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Le cardinal Parolin: les chrétiens ont un rôle fondamental dans l'Europe

Lors de la session plénière de la Commission des conférences épiscopales de la Communauté européenne, le secrétaire d’État du Saint-Siège a prononcé un discours dense et articulé sur le rôle des Églises au sein de l'Union et les domaines prioritaires de collaboration avec les institutions pour un véritable témoignage chrétien.

Gabriella Ceraso - Cité du Vatican

Le cardinal Parolin est intervenu par vidéoconférence lors de l'Assemblée plénière de la Commission des Épiscopats de l'Union européenne à l'occasion du 40e anniversaire de sa fondation ; il a tout d’abord transmis les salutations et la bénédiction du Pape François, qui a partagé sa vision de l’Europe dans une lettre qui lui est d’ailleurs adressée.

L'Église, les papes et l'intégration européenne

Le discours du cardinal italien s'inscrit dans le contexte actuel, «une période incertaine et difficile, dans laquelle de nombreux pays ont été et continuent d'être durement touchés par la pandémie, et l’on ne voit pas encore de sortie de ce qui est une crise sanitaire, économique et sociale». Dans cette situation, l'Église en Europe est appelée à accomplir sa mission avec plus de zèle et à apporter sa contribution, en offrant un message de foi, d'unité, de solidarité et d'espérance.

Rappelant l'origine du processus d'intégration européenne en 1950 avec la déclaration de Robert Schuman, et le début d'un projet d'unité supranationale, garantie de paix et de dépassement des nationalismes qui avaient tant déchiré l'Europe, le cardinal souligne le soutien constant apporté par l'Église au processus d'intégration, depuis l'époque de Pie XII, à la proclamation par saint Paul VI et saint Jean-Paul II des saints patrons de l'Europe, aux visites au Parlement européen de saint Jean-Paul II le 11 octobre 1988, et du Pape François le 25 novembre 2014, avec lesquels - souligne-t-il - la proximité de l'Église avec l'Europe s'est encore intensifiée. François, «le premier pontife non européen depuis plus de mille ans».

Le rôle de la COMECE et du CCEE au sein de l'Union européenne

Pour le cardinal, les institutions telles que la Comece sont un signe important au sein de l’Europe ; la Commission des Épiscopats de l'Union européenne est fondée le 3 mars 1980 comme «une reconnaissance de la nécessité d'une ouverture mutuelle et d'une collaboration fraternelle des Églises en Europe, entre elles et avec les institutions européennes», pour promouvoir et protéger le bien commun, à la lumière de la joie de l'Évangile du Christ. Si l'approche du Saint-Siège auprès des institutions européennes est de nature purement diplomatique, rappelle  le cardinal Parolin, la perspective complexe et précieuse du travail de la Comece est plutôt «d'accompagner le processus politique de l'Union européenne dans les domaines qui intéressent l'Église et de communiquer les opinions et les visions des épiscopats concernant le processus d'intégration européenne». Tout aussi important est le rôle du Conseil des conférences épiscopales d'Europe (CCEE), composé des présidents de toutes les conférences épiscopales, un rôle plus pastoral mais tout aussi nécessaire.

La vision européenne du Pape François

Le rendez-vous avec la plénière qui vient de se terminer est donc une occasion importante de parler à l'ensemble de l'Europe des défis qui se présentent : c'est la voix de l'Église à laquelle s'ajoute celle du Pape. Le cardinal est donc revenu sur le contenu de la lettre que le Pape lui a adressée il y a quelques jours. «Il me semble, affirme le secrétaire d'État, que l'intention de la lettre du Pape est avant tout de poursuivre une réflexion sur l'avenir de l'Europe», un continent qui lui tient à cœur avant tout en raison du rôle central qu'il a joué dans l'histoire de l'humanité. Comme toujours, la réflexion du Pape François ne vise pas à donner des indications pointues sur les démarches à entreprendre, mais plutôt à suggérer une «trajectoire idéale» et des éléments fondamentaux sur lesquels réfléchir pour que ceux qui le peuvent, agissent.

"Personne ne se sauve seul"

Dans la perspective du Pape François, il n'y a jamais de concepts abstraits, mais toujours des personnes, centrales dans le débat sur l'Europe car, selon le cardinal, «une Europe qui perd de vue la personne et la conscience que tout être humain est inséré dans un tissu social, ne peut se réduire qu'à un ensemble de procédures bureaucratiques et stériles» et cela est d'autant plus nécessaire maintenant que nous sommes confrontés à une pandémie qui ne connaît ni frontières ni procédures. La personne, donc, non pas en tant que sujet de droit mais dans ses sentiments, ses espoirs et ses liens concrets. Comme le Pape l'a dit à plusieurs reprises, le risque aujourd'hui est que le concept de liberté soit mal compris, «en l'interprétant comme s'il s'agissait du devoir d'être seul, libéré de tout lien, et que l’on construise, par conséquent, une société sans sentiment d'appartenance».

