Un homme travaille dans une rizière dans le Cachemire indien, le 11 juin 2020 Un homme travaille dans une rizière dans le Cachemire indien, le 11 juin 2020 

Année Laudato Si’: l’enjeu est «d’accélérer la mise en œuvre» de l’encyclique

Le 24 mai dernier démarrait l’année Laudato Si’, une initiative du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégrale lancée à l’échelle mondiale, dans le cadre du cinquième anniversaire de la publication de l’encyclique du Pape François sur la sauvegarde de la maison commune. Décryptage avec sœur Christine Gautier, dominicaine et enseignante à l’Université Pontificale Saint Thomas d’Aquin à Rome.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Jamais l’encyclique Laudato Si’ n’a autant été d’actualité qu’en cette année 2020: la pandémie remet au premier plan les notions de solidarité et de protection de l’environnement, et c’est il y a cinq ans, le 24 mai 2015, qu’était publié ce document du Pape François sur la sauvegarde de la maison commune. L’encyclique eut immédiatement un très large écho, au sein de l’Église bien sûr, mais aussi au-delà, jusque dans les milieux non-croyants ou d’autres confessions. Partout, l’appel du Saint-Père à construire un monde plus respectueux de la création et davantage soucieux de la justice sociale a suscité des réflexions et de multiples initiatives.

Jusqu’en mai 2021, le Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral propose donc avec l’année Laudato Si’ de se pencher sur cette «boussole morale et spirituelle». Il s’agit aussi d’«imaginer un monde post-pandémique», où le message de Laudato Si trouve toute sa place. «Nous devons adopter une approche intégrale », plaide le dicastère dans son message de présentation, avant de citer le Saint-Père : «tout est intimement lié et les problèmes actuels exigent un regard qui prenne en compte tous les aspects de la crise mondiale».

Pour mieux comprendre le sens de cette année Laudato Si et la pertinence de l’encyclique dans le contexte actuel, nous avons interrogé sœur Christine Gautier, dominicaine et professeur de théologie morale à l’Université Pontificale Angelicum. Elle enseigne aussi dans le cadre du “Joint Diploma” en écologie intégrale proposé conjointement par des universités pontificales de Rome.

Entretien avec sr Christine Gautier, op

L’encyclique ne cesse de répéter que tout est lié, que toute les créatures sont liées, et je crois qu’on en a fait l’expérience dramatique pendant cette pandémie. Mais j’espère qu’elle va nous donner des repères pour “l’après”. Qu’est-ce qu’il s’est passé pendant cette pandémie? Chacun s’est replié un peu sur soi, à cause de toutes les mesures de confinement qui nous ont été demandées dans nos divers pays. Ce que l’on a pu remarquer, c’est beaucoup de comportements de défiance les uns vis-à-vis des autres. L’autre que je rencontre est potentiellement un contaminateur. Par instinct de survie, l’homme est porté, en contexte de pandémie, à se méfier de son voisin, à se méfier des autres. Or c’est seulement ensemble qu’on pourra sortir de la crise, et ça c’est tout le message de Laudato Si’. Si tout est lié, c’est ensemble que l’on doit penser à des solutions d’avenir. Face à la crise, c’est ensemble que l’on doit en sortir.

Mais justement, comment rendre le message de Laudato Si’ audible en ce moment, alors que tout le monde est appelé à la distanciation ?

Tout le monde est appelé à la distanciation, mais tout le monde fait aussi l’expérience de ce manque cruel de relations, de ce manque de contacts. Il y a un appel en creux, dans chaque personne, à rejoindre l’autre. Et malgré des attitudes de concurrence, même économique, on voit aussi beaucoup, heureusement, de gestes de solidarité et de gestes de rapprochement, avec toutes les précautions nécessaires bien sûr: des personnes qui vont à la rencontre des plus pauvres qui sont à la rue, des laboratoires qui passent des accords pour faire de la recherche ensemble, des lycéens qui utilisent leurs imprimantes 3D pour fabriquer des masques-visières… Si on ouvre les yeux, on voit éclore beaucoup de ces gestes. Je pense que c’est audible. Après, quel est le rôle des médias ? Parfois on met un zoom sur ce qui ne va pas, sur ce qui fait peur, et on oublie au contraire de valoriser ce qu’il y a de mieux dans l’homme. La pandémie, comme toute crise, a un effet révélateur et cette révélation est à double tranchant: elle révèle les limites qu’il y a dans le cœur de l’homme, mais elle révèle aussi de très belles choses.

