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Le cardinal Angelo Becciu en septembre 2020 à Rome Le cardinal Angelo Becciu en septembre 2020 à Rome 

Justice vaticane: le cardinal Becciu interrogé pendant huit heures

La quinzième audience du procès de l’immeuble de Londres s’est déroulée mercredi 18 mai au Vatican. La longue séance a été entièrement occupée par les réponses du cardinal Angelo Becciu aux questions du promoteur adjoint de la justice. La constitution de partie civile de Mgr Perlasca a été partiellement rejetée.

Salvatore Cernuzio - Cité du Vatican

«Je ne sais pas, je ne me souviens pas». Ces mots ont été répétés à plusieurs reprises par le cardinal Angelo Becciu devant les centaines de documents que le vice-promoteur de justice, Alessandro Diddi, voulait faire projeter sur les murs lors de la quinzième audience du procès au Vatican concernant l'utilisation illicite présumée de fonds de la Secrétairerie d'État.

Ce fut l'audience la plus longue du procès (elle a commencé à 9h50 et s'est terminée à 17h45), et peut-être celle dont le ton a été le plus vif entre le promoteur qui s'impatientait parce qu'il était interrompu à plusieurs reprises par les avocats. Ces derniers quant à eux s'opposaient avec véhémence aux questions "hors charges" et le cardinal Becciu, frappant de la main sur la table, s'est exclamé: «Je n'ai jamais travaillé que pour le bien du Saint-Siège!». Le président du tribunal du Vatican lui-même, Giuseppe Pignatone, a à un moment interrompu l'audience pendant quelques minutes pour demander le calme.

Documents vidéo projetés

Conversations, messages, actes, lettres, procès-verbaux de la Secrétairerie d'État, articles de journaux ont été projetés sur le mur de la salle multifonctionnelle des Musées du Vatican, faisant apparaître de nouveaux contours de l'affaire de la vente du Palais de Londres et d'autres investissements, comme celui auprès de la Caritas d'Ozieri. Assis sur le banc des accusés, le cardinal a répondu à toutes les questions.


Rapport de Mgr Perlasca

L'exposition d'un long rapport de Mgr Alberto Perlasca, alors chef du Bureau administratif de la Secrétairerie d'État, a notamment suscité la controverse. En juillet 2019 (deux mois avant les perquisitions et le début des enquêtes), le prélat se disait préoccupé par l'affaire de l'achat de l'immeuble de Sloane Avenue et par les relations avec les financiers Gianluigi Torzi et Raffaele Mincione (tous deux accusés). Diddi a interrogé le cardinal Becciu sur ces informations, que le prélat a déclaré ne pas connaître ou ne pas pouvoir contextualiser. D'autre part, les avocats de la défense ont protesté que le document aurait été extrait d'une conversation sur l’ordinateur de Perlasca, qui n'avait jamais été remis à l'accusation. «C'est du jamais vu, s’est exclamé un avocat, l'on pose des questions en utilisant des documents éloignés des parties et de la juridiction du tribunal». Diddi a cependant prouvé que le document avait été classé dans un dossier de l’ordinateur intitulé Rapport.

Rejet partiel de la demande de Mgr Perlasca

Au sujet de Mgr Perlasca, Giuseppe Pignatone a lu au début de l'audience une ordonnance de vingt pages dans laquelle il a partiellement rejeté et partiellement confirmé les exceptions présentées lors de l'audience précédente contre l'action civile du prélat. La Cour a confirmé la constitution seulement contre le cardinal Becciu pour le crime de subornation; elle a rejeté en revanche celle contre Torzi, Tirabassi, Craso et Squillace pour le crime de fraude, accusés par le prélat de l'avoir "trompé" en signant la disposition par laquelle les mille actions avec droit de vote étaient laissées à Torzi pour la propriété de Sloane Avenue (utilisée par le courtier pour extorquer de l'argent à la Secrétairerie d'État). Pour le Tribunal du Vatican, «aucun dommage n'est identifié».

La démission de Milone

Avant l'interrogatoire, Becciu a tout d'abord voulu clarifier la «question» de Libero Milone, l'ancien auditeur qui a démissionné de son poste au Vatican en 2017 (contre sa volonté, avait-il déclaré). Interrogé sur «le sort de Milone» le 5 mai, le cardinal n'avait pas répondu, «pour l'amour du Saint-Père». Aujourd'hui, il a au contraire expliqué qu'il avait été autorisé ces derniers jours par le Pape lui-même à s'exprimer; il a donc nié toute responsabilité dans la démission de Milone. C'est le Pape, a-t-il expliqué, qui, en juin 2017, l'a chargé de dire à l'auditeur qu'«à partir de maintenant, il ne jouit plus de la confiance du Saint-Père», et qu'«il doit démissionner».

«Les raisons, a-t-il poursuivi, sont contenues dans le communiqué du Bureau de presse du Vatican (24 septembre 2017) : il apparaît que le Bureau de l'Auditeur, allant au-delà de ses compétences, a illégalement mandaté une société externe pour mener des activités d'investigation sur la vie privée des membres du Saint-Siège».

Les devoirs de l'Office administratif

Après la projection d'une partie de la conférence de presse de Becciu du 25 septembre 2020, à l'Institut Santa Maria Bambina, au lendemain de sa démission, la longue répartie a commencé, portant principalement sur les investissements de la Secrétairerie d'État. À ces questions et à toutes les questions similaires ultérieures, le cardinal Becciu a répondu de la même manière, à savoir que c'était «le bureau de l'administration qui avait pour tâche de bien préparer l'ensemble du dossier» avant de procéder aux opérations financières. «Il avait l'obligation morale de ne pas créer de problèmes pour le supérieur, mais aussi de le faire mal paraître». Sur le palais de Londres - acheté, selon le cardinal, avec les biens de la Secrétairerie d'État et non avec l'obole de Saint-Pierre –«ils m'ont fait une proposition tout à fait avantageuse pour le Saint-Siège. Il m'est difficile d'entrer dans les détails, également parce que c'était leur "tâche"», a-t-il affirmé.