Et la pandémie nous invite encore plus aujourd'hui à changer de mode de vie et à redécouvrir «l'identité communautaire», la seule sur laquelle se construire, «la seule capable de surmonter les divisions et les contradictions». Et en cela, observe le cardinal Parolin, la Comece comme le Ccee, les épiscopats et les évêques à titre individuel ont un rôle fondamental à jouer : vivre et affirmer la communion ecclésiale, en appartenant à une seule communauté, pour que «les différences évidentes entre les peuples ne soient pas le prétexte à des divergences croissantes, mais plutôt à la reconnaissance de la richesse de notre continent».

Les orientations du témoignage chrétien en Europe

Aujourd'hui encore, le témoignage chrétien est donc le «tissu conjonctif» de l'Europe et le Pape, dans sa lettre, trace les lignes directrices de ce témoignage à travers ses quatre «rêves». «Je rêve d’une Europe amie de la personne et des personnes (…), qui soit une famille et une communauté, (...) solidaire et généreuse, (...) sainement laïque». «Une Europe amie de la personne et des peuples est avant tout une Europe qui aime la personne dans sa vérité et dans son intégrité et surtout qui respecte sa dignité transcendante», observe le cardinal Parolin. Cela aide à interpréter et à évaluer les propositions législatives en cours d'élaboration et à guider les personnes ayant des responsabilités politiques. «Parmi ces principes et valeurs, la reconnaissance de la dignité sacrée et inviolable de toute vie humaine, depuis sa conception jusqu'à sa fin naturelle, est particulièrement importante, à laquelle il est fondamental d'associer la défense et la promotion de la famille, véritable cellule de la société, fondée sur l'union stable d'un homme et d'une femme».

Le concept de «personne monadique» génère une législation inquiétante

Aujourd'hui, en revanche, le concept de personne qui détient «des droits subjectifs individuels, qui sont limités exclusivement par les intérêts de l'État, principalement en raison de questions de sécurité, telles que la lutte contre le terrorisme ou le blanchiment d'argent», prévaut au niveau législatif, souligne encore le cardinal Parolin. Il s'agit par exemple, explique-t-il, «de législations comme celle créée pour la protection des données personnelles ou d'autres plus préoccupantes, comme celles liées à l'euthanasie ou celles qui mettent sur un pied d'égalité le mariage et d'autres types d'union, dans lesquelles prévaut un concept de personne solitaire et monadique sans rapport avec l'idée d'appartenance à une communauté, composée d'une pluralité de sujets avec lesquels ils partagent des droits, mais aussi des devoirs». Le Pape François, quant à lui, rappelle que la personne et la communauté sont les fondements de l'Europe que, en tant que chrétiens, nous voulons et pouvons contribuer à construire. Il faut au contraire, et l'Église a une responsabilité à cet égard, comme l'explique le cardinal, montrer une humanité différente qui naît de l'Évangile : ce qu'il faut, c'est «un amour pour la personne, surtout pour celle qui vit le drame d'une grossesse non désirée, pour celle qui est malade et ne peut plus supporter le fardeau de la souffrance, pour le migrant qui arrive sur nos côtes perdu et souvent victime de trafiquants sans scrupules». Cet amour pour la personne se concrétise dans des gestes de charité et de solidarité et dans la vision que l'homme «n’est pas abandonné à lui-même, mais voulu et aimé et conscient que la fatigue, la douleur rachetée par le Seigneur Jésus ne sont pas de simples épreuves insensées». Par conséquent, le témoin de la charité éclairée par l'Évangile, est appelé à être aussi un témoin de la vérité. C'est le rôle public de l'Église qui assiste et éduque, et dans le respect de l'autonomie de la politique, elle apporte également sa propre contribution au bien de la société.

Les priorités de l'UE en collaboration avec la Comece

Partant, le cardinal Parolin s'attarde sur ce qu'il définit comme des «priorités d'intérêt pour l'Union européenne et qui peuvent faire l'objet d'une collaboration de la Comece avec les institutions européennes».

