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Le président du Conseil italien, Giuseppe Conte. Le président du Conseil italien, Giuseppe Conte.  

Giuseppe Conte aux médias du Vatican: que l'Europe soit forte et solidaire face à la crise

Le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, a accordé un entretien aux médias du Vatican, le site Vatican News et l’Osservatore Romano. Le chef du gouvernement italien évoque la crise sanitaire, les perspectives économiques et sociales de l’Italie dans l’après-crise. Il appuie par ailleurs sans faille l’appel à un cessez-le-feu mondial lancé par l’ONU et soutenu par le Saint-Père.

Entretien réalisé par Alessandro Gisotti – Cité du Vatican

«En cette période de crise, la politique donne l’exemple d'unité aux citoyens». Giuseppe Conte, président du Conseil italien, à la manœuvre dans la crise sanitaire sur la péninsule, revient pour les médias du Vatican sur l’urgence sanitaire, le soutien à l’économie nationale, la délicate question des accès aux églises ou encore le rôle de l’Europe dans la lutte contre cette crise inédite. Le chef de l’exécutif italien espère un nouveau printemps pour l’Italie, une fois la crise passée.

Alessandro Gisotti: Au début d'une des messes matinales à la Maison Sainte-Marthe, le Pape François -que vous avez récemment rencontré lors d’une audience- a prié pour les dirigeants appelés à prendre des mesures difficiles dans ce moment extrêmement délicat. Comment vivez-vous, y compris d'un point de vue personnel, cette situation de crise?

Giuseppe Conte: Le message du Pape m'a donné de la force. Je ressens quotidiennement la souffrance et la douleur de beaucoup, trop de familles ont perdu des êtres chers, ont perdu leur emploi, et risquent de perdre confiance et espoir en l'avenir. Et je ressens, dans l’ensemble, toute la responsabilité des décisions difficiles mais nécessaires à prendre. Je pense, par exemple, à celles qui ont conduit à des restrictions de certaines libertés fondamentales des citoyens. Comme l'a fait remarquer le Saint-Père, ceux qui ont autorité pour faire ces choix difficiles peuvent se sentir seuls. Mais dans mon âme, il y a aussi la fierté de diriger un pays qui se révèle être une communauté unie, cohésive et solidaire. Les Italiens font preuve d'un grand courage, de sang-froid et de résilience. Le monde nous regarde et nous admire. 

 

L'Italie n'était pas préparée, le monde entier, on peut le dire, n'était pas préparé à une crise de cette ampleur. Cependant, pour certains, le gouvernement n'a pas été assez rapide et a pris quelques décisions contradictoires, surtout dans la phase initiale de la crise. Comment répondez-vous à ces critiques?

Nous avons immédiatement agi avec un sens des responsabilités, en mettant la santé des citoyens au premier plan, ce que la Constitution, dans son article 32, qualifie de droit fondamental. Nous avons pris des décisions difficiles, en suivant des critères de proportionnalité et d'adéquation basés sur les indications du Comité scientifique et technique. Nous l'avons fait en nous attaquant à un virus dont on savait très peu de choses. Même la communauté scientifique a été débordée. Chaque décision a été prise en toute science et conscience. Mais le temps viendra, c'est inévitable, où nous serons appelés à rendre compte de nos choix. Je ne me déroberai pas, en cherchant des alibis ou des raccourcis. Mais le moment est venu d'agir ensemble et la collaboration de tous, y compris des maires et des présidents de région, est nécessaire.

Parallèlement à la terrible urgence sanitaire, une urgence économique se profile pour tout le pays dans le contexte d’une crise mondiale. Même le Pape François a averti que l’on voyait déjà des gens avoir faim. Faut-il, selon vous, un nouveau modèle économique pour faire face à l’après-coronavirus?