Relations avec la Secrétairerie d'État

Le cardinal Becciu a déclaré qu'il ne se souvenait pas –y compris en raison du stress causé par le procès- de tous les documents projetés avec sa signature au bas de ceux-ci ou des avis écrits au stylo: «À la Secrétairerie d'État, il y avait des centaines de feuilles». Plus d'une fois, il est apparu comment, même s'il avait cessé d'être suppléant, le cardinal s'était intéressé aux affaires du dicastère, comme avec la perquisition du 2 octobre 2019: «Jamais je n'avais vu la gendarmerie entrer dans le Palais apostolique, nous étions tous stupéfaits et inquiets. Je voulais savoir ce qu’il s'était passé», a justifié le cardinal.

Diddi lui a fait remarquer que, bien que n'étant plus adjoint, il avait demandé à Mgr Perlasca, à certaines occasions, d'«accomplir des actes de fonction». On a pu lire, par exemple, que le cardinal avait demandé 14 150 euros à son ancien collaborateur. De l'argent lié, semble-t-il, aux opérations de libération de sœur Gloria Navaes Goti, une franciscaine colombienne enlevée au Mali en 2017 et libérée l'an dernier. Le cardinal Becciu a coupé court à ce sujet en déclarant qu'il avait apporté des «clarifications exhaustives» et qu'il n'était «pas nécessaire de détailler davantage l'opération de libération» de la religieuse. Il n'a pas été question de «paiement de rançon», a-t-il assuré.

Cecilia Marogna

L'interrogatoire s’est poursuivi en abordant longuement les contacts du cardinal Becciu avec la manager sarde Cecilia Marogna, qu'il a rencontrée en 2016, dont il connaissait les liens avec les services secrets italiens, et qui aurait contribué avec la société de renseignement britannique Inkermann à la libération de la religieuse. Ces contacts se sont poursuivis même après les premières allégations selon lesquelles la manager avait utilisé les sommes reçues du Vatican pour des achats «voluptueux». «J'étais nerveux, je l'ai appelée, elle a tout nié. J'étais convaincu qu'elle disait la vérité. Je n'arrêtais pas de l'appeler car elle devait me tenir au courant des négociations». Le cardinal Becciu l’a également rencontrée après sa sortie de prison dans le cadre d'un «acte sacerdotal»: «Elle était dévastée». Le cardinal a tenu à préciser les détails de la nuit passée par Marogna dans son appartement au Vatican: «Elle est restée discuter jusqu'à tard. Les religieuses m'ont dit qu'elle ne voulait pas retourner à l'hôtel par peur de Covid. Elle a dormi dans leur logement. Je l'ai retrouvée le lendemain au petit-déjeuner, nous nous sommes dit au revoir et je suis ensuite allé à la Congrégation».

Proposition d'achat

L'ancien substitut a ensuite dû répondre à une note évoquant une réunion fin mai 2020 avec Giancarlo Innocenzi Botti, ancien sous-secrétaire du gouvernement Berlusconi, et l'ancien ambassadeur d'Italie aux États-Unis, Alessandro Cattaneo, qui souhaitaient présenter des propositions pour l'achat du palais londonien. Le projet a été présenté par Becciu, confiant dans le «sérieux» des deux interlocuteurs, au Pape, au cardinal Parolin et, à une occasion, au promoteur de justice Gian Piero Milano. La proposition a toutefois révélé plusieurs aspects critiques et c'est surtout le père Juan Guerrero Alves, l'actuel préfet du Secrétariat à l'économie, qui a exprimé son «scepticisme» dans un courriel. Selon l'hypothèse de l'accusation, il semble qu'une société dirigée par Torzi soit à l'origine de cette proposition. Le cardinal Becciu a assuré qu'il ne savait pas et a déclaré que lorsque le cardinal Parolin lui a dit que la proposition était rejetée, il n'a pas insisté davantage: «Pour moi, cela finissait là». Il a toutefois demandé au cardinal Parolin de rencontrer «à titre personnel» Cattaneo et Innocenzi.

Secrétariat à l'économie et campagne de presse

Le cardinal a enfin été interrogé sur les relations avec le Secrétariat à l'économie, dirigé alors par le cardinal George Pell, qui semblait vouloir faire une «invasion de terrain» sur les finances «souveraines» de la Secrétairerie d'État. Le cardinal Becciu s’est aussi prononcé sur une «suggestion» faite à Torzi, par l'intermédiaire de son ami en commun Marco Simeon, de ne pas se présenter à la convocation des Promoteurs de la Justice début juin 2020. «Simeon m'a écrit que Torzi avait peur, je l'ai jeté comme ça pour ne pas y aller, je ne me suis pas imposé avec autorité. C'était un pourparler». De même, le cardinal Becciu a précisé le contexte d'une phrase envoyée sur WhatsApp à Crasso: «Le moment venu, il faudra faire une belle campagne de presse ! En fait, vous pourriez même le faire tout de suite, demander à votre avocat si c’est le moment de déboulonner nos magistrats». «Vous avez commandé des articles pour faire campagne contre eux?» a demandé le promoteur. Le cardinal a expliqué que le message résultait d'une conversation avec «un homme désespéré» et qu'il était destiné à lui dire «défendez-vous comme vous le pouvez».

L'interrogatoire du cardinal Becciu doit se poursuivre ce jeudi.

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19 mai 2022, 12:31