Un premier enjeu est de se relever des conséquences sanitaires, sociales, économiques et humaines de la pandémie : un processus long et difficile, dans lequel la Commission Covid-19 du Vatican (CCV), souhaitée par le Pape, est impliquée. Pour François, la voie à découvrir est celle de la fraternité, ce qui signifie aussi «partager la recherche et les investissements pour la production de vaccins» et «l'utilisation appropriée et intelligente des outils pour surmonter les conséquences de la pandémie», comme le fonds pour la relance de l'UE de la prochaine génération, qui, selon le secrétaire d’État, semble aller «dans la bonne direction d'une concrétisation de la solidarité entre les États membres».

Migration : révision du règlement de Dublin

La deuxième question concerne la «tragédie» des personnes contraintes de quitter leur pays d'origine pour chercher un avenir meilleur ou pour fuir les guerres et les persécutions. Nous sommes bien conscients, explique le cardinal, des problèmes et des distinctions à faire et que parfois la charge qui pèse sur les personnes qui arrivent ou qui passent peut être presque insupportable. «En ce sens, nous pensons que les règlements de Dublin devraient être révisés. Le nouveau Pacte sur l'immigration et l'asile, présenté le 23 septembre dernier par la Commission européenne, tente de marquer une avancée même s'il suscite de nombreux doutes, tant en ce qui concerne son approche de base, qui semble plus axée sur la sécurité des frontières et l'endiguement des flux migratoires que sur l'accueil, qu'en ce qui concerne certaines propositions concrètes comme, par exemple, la possibilité de financer le rapatriement des personnes qui ne veulent pas être acceptées ou les délais d'évaluation des demandes d'asile».

Environnement : le Pacte Vert comme source de bénéfices

Une troisième question particulièrement importante est celle du climat et de l'environnement qui, selon la volonté du Pape, implique une véritable «conversion écologique» et «un engagement pour la justice et la défense des populations les plus pauvres et les plus vulnérables, ainsi que pour les générations futures». À cet égard, le projet de pacte vert, «qui vise à faire de l'Europe le premier continent à impact climatique zéro d'ici 2050, est - selon le cardinal Parolin - sans aucun doute un projet intéressant et significatif, qui pourrait apporter des avantages importants à l'Europe et au monde entier».

Attention aux risques de la numérisation

Une autre question prioritaire pour l’actuelle Commission, que le cardinal Parolin souligne dans son discours, est le «processus de numérisation en constante accélération» qui peut comporter des risques liés à «l'accès équitable et universel aux nouvelles technologies, au traitement des données et à la vie privée, aux pertes d'emplois et à l'utilisation de l'intelligence artificielle et de la robotisation». Ainsi, si l'Union européenne veut être un acteur dans ce secteur, «nous devons être vigilants pour que cela ne se fasse pas au détriment du respect de la dignité humaine, mais aille dans le sens d'un plus grand développement intégral de chaque personne et de tous les peuples».

Avec l'Afrique, viser un développement intégral

Un dernier aspect des politiques européennes que le cardinal porte à l'attention des Églises est la relation avec les pays voisins qui aspirent à rejoindre l'Union européenne, mais c'est surtout le partenariat avec l'Afrique. Pour lui, l'intérêt ne doit pas se réduire «à la solution des flux migratoires, mais plutôt constituer une occasion unique pour l'Europe de favoriser un développement intégral du continent africain», loin des «malentendus qui vont du simple investissement d'argent», «à la naissance d'infrastructures» jusqu'à une véritable «colonisation idéologique».

Participer à la conférence sur l'avenir de l'Europe

La dernière observation du cardinal Parolin porte sur la relation entre les institutions et les peuples européens avec l'invitation à ne pas trahir les espoirs et les rêves des jeunes, en particulier. La forte participation aux élections européennes de mai 2019, souligne-t-il, a montré un nouvel intérêt, un facteur d'espoir pour l'avenir, mais expose aussi à un sens renouvelé des responsabilités des élus politiques et des institutions, appelés à répondre à la confiance que les citoyens leur ont accordée. À cet égard, la conférence sur l'avenir de l'Europe, organisée par le Parlement, le Conseil et la Commission pour «repenser l'Union européenne» à la lumière des nouveaux défis internes et externes dix ans après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, pourrait jouer un rôle important. «C'est une occasion importante de repenser l'identité européenne et ses valeurs, ainsi que de rendre les institutions européennes plus proches et plus réactives aux besoins de l'Union et aux défis actuels. Il est souhaitable que l'Église participe avant tout en tant que partenaire à ce dialogue ouvert, transparent et régulier avec les Églises» auquel se réfère l'article 17 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

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31 octobre 2020, 09:28