En attendant, nous avions besoin d'une toute première réponse immédiate à ceux qui ont faim et nous l'avons donnée, avec un transfert de 400 millions aux municipalités pour pouvoir distribuer des bons alimentaires aux familles les plus nécessiteuses. Avec la Cura Italia, nous avons alloué 25 milliards d'euros pour des interventions en faveur des familles, des travailleurs et des entreprises; dans le cadre de cette intervention, 11 milliards d'euros sont consacrés aux nombreux citoyens dont la vie professionnelle est suspendue : le fonds de licenciement pour les travailleurs, la prime pour les indépendants. Avec le dernier décret, nous sommes intervenus avec un vaste dispositif de garanties publiques pour libérer immédiatement 400 milliards d'euros au profit de nos entreprises, grandes et petites. Dans l'ensemble, ce sont des interventions très puissantes. Avant que cette situation d'urgence ne bouleverse la vie de chacun d'entre nous, le gouvernement s'employait à définir un programme ambitieux, visant à harmoniser le développement économique, la durabilité environnementale et l'équité sociale. Ce sont des objectifs que j'ai anticipés et partagés lors de divers sommets internationaux, notamment en septembre dernier à l'Assemblée générale des Nations unies, qui a consacré un grand nombre de discussions à la question de la durabilité. Le Saint-Père avait déjà ouvert ce raisonnement il y a 5 ans, avec l'encyclique "Laudato sì", en plaçant au centre de la réflexion le thème d'une nouvelle "écologie intégrale", avec laquelle il a donné force aux demandes généralisées en faveur de modèles économiques orientés vers l'inclusion et la justice sociale.

À plusieurs reprises, le Pape a exprimé son inquiétude quant à la situation dans les prisons en cette période marquée par la pandémie. Selon vous, que peut-on faire pour remédier à cette situation?

Le gouvernement ne tourne certainement pas le dos à la condition dans les prisons et à la protection de la santé des prisonniers et de tous ceux qui y travaillent. Dans les prisons aussi, nous avons adopté le principe de précaution dans la mesure du possible, en faisant tout notre possible pour minimiser le risque. Depuis le début de la crise jusqu'à ce jour, plus de 4 000 prisonniers ont trouvé une place en dehors des centres de détention, soit parce qu'ils sont dans un état de santé à risque, soit parce qu'ils ont pu bénéficier d'une détention à domicile. Nous sommes également intervenus pour équiper les structures des dispositifs de protection nécessaires, nous avons installé 151 structures pour le triage à l'entrée des prisons, préparé des espaces d'isolement et distribué plus de 275 000 masques. Pour soulager le malaise émotionnel de ceux qui ont été contraints de renoncer aux visites de leurs proches, nous avons augmenté le nombre d'entretiens en utilisant des outils technologiques, qui leur permettent de se connecter par vidéo même s'ils sont loin. Je remercie les femmes et les hommes qui, de nos jours, depuis les prisons, vont commencer à produire 400 000 masques par jour, leur contribution est importante. Et je remercie également de tout cœur les agents de la police pénitentiaire.

Le Pape a lancé à plusieurs reprises un appel à la solidarité pendant cette période. Peut-on dire que l'avenir est en jeu, l'identité même de l'Union européenne sur le front de la solidarité? Et quel rôle l'Europe peut-elle jouer au niveau international dans l'ère post-coronavirus?

L'Union européenne doit être à la hauteur de son rôle pour relever le défi auquel elle est confrontée à ce stade et, pour ce faire, elle est appelée à opérer un changement de rythme décisif d'un point de vue politique et social. Pour ceux qui se soucient vraiment de l'Union européenne, pour ceux qui croient en une Europe unie, forte et solidaire, à la hauteur de son histoire et de sa civilisation, le moment est venu de prendre des mesures décisives, en soutenant et en promouvant tous les moyens de reconstruction et de renaissance. Si nous voulons préserver notre maison commune, il est temps de penser en équipe. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons rivaliser, de manière vertueuse, avec les autres acteurs mondiaux dans le cadre de l'énorme défi social et économique qui suivra la crise sanitaire.

Comment peut-on, au-delà des différences légitimes entre majorité et opposition dans les différents pays, ou entre pays dans un contexte supranational, retrouver un sentiment de partage et de solidarité au service du bien commun?

Il y a une confrontation constante entre le gouvernement et l'opposition. Nous avons demandé aux citoyens d'être unis, c'est le devoir de la politique de donner l'exemple. Nous devons apprendre beaucoup de cette période. Au niveau international, de nombreux pays ont montré leur soutien à l'Italie en envoyant du personnel, des instruments et de l'aide dans le domaine de la santé. Le Premier ministre albanais, Edi Rama, lorsqu'il a envoyé des médecins et des infirmières en Italie, a déclaré: «Là-bas, c'est notre maison, car nos frères italiens nous ont sauvés, nous ont accueillis et adoptés dans leur maison». Cet esprit de solidarité, la nécessité de se soutenir mutuellement, nous fait redécouvrir que nous sommes - malgré des différences légitimes - une grande famille, sans barrières.

