Une infirmière prend soin d'un patient infecté par la Covid dans l'hôpital de Stod, en République tchèque , le 23 février dernier. Une infirmière prend soin d'un patient infecté par la Covid dans l'hôpital de Stod, en République tchèque , le 23 février dernier. 

Mgr Jurkovič: défendre la fraternité mise à mal par la pandémie

Lors de la sixième réunion annuelle sur le dialogue interreligieux qui s’est tenue hier à Genève, l'observateur permanent du Saint-Siège auprès des agences des Nations unies basées dans la ville helvétique a exprimé ses craintes quant aux conséquences de la propagation du coronavirus. Il rappelle que la foi permet de voir plus loin que soi-même.

Roberta Barbi - Cité du Vatican

Un dialogue sincère peut avoir un impact positif sur le monde. Telle est la conviction formulée par l'observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations unies à Genève lors de cette rencontre portant sur «le rôle de la foi au temps de la Covid-19». Mgr Ivan Jurkovič a commencé par remercier les personnalités présentes. «Chacun de nous connaît, par expérience personnelle, la valeur et l'importance de notre religion dans notre vie. Cette conférence annuelle nous permet de partager ce qui est le plus important pour nous, dans un esprit de confiance et de fraternité, afin que nous puissions apprendre les uns des autres, nous entraider et grandir ensemble dans le respect mutuel», a-t-il souligné.

Un quotidien dévasté


L'archevêque est ensuite entré dans le vif du sujet, soulignant combien la pandémie avait été dévastatrice, en quelques mois seulement. «Tous les aspects de notre vie ont été bouleversés, note le diplomate, des centaines de milliers de personnes sont mortes ; d'innombrables autres souffrent de la grave crise sanitaire ; de nombreuses entreprises ont été fermées dans le monde entier, dont certaines ne pourront jamais rouvrir ; les économies nationales ont été dévastées ; l'industrie manufacturière s'est arrêtée ; dans de nombreux endroits, l'éducation a été réduite à un apprentissage virtuel ou a complètement cessé et les situations de pauvreté ont été poussées jusqu'au point de rupture.»

Le tableau est sombre, il l’est encore plus pour les personnes les plus vulnérables. Mgr Ivan Jurkovič évoque le sort des migrants, des réfugiés, des peuples indigènes, des enfants et des mères. Parmi les victimes de ce «fléau amer» qui touche l’ensemble du monde, le prélat souhaite que l’on comptabilise, au même titre que les personnes ayant contracté le virus, celles qui étaient déjà dans un état de grande pauvreté et qui, avec la pandémie, se sont encore plus appauvries et sont mortes dans la misère.

Une souffrance intime et invisible

Le prélat n'oublie pas non plus les «autres» conséquences de la pandémie, moins palpables mais tout aussi néfastes. «Les effets les plus inquiétants du virus sont les crises intérieures, plus subtiles, explique Mgr Jurkovič. S’il juge les restrictions sanitaires mises en place dans le monde nécessaires pour assurer un environnement sûr à tous, il estime également que «l'isolement dans la maison, ainsi que le port d'un masque, la souffrance de la perte du travail ajoutée à l'impossibilité d'une interaction physique avec la famille et les amis ont eu et continuent d'avoir un profond impact psychologique, émotionnel et spirituel sur chacun d'entre nous».

Dans la perspective chrétienne, l'ancien principe aristotélicien de l'homme en tant qu'être social prend un sens encore plus profond, selon l'observateur permanent. «Dieu désire la communion. Le Tout-Puissant nous a créés en tant qu'êtres humains afin que nous puissions entrer dans une relation profonde et significative avec notre Créateur et les uns avec les autres. Ce n'est que par ce partage mutuel et ouvert de nous-mêmes que nous trouverons un véritable épanouissement et la paix».

La communion fraternelle menacée

Or la pandémie a exacerbé, juge-t-il, les tensions déjà existantes et a accru les menaces à l'unité entre les individus, les peuples, les cultures et les nations, augmentant les inégalités. «Lorsque les ressources et les soins médicaux sont limités, il est compréhensible que chaque personne et chaque nation cherche à obtenir et à accumuler ce qu'elle peut pour ses proches», mais cette approche «à courte vue et égoïste est en opposition directe avec l'unité et la communion qui apportent véritablement l'épanouissement au cœur humain». Il évoque la thésaurisation des vaccins, l'insistance jalouse sur les droits de brevet, la fermeture des frontières et le repli général sur soi. Ces réactions compréhensibles sont selon lui, des réponses qui «loin de nous aider à survivre à la tempête de la pandémie, nous infligeront une blessure bien plus profonde que le Coronavirus lui-même: elles risquent de nous séparer de ce qui nous rend vraiment humains, à savoir notre capacité et notre désir de vivre en communion fraternelle».

Voir au-delà de soi-même


La foi apprend à regarder au-delà de soi-même et de ses besoins immédiats. «Ce n'est pas une coïncidence si la plupart des grandes traditions religieuses mettent fortement l'accent sur l'amour désintéressé, plaçant la responsabilité de chacun d'entre nous de prendre soin de nos frères et sœurs», note Mgr Jurkovič.

Le Pape François et le Saint-Siège sont très soucieux de veiller à ce que la pandémie de coronavirus n’entraîne pas une «détérioration de l'interaction humaine authentique», une conséquence qui serait «encore plus tragique». C'est pourquoi une commission ad hoc a été créée au sein du dicastère pour la Promotion du Développement humain intégral, rappelle le prélat, dans le but de promouvoir une prise en charge authentique et holistique de tous ceux qui sont touchés par la pandémie actuelle.

Construire la fraternité

Et puis «il y a l'importance de la fraternité humaine et le rôle des traditions religieuses dans sa promotion», souligne le prélat qui mentionne le Document sur la Fraternité humaine signé avant la pandémie par le Pape François et le cheikh Ahmed el-Tayeb, grand imam d'al-Azhar, le 4 février 2019, mais également la dernière lettre encyclique du Pape, Fratelli tutti. Dans ce document, le Pape souligne que «les différentes religions, sur la base de leur respect pour chaque personne humaine en tant que créature appelée à être enfant de Dieu, contribuent de manière significative à la construction de la fraternité et à la défense de la justice dans la société».

L’observateur permanent a conclu son intervention en revenant sur le discours du Pape François au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège prononcé il y a quelques semaines. «La pandémie, qui nous a contraints à endurer de longs mois d'isolement et souvent de solitude, a mis en évidence le besoin de relations humaines de chaque individu. Forts de nos traditions et de nos croyances religieuses, nous pouvons tous témoigner de la valeur et de l'importance de cultiver la santé spirituelle, enracinée dans la fraternité et l'espoir, comme le moyen le plus efficace de guérir le monde qui nous entoure», déclarait alors le Saint-Père.

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26 février 2021, 11:44