N’y a-t-il pas un risque, une fois la crise passée, que cette solidarité, cette conscience du fait que «tout est lié» disparaisse ?

Effectivement, c’est un risque. Si on pense pouvoir retourner à la normale comme avant, oui, on peut retourner dans nos rythmes effrénés qui oublient l’autre et qui écrasent le voisin. Saint Jean-Paul II le disait dans son encyclique Sollicitudo Rei Socialis, à la racine de tous les péchés sociaux il y a cette avidité de l’homme. Malheureusement, cette soif de pouvoir est dans le cœur de l’homme. Donc oui, le risque existe, mais il y a aussi l’espérance qu’il n’y a pas que cela dans le cœur de l’homme. Au contraire, pour sortir de la crise, on aura été obligés, je pense, d’inventer des nouvelles choses, des nouvelles manières de vivre, des nouvelles habitudes sociales, et donc on ne revivra pas demain comme avant.

Le dicastère pour le Service du développement humain intégrale demande de «créer un mouvement populaire en partant de la base, et une alliance entre toutes les personnes de bonne volonté». Comment interpréter ce «mouvement populaire», et de quelle manière peut-il prendre forme?

Je pense que l’idée est que la conversion sociale, collective, communautaire, passe par la conversion des personnes, et qu’il faut partir du concret qui tisse nos vies quotidiennes, et donc partir des relations humaines indépendamment des institutions, partir du tissu quotidien des relations sociales, plutôt que de partir des institutions.

Et avez-vous des pistes concrètes pour passer des paroles aux actes en prenant appui sur cette encyclique?

Les pistes existent déjà et sont déjà en œuvre. Il y a beaucoup de communautés “Laudato Si’” qui se sont formées, par exemple en Italie, donc de petits groupes de personnes qui se mettent ensemble pour vivre selon les inspirations de l’encyclique: produire différemment, consommer différemment, gérer ses déchets, être artisan de paix… au niveau local, au niveau d’une petite communauté de personnes. Elles se soutiennent au niveau de réseaux de communautés, et nous en avons l’expérience au diplôme “Laudato Si’, pour une écologie intégrale”, de personnes qui, pour mieux animer leur communauté “Laudato Si’”, viennent se former. Il y a donc un dialogue, un va-et-vient, entre la théorie - l’étude des textes et les approfondissements sur l’encyclique-, et la pratique, à petite échelle.

D’après vous, cinq ans après sa parution, l’encyclique a donc changé quelque chose dans notre rapport à la Maison commune, dans nos relations?

Elle a sûrement changé quelque chose mais je pense qu’il y a encore beaucoup à changer, car pour changer vraiment au niveau des sociétés, il faut que toutes ces petites initiatives que l’on voit éclore continuent à faire “boule de neige”. Il y a déjà eu une mise en mouvement, mais je pense que c’est aussi pour cela que le dicastère a lancé cette Année Laudato Si’, pour qu’il y ait une accélération dans la diffusion et dans la prise de conscience. Au début de l’encyclique, le Pape nous invite à transformer en «souffrance personnelle» cette conscience douloureuse de ce qui va mal dans notre Maison commune. Il faut donc que cela devienne une souffrance personnelle pour que l’on se mette en marche pour changer les choses. Je pense donc que l’enjeu de cette année est de continuer l’approfondissement et d’accélérer la mise en œuvre.

Et comment sensibiliser les plus jeunes qui ont vécu cette pandémie au message de Laudato Si’ ?

Je pense que les jeunes sont beaucoup plus sensibilisés qu’on ne le pense, et beaucoup plus accueillants, ouverts au message de l’encyclique. Ce qu’ils ont vécu pendant la crise, j’imagine que c’est différent pour un collégien, un lycéen, ou un jeune professionnel. Tout le monde est appelé à réfléchir aux conséquences qu’a eues la crise. On a été obligés de ralentir, on a été obligés de découvrir une autre manière de travailler, une autre manière d’être en relation. Quels sont les bénéfices de ce ralentissement, sur nous, sur la planète ? Nous, on a beaucoup plus entendu les oiseaux par exemple… c’est extraordinaire, cette baisse de pollution qui a permis un éveil de la nature. Je pense donc que chacun peut recueillir ces échos et en tirer un trésor pour la suite. Il a été possible de moins voyager, est-ce que tous nos voyages sont absolument nécessaires? Beaucoup de questions sont soulevées par le changement qui a été obligatoire, qui a été imposé pendant ce temps de confinement, mais qui pourrait inspirer certains changements volontaires pour la suite.

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12 juin 2020, 11:47