Le secrétaire général des Nations unies, Antoine Guterres, et le Pape François ont appelé à un cessez-le-feu mondial pour faire face à l'ennemi commun de la pandémie. Le gouvernement italien est-il prêt à soutenir cet appel en encourageant également un effort de reconversion de l'industrie de guerre?

Dans une récente interview à une chaîne de télévision américaine, j'ai réitéré le soutien italien à cet appel à un cessez-le-feu mondial: il est nécessaire que toutes les parties impliquées dans les conflits, aux quatre coins de la planète, unissent leurs forces contre cet ennemi invisible qui fait des victimes partout dans le monde. L'engagement italien, à travers ses propres forces armées et sous l'égide de la communauté internationale, vise à la stabilisation des zones à risque.

Nous sommes en pleine Semaine Sainte. De nombreux fidèles catholiques vivent avec douleur le fait d’être privé de messe. En ce qui concerne l'ouverture et la fermeture des églises et la possibilité d'accès pour les fidèles individuels, il était difficile de comprendre les indications du gouvernement. Que pouvez-vous dire à ce sujet?

Je comprends le regret que toute la communauté des fidèles éprouve à vivre une fête de Pâques différente, loin de la chaleur et de l'affection de leurs proches, ne pouvant participer aux célébrations du Triduum, point culminant et centre de l'année liturgique, auquel notre peuple est si attaché. Nous sommes conscients du grand sacrifice que nous demandons aux fidèles et aux pasteurs, contraints de célébrer sine populo les rites de la Semaine Sainte. Le gouvernement, qui a informé constamment et consciencieusement la Conférence épiscopale italienne sur tous les points les plus délicats, est reconnaissant du sens des responsabilités avec lequel les évêques italiens, sous la direction du cardinal Bassetti, ont accepté ces mesures, dans la conscience des biens suprêmes impliqués dans ce moment dramatique pour la communauté nationale. Mais je suis confiant: nous devons espérer que ce renoncement donnera lieu à une saison fructueuse, dont nous pourrons bientôt récolter les fruits, également sur le plan spirituel. Dans le chant de l'Exultet qui, rompant le silence du samedi saint, annonce la victoire du Christ ressuscité sur le péché et la mort, se trouve contenu le sens le plus profond de ce temps suspendu, de ce silence irréel qui enveloppe nos villes, au-delà duquel nous devons jeter un regard de confiance et d'espérance.

Parallèlement à la douleur d'une situation aussi grave, des histoires d'héroïsme et un sentiment renouvelé d'appartenance à la communauté nationale émergent chaque jour. À quoi ressemblera, selon vous, l'Italie quand nous sortirons enfin de cette crise?

Je suis fier et ému par les gestes de grand sacrifice et de générosité dont nous sommes témoins dans cette triste période de notre histoire. D'ici, je tiens également à remercier les médecins et les infirmières qui sont en première ligne dans les services hospitaliers. Grâce aux nombreux médecins du centre et du sud qui sont partis volontairement vers le Nord, pour soutenir leurs collègues dans les tranchées des zones les plus sévèrement touchées par le virus. Je voudrais également remercier ceux qui, en continuant à travailler, ont permis de ne pas arrêter complètement le moteur du pays. Merci aussi à la police, aux pompiers, à tous ceux qui n'aiment pas être appelés héros, mais qui méritent la gratitude de tous en ce moment. Chaque jour, dans notre pays, il y a des petits et des grands gestes qui dénotent un fort sentiment d'altruisme, de solidarité, d'esprit d'abnégation. Des gestes dans lesquels le message du Pape revit, qui invite tout le monde à ne pas penser à ce qui nous manque, mais au bien que nous pouvons faire. Au terme de la crise, nous pouvons compter sur des femmes et des hommes plus conscients de la valeur de la vie et de l'importance de donner davantage aux autres et à la communauté. Je vois un nouveau printemps pour l'Italie.

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08 avril 2020, 12:30