Communiquer l'espérance: Maria Ressa et Colum McCann au Vatican
Edoardo Giribaldi - Cité du Vatican
Comment communiquer l'espérance dans un monde où le mensonge devient vérité, alimentant la haine à travers les algorithmes et la désinformation? En racontant les histoires qui viennent d'en bas, de loin, de ceux qui pensent différemment. «Nous ne sommes pas obligés de nous aimer les uns les autres. En fait, nous n'avons même pas besoin de nous aimer. Mais nous devons nous comprendre», nous disent deux pères de famille, l'un israélien et l'autre palestinien, qui parcourent le monde ensemble pour raconter leur philosophie, aussi simple que profonde, au monde de l'information. Ce samedi 25 janvier, dans le cadre évocateur de la salle Paul VI, Maria Ressa, journaliste philippine naturalisée américaine et lauréate du prix Nobel de la paix en 2021, et Colum McCann, écrivain irlandais de renommée internationale, auteur de sept romans et de trois recueils de nouvelles récompensés par des prix prestigieux tels que le National Book Award et l'International IMPAC Dublin Literary Award, ont pris la parole. La conversation était animée par Mario Calabresi, journaliste et écrivain, ancien rédacteur en chef de La Stampa et de La Repubblica, cofondateur de la société de production de podcasts Chora Media.
Revenir aux sources de la communication
Le dialogue a été introduit par Paolo Ruffini, préfet du dicastère pour la Communication. «S'interroger sur la façon dont on peut encore espérer une communication entre les hommes et les machines, sur la façon dont la technologie peut et doit être guidée», telles sont les questions au centre des rencontres de ce jubilé spécial, selon Paolo Ruffini. Un rôle, celui des communicateurs, qui doit toujours être animé par la «volonté de revenir aux racines de notre profession, aux racines de notre espérance».
«Il peut y avoir un salut»
«L'espérance peut-elle encore être communiquée? Ou le nôtre n'est-il qu'un récit désespéré?», telles sont les questions introductives posées par Mario Calabresi. Il faut «dire le mal», admet le journaliste, mais sa narration ne peut être totalitaire, «l'unique clé de lecture du monde» ou «le moteur de l'information». En effet, on peut y déceler des «signes de résistance», que la société semble devenue incapable de saisir. «Il doit y avoir un salut, il peut y avoir un salut», affirme Mario Calabresi, et c'est aux professionnels de l'information qu'incombe la tâche de raconter l'histoire. «Le bon communicateur veille à ce que ceux qui écoutent, lisent ou regardent puissent être participants et proches», déclare Mario Calabresi, citant le message du Pape François à l'occasion de la Journée mondiale des communications.
La violence en ligne est bien réelle
Pour Maria Ressa, il s'agit d'encadrer le moment actuel «de profonde transformation de notre monde». Il est inévitablement marqué par les technologies modernes qui, lorsqu'elles sont consacrées à la seule recherche du profit, «détruisent la confiance» des gens, provoquant une «épidémie de solitude» généralisée. La censure de la liberté de pensée a fait partie intégrante de sa carrière journalistique: grâce à son site internet Rappler et à son compte-rendu critique des actions du président philippin Duterte, Maria Ressa a été arrêtée et condamnée pour divers chefs d'inculpation, dont la diffamation. Au total, dix accusations ont été retenues. Pour être ici aujourd'hui, j'ai dû demander l'approbation de la Cour suprême des Philippines. «Si vous répétez un mensonge un million de fois, il devient une vérité. Si vous convainquez les gens que les mensonges correspondent aux faits, vous les contrôlez», a-t-elle martelé, mettant l'accent sur une tentative générale de «manipulation» qui se produit quotidiennement dans les médias. «Il ne s'agit pas d'accidents, mais d'une volonté délibérée», affirme Maria Ressa, qui souligne que ce qui se passe en ligne transcende sa dimension virtuelle et «modifie notre façon d'agir, notre façon de vivre». «La violence en ligne est une violence réelle», résume la journaliste, citant des manifestations au Venezuela, au Mozambique, en Géorgie, où les opposants défilent en brandissant le livre qu'elle a écrit, How to Stand Up to a Dictator : The Fight for Our Future (Comment s'opposer à un dictateur: la lutte pour notre avenir).
