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Une centrale électrique au gaz, dans la ville de Lingen, en Allemagne, le 12 janvier 2022. (Ina Fassbender/AFP) Une centrale électrique au gaz, dans la ville de Lingen, en Allemagne, le 12 janvier 2022. (Ina Fassbender/AFP) 

Gaz et nucléaire, des énergies «vertes»?

Dans le cadre de son objectif de neutralité carbone fixé à 2050, la Commission européenne a dévoilé, fin décembre, son projet de reconnaître le nucléaire et le gaz comme des énergies durables. L’objectif? Les faire entrer dans la «taxonomie verte» européenne. Sujet hautement sensible en Europe, il relance le débat sur l'utilisation civile du nucléaire et du gaz, comme énergies de transition.

Claire Riobé – Cité du Vatican

Le nucléaire et le gaz sont-ils deux sources d’énergies «vertes»? Si la question fait autant débat sur la scène européenne, c'est parce que sa réponse déterminera l'inclusion, ou non, de ces deux sources d'énergies dans la taxonomie «verte» européenne. Adopté en 2020 au sein de l'UE, ce nouvel outil de classification des activités économiques respectueuses de l'environnement fait aujourd'hui office de «label vert» auprès des financiers. Il donnerait accès aux industries du nucléaire et du gaz à de nouvelles subventions privées et publiques, destinées à favoriser des activités qui n'aggravent pas le changement climatique.

Pour: l'utilisation du nucléaire civil, «ce serait une erreur de s'en priver»

À en croire certains supporteurs au projet européen, le débat se buterait à une question de sémantique. «L’adjectif vert ne veut rien dire, chacun ayant sa propre définition de ce qui est vert où ne l’est pas. [...] Le nucléaire n’est peut-être pas une énergie "verte" au sens pur du terme, mais c’est une activité de transition, qui a toute sa place dans la taxonomie européenne», affirme ainsi Alexandre Grillat. Le Secrétaire national de la CFE-CGC Energies, deuxième syndicat français des industries électriques et gazière, soutient depuis deux ans l'inclusion du gaz et du nucléaire civil dans la taxonomie européenne.

«La décarbonation est un impératif au regard de l’urgence climatique, et elle suppose d’utiliser tous les moyens à notre disposition », avance-t-il. «La production d’électricité via le nucléaire ou le gaz, surtout s’il est renouvelable, fait partie de ces moyens de réduire les émissions de CO2. Ce serait une erreur climatique de s’en priver». La France, qui tire aujourd'hui plus de 70% de son électricité de l'énergie nucléaire, est avec la Pologne et la Hongrie l'un des principaux défenseurs du projet européen.

Alexandre Grillat voit dans cet objectif un avantage évident: «Inclure le nucléaire et le gaz dans la taxonomie permettra de recevoir des financements d’investissements privés à des taux attractifs, ainsi que des financements publics. À moyen et long-terme, cela garantit l’avenir du nucléaire en Europe.»

Contre: «Ni le gaz, ni le nucléaire ne correspondent aux critères de la taxonomie verte européenne»

Pourtant, dès sa création, la taxonomie européenne a été élaborée à partir de critères scientifiques et objectifs qui excluaient d'emblée les énergies du nucléaire et du gaz. «Le gaz est clairement une énergie fossile, aucun scientifique ne vous dira qu’il correspond à un actif vert ou durable. Et le nucléaire pose des problèmes vis-à-vis du traitement des déchets radioactifs et de la sécurité», dénonce Philippe Zaouati, ancien membre d’un groupe d’experts de la finance durable de la Commission européenne.

Aujourd'hui directeur général de l’entreprise Mirova, il affirme «son soutien très fort» à l’outil de la taxonomie, mais dénonce les pressions politiques et financières exercées par certains pays européens pro nucléaires et gaz au sein de la Commission. «Si l’on regarde ce sujet uniquement avec l’axe du climat, le nucléaire répond effectivement à l’objectif européen de décarbonation, car cette énergie est peu émettrice de gaz à effet de serre [...]Mais pour qu’une énergie soit éligible à la taxonomie, il faut non seulement qu’elle soit positive pour le climat, mais également qu’elle n’ait pas d’impact négatif significatif pour les autres sujets environnementaux, ce qui n'est pas le cas».

La consommation massive d’eau, utilisée pour refroidir les réacteurs des centrales, est également régulièrement pointée du doigt par des ONG de défense de l'environnement. Ni le nucléaire, ni le gaz, ne correspondent ainsi aux critères verts imposés actuellement par la taxonomie. «Tout cela ne signifie pas qu’il faille arrêter de financer le nucléaire, ou que des pays comme la France ne sont pas légitimes. Nous redisons simplement que le gaz, comme le nucléaire, ne peuvent et ne doivent pas être inclus dans la liste des actifs "verts" européens», conclue Philippe Zaouati.

Définition d'une énergie «verte»

Une question reste au centre du débat: une énergie est-elle verte uniquement parce qu'elle ne rejette pas de gaz à effet de serre? De toutes les technologies développées, la technologie nucléaire est certainement parmi les moins polluantes, et parmi celles qui n’ont qu’un impact très réduit sur le réchauffement climatique. «Le rôle de la science, de la technologie et de l'innovation dans le cadre des objectifs de développement durable des Nations unies peut être soutenu par diverses technologies nucléaires et leur application […], et ainsi promouvoir le développement intégral en améliorant notre gestion de la création de Dieu», déclarait Mgr Paul Richard Gallagher, le 17 septembre 2018, à la 62ème conférence internationale de l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique).

Cependant il est difficile d’exclure du débat les risques liés à la fois à la sécurité des centrales et aux déchets nucléaires. «Quand d’éventuels risques pour l’environnement, qui affectent le bien commun, présent et futur, apparaissent, cette situation exige que les décisions soient fondées sur une confrontation entre les risques et les bénéfices envisageables pour tout choix alternatif possible. Cela vaut surtout si un projet peut entraîner [...] la production de déchets. [...] Certains projets qui ne sont pas suffisamment analysés peuvent affecter profondément la qualité de vie dans un milieu pour des raisons très diverses, comme [...] l’utilisation de l’énergie nucléaire», peut-on lire dans l'encyclique Laudato Si' du Pape François.

En matière de sécurité, il est intéressant de noter qu'en 1982, quatre ans avant l’accident de la centrale de Tchernobyl, saint Jean Paul II, tout en réaffirmant «la pleine légitimité, la noblesse et l’utilité de la recherche scientifique, y compris dans le domaine des hautes énergies et de la physique nucléaire», précisait déjà que «dans le domaine des applications pacifiques de l’énergie nucléaire, la technique demandera donc toujours un surcroît de prudence». L’énergie nucléaire civile n’est par conséquent pas mise ban. Le Compendium de la Doctrine sociale de l’Église encourage le développement des «énergies alternatives» aux énergies fossiles et à «élever les niveaux de sécurité de l'énergie nucléaire».

Accentuer la recherche, c’est aussi la position exprimée par le Pape François lors de la conférence de presse sur le vol qui le ramenait de son voyage apostolique au Japon, le 26 novembre 2019: «L’utilisation de l’énergie nucléaire est très “limite”, parce que nous ne sommes pas encore arrivés à la sécurité totale».

Enfin, à la différence des énergies renouvelables telles que l'eau, l'air et le soleil, l'énergie nucléaire, produite par la fission de l’atome, a un impact direct sur la vie humaine. Les accidents de Tchernobyl (26 avril 1986) et de Fukujima (11 mars 2011) l’ont malheureusement démontré.

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21 janvier 2022, 18:15