Le cardinal Giovanni Angelo Becciu, au Vatican, le 25 septembre 2020. Le cardinal Giovanni Angelo Becciu, au Vatican, le 25 septembre 2020. 

Procès au Vatican: le cardinal Becciu dénonce des «accusations non fondées»

Le prélat a été entendu le 5 mai 2022 au cours de la 14e audience du procès. Il s'est notamment défendu sur les affaires de Pell, Cecilia Marogna ou encore l'immeuble de Londres, continuant de nier les accusations faites à son égard.

Salvatore Cernuzio - Cité du Vatican

La lecture de la déclaration spontanée du cardinal Angelo Becciu, au cours de la quatorzième audience du procès au Vatican pour des infractions présumées commises avec les fonds de la Secrétairerie d’État, a duré plus de deux heures et demie, ce 5 mai 2022. Parmi les affaires évoquées, les relations du cardinal avec la manager Cecilia Marogna et Mgr Alberto Perlasca, la question des virements faits en Australie, ou encore les détails de l’achat et la vente du Palais de Londres. 

L'audience, présidée par Giuseppe Pignatone, s'est ouverte sur la relation du cardinal avec Mgr Perlasca, ancien chef du Bureau administratif de la Secrétairerie d’État, et considéré comme le «témoin clé» du procès.

Déclaration spontanée du cardinal Becciu

Assis au centre de la salle polyvalente des Musées du Vatican, tenant un dossier en cuir bleu, le cardinal Becciu a réaffirmé avec force son «innocence absolue», ainsi que son regret d’avoir été exposé à une accusation publique «de proportion mondiale». Se disant «déchiré par un différend intérieur» entre la volonté de se défendre et «la dignité sacerdotale qui me conduit à ne pas étaler le mal accompli par d’autres», le cardinal est revenu, sans interruption de 10h05 à 12h35, sur chacun des chefs d’accusation.

Le cardinal Becciu est en premier lieu revenu sur l’affaire "Sardaigne", puis les virements à la Caritas d’Ozieri et à la coopérative Spes, dont est membre le frère Tonino. Il a contesté le fait que ce dernier ait été «fait passé pour un homme de main», alors que le frère Tonino s’est tant dépensé pour les pauvres et la communauté.

Il est ensuite revenu sur le moment où «pour la première fois» de telles accusations lui ont été adressées, soit à l’occasion de l’audience avec le Pape de fin septembre 2020, au terme de laquelle il avait démissionné. «Le Saint-Père - a dit Becciu - m’a dit qu’à la suite d’enquêtes ad hoc, on lui avait dit que les sommes de l’Obole de Saint-Pierre que j’avais envoyées à la Caritas de mon diocèse d’Ozieri avaient servi à enrichir mes frères, en particulier mon frère Tonino. Il a également ajouté qu’il regrettait qu’un hebdomadaire italien ait déjà la nouvelle de cette grave accusation et qu’il allait bientôt publier un article sur le sujet».

«Un scandale d’une gravité inouïe»

Le cardinal, a-t-il expliqué au tribunal, est resté «sans voix, tant cette accusation était absurde et non fondée». «Le virement des 125 000 euros était la seule accusation qu’il m'a adressée. Le Saint-Père me dit expressément qu’il n’en avait pas d’autre. Par amour pour l’Église, j’ai donc jugé nécessaire, avec une immense douleur, de présenter ma démission de la charge que j’occupais». De là, sa vie fut «bouleversée»: «Je fus jeté aux premières pages des journaux du monde entier; privé de toute charge ecclésiastique; relégué aux marges de la Curie et de l’Église». Le cardinal affirme qu’il continue à se demander, encore aujourd’hui, «pourquoi ces fausses accusations ont été rapportées au Pape», provoquant au sein de l’Église «un scandale d’une gravité inouïe».

Les investissements de la Secrétairerie d’État

«Déshonnorante» sont également les accusations de détournement d’investissements avec les fonds de la Secrétairerie d’État, a-t-il exprimé au cours de sa défense le cardinal Becciu. «J’aurais abusé de mes pouvoirs pour enrichir des gens qui m’étaient pratiquement inconnus», exprime-t-il, réaffirmant que «toutes les accusations sont totalement infondées».

Le cardinal s’est longuement arrêté sur la figure de Mgr Perlasca. «Technicien de profonde expérience et de grand dévouement au bureau», homme de «plus grande confiance». Il décrit également une personnalité «irascible et susceptible», «jalouse de sa propre autonomie», avec la grande ambition de devenir nonce apostolique, qui aurait toujours eu des rapports positifs avec le substitut jusqu’à l’enquête, «qui l'a mis à terre».

L’évêque a fini «en proie à une profonde solitude» et avec la «grande amertume» d’avoir été démis de ses fonctions au au sein du Dicastère. Le cardinal Becciu aurait demandé de l’aide pour défendre sa position et demandé à ce qu'il puisse rencontrer le Pape. Audience qui eut bien lieu, mais qui n’améliora pas pour autant la situation de Mgr Perlasca. À tel point que dans un texto aux accents dramatiques, le prélat aurait fait part de son désir de se suicider en se jetant par la fenêtre de sa chambre, «la seule solution possible, selon lui, pour sortir d’une situation qui ne lui permettait pas de prouver son innocence», a indiqué le cardinal Becciu.

Becciu alerta plusieurs personnes, y compris les gendarmes, et se rendit personnellement à Santa Marta où Mgr Perlasca résidait. Le prêtre a également reçu un sédatif ce soir-là. Au cours de sa défense, Becciu a réaffirmé qu’il se tenait toujours aux côtés de son collaborateur qui, après l’été, l’aurait invité à dîner «pour lui rendre son assistance attentionnée». Assis à la table du restaurant Lo Scarpone, cependant, le cardinal Becciu se serait trouvé devant «un homme différent, très étrange et sensible». «Après ce dîner, il s’est éloigné de moi».

