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Cardinal Zenari: le départ des chrétiens est une "blessure grave" pour toute la Syrie

De passage à Rome où il participait à l’assemblée de la ROACO (du 21 au 25 juin), le nonce apostolique à Damas, le cardinal Mario Zenari évoque la situation dramatique de la Syrie, écrasée par dix années de guerre et étreinte par la pauvreté. Il presse la communauté internationale de remettre le processus de paix en route et s’inquiète des conséquences de l’émigration des chrétiens pour toute la société.

Entretien réalisé par Manuella Affejee – Cité du Vatican

Entretien avec le cardinal Mario Zenari

C’est le Liban qui a été au cœur de l’actualité ces derniers jours, notamment au Vatican. Mais la situation de la Syrie n’est guère meilleure. Quel est le quotidien des Syriens aujourd’hui ?

Je le répète souvent: les bombes ne tombent plus dans plusieurs régions de la Syrie, grâce à Dieu, mais nous avons maintenant une autre bombe, celle de la pauvreté, qui d’après les statistiques des Nations unies, touche 90% de la population. Et je peux vous en donner des exemples. A Damas, je vois des gens faire la queue devant les boulangeries, je vois des files et des files de voitures attendent devant les stations-service pour acheter de l’essence. Ce sont des images qui touchent au cœur. Cela s’explique par dix années de guerre et de destruction; malheureusement le processus de paix est arrêté, il n’y a pas encore de reconstruction, ni de reprise économique alors que la pauvreté, elle, progresse rapidement. En plus de tout cela, la Syrie est oubliée depuis quelque temps et on parle plutôt des autres crises du Moyen-Orient, très graves aussi comme au Liban qui a d’ailleurs des conséquences très graves sur la Syrie.

Cela me fait penser à cette parabole de l’Évangile et à ce pauvre homme tombé entre les mains de criminels sur la route qui va de Jérusalem à Jéricho, volé, frappé et laissé pour mort au bord du chemin; heureusement pour lui, passe un bon Samaritain.

Aujourd’hui, il y a de bons Samaritains, mais il ne faut pas seulement secourir la Syrie comme le malheureux de la parabole. Il faut que la Syrie soit mise debout, qu’elle puisse marcher en toute dignité ! Et cela, on ne le voit pas encore.

Vous étiez à Rome pour participer à l’assemblée de la ROACO (Réunion des œuvres d’aide aux Églises orientales) qui s’est penchée sur un Orient en crise: au Liban, en Éthiopie, dans le Haut-Karabagh, en Irak ou en Terre Sainte. Qu’êtes-vous venu demander pour votre Syrie oubliée ?

Je n’ai pas ouvert la main comme je le fais d’habitude, mais bien mes deux mains aux agences qui nous aident très généreusement. Tout en sachant que ces aides, bien que très précieuses, sont des gouttes d’eau dans le désert, alors qu’il faudrait un fleuve ! Et cela ne peut arriver uniquement que grâce à la communauté internationale. Il faut qu’elle bouge et mette en marche le processus de paix; il faut mettre fin au syndrome du “you first” -c’est l’expression de l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie-, c’est-à-dire lorsque chacun attend que ce soit l’autre qui fasse le premier pas. Il faut au contraire, tous ensemble, mettre quelque chose sur la table.

Damas, Washington et Bruxelles: ces trois capitales doivent poser un geste de bonne volonté pour que les sanctions tombent, que la reconstruction commence et que l’économie redémarre. Si l’on ne bouge pas, la Syrie risque d’être étranglée.

Ici, comme tous les ans à la ROACO, j’ai présenté la situation au Pape et aux différentes personnes que j’ai rencontrées – représentants de gouvernements et d’ambassades. Je ne suis pas ici pour représenter l’un ou l’autre parti, mais pour porter le cri de la population.

Il y a cinq armées différentes qui opèrent en Syrie, sur terre et dans les airs. Craignez-vous une partition du pays à terme ?

On dit toujours que la Syrie doit être indépendante, unifiée et unie. Mais on voit bien que la réalité du terrain ne correspond pas à ce souhait qui est le nôtre et celui de la communauté internationale.

Il y a en effet cinq armées étrangères qui y opèrent et qui ne sont pas d’accord entre elles. Puis, vous avez encore 30% du territoire qui ne sont pas encore sous le contrôle du gouvernement. Et dans une partie du nord, vous avez quand même des gens qui commencent à utiliser une autre monnaie que la livre syrienne... Donc oui, il y a ce risque.

C’est tout un peuple qui souffre mais bien sûr le Saint-Siège et l’Église universelle accordent une attention particulière aux chrétiens syriens. Ils étaient nombreux il y a encore dix ans; beaucoup sont partis à l’étranger. Disposez-vous de chiffres récents sur cette présence chrétienne en Syrie ?

Plus de la moitié des chrétiens sont partis, tout le monde est d’accord sur ça. J’ai vu d’autres chiffres qui pourraient être vraisemblables selon lesquels 1,5 millions de chrétiens, toutes confessions confondues, se trouvaient dans le pays avant le conflit. Maintenant ils pourraient être 500 000, donc ce seraient les deux tiers d’entre eux qui auraient fui.

C’est une grave blessure pour les Églises mais aussi pour la Syrie, surtout si l’on pense que ceux qui émigrent sont jeunes et qualifiés. C’est d’autant plus grave qu’en 2000 ans de présence, les chrétiens ont donné un apport considérable à leur pays, dans le domaine de la culture, de l’éducation, de la santé, mais aussi sur le terrain politique. Pour la société syrienne, les chrétiens sont comme une fenêtre ouverte sur le monde; et quand je vois des familles partir, je me dis que la fenêtre est en train de se fermer petit à petit.

Je dois dire qu’il n’y a pas eu de persécution au sens strict du terme pour les chrétiens, mais il faut dire qu’ils ont souffert plus que les autres parce que les groupes minoritaires sont les maillons les plus faibles de la chaîne, dans ce genre de conflit. Nous avons encore trois paroisses dans la province d’Idleb, dominée par des groupes fondamentalistes dont le front Al-Nosra, qui tiennent encore et les fidèles, catholiques et orthodoxes, peuvent encore fréquenter l’église.

Signalons enfin les discussions de Genève sur la réforme de la Constitution; il faudrait arriver à avoir une «laïcité positive» de l’État -autrement nous aurons des États théocratiques comme il en existe dans la région et cela n’est pas bon pour les minorités-, mais aussi la liberté religieuse et de conscience.

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02 juillet 2021, 09:15