les questions complexes, il y a des solutions complexes. Il faut travailler sur différents niveaux: au niveau de la communauté internationale, et au niveau national en renforçant les structures de l'État, en cherchant à combattre la corruption, à éveiller de plus en plus la conscience de la responsabilité de chacun citoyen pour le bien commun. L’un des problèmes les plus graves est le manque de considération pour le bien commun, et une attention trop prononcée au bien personnel. Il faut développer des méthodes pour éveiller cette conscience de la coresponsabilité de chacun pour le bien commun et pour le développement du pays. Ensuite, cela passera, comme le dit le Pape, par la conversion des cœurs. On ne peut pas attendre la résolution des problèmes de la part des structures de l'État ou de la communauté internationale, sans toucher soi-même son cœur, ses propres habitudes et ses propres convictions. Ce sont les trois voies principales vers la solution.

Nous sommes dans l'Année sainte de l'espérance. D'où peut venir l'espérance pour la RDC, «diamant de la Création»?

L'espérance est là parce que la personne humaine est toujours capable d'une conversion et de s'engager pour la paix. Selon moi, il n'existe pas de situation perdue, sans issue. Au contraire, il y a un travail difficile et des sacrifices à faire. Tout cela donne une perspective. Les choses peuvent s’améliorer. Nous ne pouvons pas réaliser le paradis sur terre. Les projets des hommes en ce sens ont tous failli. Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire. Nous pouvons le faire, nous le faisons et nous le ferons. La différence est là. Prenons seulement en exemple l'éducation. Entre 40% et 50% des institutions éducatives sont gérées par l'Église catholique. C'est un énorme potentiel, mais c'est aussi un fait accompli. Les initiatives pour la paix et pour le dialogue sont là, il faut les intensifier, il faut trouver encore des appuis, mais la solution est déjà là, il faut la développer et l’élargir. La prière, surtout, est importante. Je demande à tous ceux qui nous écoutent de prier pour la paix en RD-Congo.

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30 janvier 2025, 18:47