«Reconnaissez votre pouvoir»
Toujours en s'inspirant de l'actualité, la journaliste cite la récente décision de Facebook de supprimer ses activités de vérification des faits. «Cher Mark», dit Maria Ressa, s'adressant idéalement à Mark Zuckerberg, PDG de Meta, «ce n'est pas une question de libre pensée, c'est une question de sécurité». De la Birmanie à Gaza, en passant par l'Ukraine et le Soudan, et les conflits oubliés du Zimbabwe, de l'Éthiopie et de l'Afghanistan, les combats ne sont pas seulement menés avec des armes, mais aussi «avec des algorithmes, de la désinformation, la destruction systématique de la vérité». «Reconnaissez votre pouvoir», exhorte-t-elle, «vous pouvez participer au changement pour le bien, guidé par l'amour». Elle conclut en citant T.S. Elliot et son idée d'un «présent» qui est déjà le «passé». «Nous voulons faire le bien maintenant, parce que quand nous regarderons en arrière, un jour, nous voulons dire que nous avons fait ce qu'il fallait», conclut-elle, saluée par de longs applaudissements.
«Nous devons nous comprendre»
«Comment promouvoir la civilisation à partir des décombres de la guerre?», telle est la question d'ouverture posée par Colum McCann. Il s'agit d'une citation tirée d'un dialogue entre Sigmund Freud et Albert Einstein. Le psychanalyste affirmait que l'humanité avait un instinct naturel «de haine et de destruction» qu'il était impossible d'éradiquer. À ce sombre pressentiment, Freud ajoutait toutefois une lueur d'espoir: «Lutter pour la paix et la justice n'est pas impossible», et tout fragment d'émotion «qui crée des liens entre les êtres humains doit inévitablement être exploité pour gérer les conflits». En résumé, la communauté mondiale est appelée à rechercher une «communion des sentiments» et une «méthodologie des instincts». L'auteur souligne la valeur des histoires, «le ciment qui nous unit», sans lesquelles «nous ne sommes rien». Ces ressources sont d'autant plus précieuses qu'elles proviennent de personnes aux parcours peu conventionnels. «Lorsque nous ignorons ces histoires», nous atteignons «le cœur de notre possible obscurcissement», capable de «nous détruire entièrement». «Nous ne pouvons pas aimer notre prochain, parce que nous n'avons plus de prochain qui ne soit pas notre propre personne», poursuit Colum McCann. «Nous perdons ainsi notre sens: nous nous demandons qui nous sommes, si nous ne correspondons qu'à nous-mêmes». Le résultat est la «nullité» des histoires de nos «supposés» ennemis. Une arme des plus «insidieuses», note l’écrivain irlandais, à laquelle Einstein espérait qu'une forme de «gouvernement mondial» pourrait remédier. C'est de cette idée que sont nées des institutions telles que les Nations unies. Cependant, bien que nées de prémisses prometteuses, elles «n'ont pas fonctionné comme nous l'aurions souhaité».
Le changement commence par le bas
«Quelques bribes de bonnes choses sont apparues, mais nous sommes encore proches de l'obscurité. Les décisions viennent toujours d'en haut» Le changement vient plutôt «d'en bas», estime Colum McCann citant deux pères de famille, un Israélien et un Palestinien, qui, malgré la perte de leurs enfants dans les conflits du Proche-Orient, «ont conservé leur amitié» et voyagent dans le monde entier pour partager leur histoire. Leur philosophie «est simple, mais profonde: nous ne sommes pas obligés de nous aimer. En fait, nous n'avons même pas besoin de nous aimer. Mais nous devons nous comprendre les uns les autres».
Les paroles d'espérance et de réflexion ont été suivies par un concert d’Uto Ughi, l'un des plus grands représentants de l'école italienne contemporaine de violon. Sa prestation a scellé le dialogue, anticipant la rencontre avec le Pape François.
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