Une «figure inquiétante»

Elément aggravant de la situation, l’entrée en scène d’une «figure inquiétante» décrite par le cardinal Bacciu : une femme affirmant s’appeler Genoveffa Putignani, née Genoveffa Ciferri, qui se serait mise en contact avec le cardinal Becciu en tant que proche de Mgr Perlasca. Elle demanda «à parler au Pape pour défendre l'innocence» de ce dernier. Cette femme, qui prétendait être un ancien agent des services secrets, commença à harceler le cardinal d’appels téléphoniques, l’accusant de n’avoir rien fait pour l’évêque.

Un jour qu’elle se présenta dans son appartement en «béatifiant» Mgr Perlasca, et réprimandant Becciu, ce dernier se serait impatienté et l’aurait renvoyée. Elle serait sortie en le menaçant : «Si il ne fait pas tout ce qui est possible pour rendre son honneur et son emploi à Perlasca, il perdra sa barrette cardinalice», lui aurait-elle lancé. «Le 10 septembre, elle m'a dit qu’entre le 15 et le 30 du mois, je perdrais le cardinalat. Je l’ai perdu le 24 septembre», a déclaré le cardinal Becciu.

Le cardinal révèle également que, sur la base d’enquêtes menées par les avocats, il aurait découvert que Genoveffa Ciferri avait donné à Mgr Perlasca des biens immobiliers en 2017 , en échange d’une «assistance morale et spirituelle adéquate» et de l’assurance de «célébrer ou faire célébrer des messes grégoriennes en suffrage ou post mortem pendant cinq ans comme tarifaire diocésain».

Cecilia Marogna, une femme «très compétente»

Autre femme protagoniste et sujet de la déclaration de cardinal Becciu : Cecilia Marogna, la manager de Cagliari (elle aussi accusée) qui se serait présentée au cardinal comme une "experte en renseignement et aspirante collaboratrice du Saint-Siège", qui oeuvrait à libérer des religieux enlevés dans des territoires sensibles. Le cardinal lui aurait fourni d’importantes sommes d’argent pour cette mission, sommes que Cecilia Marogna aurait ensuite utilisées pour des achats «incompatibles avec la finalité donnée par la Secrétairerie d’État».

De Cecilia Marogna, qu'il a connue en 2016, le cardinal Becciu aurait tout de suite eu une «bonne impression», a-t-il indiqué, la voyant comme particulièrement «compétente», avec une bonne connaissance au Vatican et des services secrets italiens. La «dame», se proposa comme médiatrice pour la libération de sœur Gloria Cecilia Navaes Goti, franciscaine colombienne enlevée au Mali en 2017.

«Elle me parla d’une agence anglaise de renseignement, Inkerman, avec laquelle elle aurait pu être en contact si besoin était pour mener toutes les opérations nécessaires à la libération de sœur Gloria», explique-t-il. Le cardinal Becciu en informa le Pape et «comprit immédiatement la nécessité de ne pas exposer le Vatican à une publicité inutile et même nuisible». «Il m’a donné l’autorisation de procéder de la sorte et, à la question explicite de si je devais en parler avec le commandant de la gendarmerie, m’a répondu non, ajoutant que la question devait rester confidentielle entre lui et moi», affirme le cardinal Becciu. La sœur fut effectivement libérée le 21 octobre 2021.

À Cecilia Marogna, des versements furent organisés sur des comptes différents. Les dépenses, destinées à la libération de la sœur, aurait, selon l’accusation, été dépensées par la manager pour acheter des vêtements, des accessoires et des meubles de luxe.

Investissement avec Falcon Oil

Deux affaires ont été enfin évoquées par la défense du cardinal Becciu, au cours de l'audience du 5 mai. Tout d’abord l’investissement avec Falcon Oil, société pétrolière en Angola et propriété de l’entrepreneur Antonio Mosquito, son «ami» à l’époque de la nonciature dans le pays africain. Antonio Mosquito, «bienfaiteur de la Nonciature», proposa l’acquisition du droit d’exploitation des gisements du puits. Le cardinal Becciu aurait signalé à la Secrétairerie d’État, affirme-t-il, l’investissement possible. «Mon intervention se borna seulement à signaler la simple proposition et, à plusieurs reprises, à exhorter Perlasca à effectuer avec rigueur toutes les vérifications nécessaires pour protéger le Saint-Siège de tout risque financier possible». Les négociations n’ont pas abouti. Le cardinal Becciu ne protesta pas car, a-t-il expliqué, il tenait plus au «bien supérieur du Saint-Siège» qu’à tout «intérêt personnel».

L’affaire Pell

L'affaire Pell a également était l'objet de la défense du cardinal Becciu pour cette 14e audience. Le cardinal s'est défendu sur la question de virements - environ 2,3 millions de dollars australiens - envoyés en Australie pendant la période du procès pour abus contre le cardinal George Pell. Ces deux dernières années, certains médias ont suggéré que le Substitut de l’époque avait financé de faux témoignages au détriment du cardinal avec lequel il avait des divergences à la Curie. «Accusation honteuse», «conjecture ignoble et insupportable», s’est défendu le cardinal Becciu, en lisant une lettre du cardinal Pietro Parolin qui affirmait que la somme servait au paiement du domaine Internet «.catholic».

Le cardinal Becciu a conclu sa défense en répondant aux accusations faites sur l’investissement dit de «Lombard», le transfert de toute la disponibilité économique de la Secrétairerie d’État en un seul compte, ainsi que sur l'affaire du courtier Gianluigi Torzi. 

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06 mai 2022, 14:42