Mgr Lionel Gendron, évêque de Saint Jean-Longueuil, au Canada. Mgr Lionel Gendron, évêque de Saint Jean-Longueuil, au Canada. 

Synode: l’engagement des Canadiens pour défendre la Maison commune

Mgr Lionel Gendron, évêque de Saint-Jean-Longueuil dans la province de Québec au Canada, est l’un des 184 pères synodaux invités par le Pape à participer à Rome au Synode spécial dédié à l’Amazonie. En marge de l’assemblée synodale et alors que le document final est en cours de rédaction, nous avons profité de sa présence pour l’interroger sur l’attachement des Canadiens aux problématiques vertes. La nature y est-elle menacée ? Quelle est la place des Premières nations dans la société ? Quel est le rapport à la foi et à l’Église de ces populations autochtones ?

Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican

Alors que s’ouvrait la troisième semaine de Synode au Vatican lundi, les Canadiens étaient appelés aux urnes pour des élections législatives. Selon les résultats, le Premier ministre sortant se maintient au pouvoir pour un deuxième mandat mais le parti libéral perd la majorité au parlement. Différents scandales touchant la personne de Justin Trudeau ou son gouvernement ont affaibli sa formation politique.

Concernant l’environnement, la nationalisation de l'oléoduc Trans Mountain, racheté par le gouvernement libéral pour 4,5 milliards de dollars, a aliéné une partie de l'aile gauche de l'électorat de Justin Trudeau qui y voit une contradiction avec les ambitions pro-environnementales du Premier ministre réélu.

Au Canada, il existe un parti vert. Aux législatives, il a obtenu trois sièges au parlement. Sans faire de percée, il se fait toutefois une place. Il a ainsi connu lundi son meilleur score à des élections fédérales.

Quel est l’attachement des Canadiens aux questions vertes et comment les politiques s’emparent-ils de cette problématique au-delà des déclarations d’intention? Mgr Lionel Gendron est l’évêque de Saint-Jean-Longueuil dans la province de Québec. Il a été président de la conférence des évêques du Canada de 2017 à 2019.

Entretien avec Mgr Lionel Gendron

Malheureusement je dirai qu’avec beaucoup de nos politiciens, leur intérêt est d’être réélu. Alors pour eux, priment la question du travail, qui est importante pour tout le monde, des profits, le fait que l’économie doit être positive, sinon ils vont être écartés du pouvoir.

Nous avons un parti vert qui n’a pas eu de résultats majeurs aux élections, mais la plupart des gens ont de l’amitié pour les principes du parti vert. Pour l’ensemble des Canadiens, la question verte est un problème majeur mais nous sommes des consommateurs, de grands consommateurs. Alors est-ce que nos Canadiens et nos Canadiennes sont vraiment disposés à changer leur vie ? Pas nécessairement.

Le Canada, dont la pureté des grands espaces fait rêver en Europe, est-il néanmoins menacé ?

Je suis un peu jaloux quand on parle des deux poumons que sont l’Amazonie et le bassin du Congo, je me dit quand même que nos petites forêts respirent et nous aident à respirer. Nous connaissons cependant  un peu les mêmes problèmes. Souvent, on élimine, "on rase à blanc" les grands territoires, pour le bois, etc. Alors, au moins les évêques, nous avons réagi plusieurs fois devant les destructions qui se font, pour le bien de l’humanité. Je dois dire que La Joie de l’Évangile, Evangelii Gaudium, nous a donné une volonté de conversion fondamentale. Puis, Laudato Si’ est venu donner une profonde impulsion. Cela concerne toute la nature, toute la planète et le bien de l’humanité

Des communautés des Premières Nations restent actuellement privées d’eau potable ?

C’est cela. Il y a des communautés qui n’ont pas accès à l’eau potable, des communautés autochtones qui ont le minimum pour survivre.  Alors, si le Canada apparaît comme le paradis, c’est pas toujours évident. Il y a vraiment beaucoup de pauvreté chez nous, surtout chez les autochtones. Lorsque j’étais président de la conférence épiscopale, j’ai beaucoup insisté sur le fait qu’il ne faut pas se tourner et nous pencher vers les autochtones comme s’il était moins que nous. C’est vrai qu’ils ont besoin de guérison en raison de tout ce que nous leur faisons vivre, mais nous avons besoin de guérison également parce que nous ne vivons pas l’Evangile comme il devrait être vécu. Nous avons des torts comme Église dans la situation qui est celle des autochtones actuellement.

Le Synode vous apporte une manière différente de de vivre votre relation avec eux..

Nous faisons des efforts sur les relations avec les autochtones depuis trois ans. La conférence épiscopale en a fait une priorité "prioritaire". Et ce n’est vraiment pas facile, parce que l’interprétation que la plupart des gens ont, c’est que les autochtones ont été traités comme des enfants gâtés. Alors, c’est vrai, ils ne paient pas de taxes mais d’un autre côté, il n’ont pas d’eau potable, leur territoire n’est pas respecté.

Et nous ? A la fin du XIXème siècle, nous avons eu ce qu’on appelle les "écoles résidentielles". C’était une décision prise par le gouvernement. Il fallait faire sortir de nos autochtones ce qu’il y avait d’autochtone pour en faire des Canadiens civilisés. Malheureusement, l’Église a collaboré, quelques diocèses mais surtout quelques communautés religieuses. Je me dis que cela allait avec l’esprit du temps. On voulait faire d’eux de très bons catholiques. Alors, on a accepté. C’était des pensionnats. On enlevait les enfant des familles pour les éduquer. C’était une forme de colonialisme.

Alors, c’est sûr ,dans ces milieux-là aujourd’hui, on nous reproche de leur avoir enlevé leur culture, leur spiritualité, d’avoir commis parfois des abus physiques et même sexuels, et nous, nous demandons pardon pour cela. La seule façon de faire, c’est dans un échange avec eux. Eux ont tout simplement besoin de guérison et nous aussi. Nous avons fait depuis quelques années des cercles d’échanges avec eux. Nous nous donnons la parole l’un après l’autre. Il ne s‘agit pas d’entrer en discussion. Nous avons une  plume d’aigle dans la main. On peut même garder le silence pendant quelques minutes sans problème. Cela dure habituellement une journée et véritablement, à la fin de la journée, c’est vraiment l’accolade. On établit des liens plus profonds. Il faut que l’on poursuive cela. Et il faut aider les catholiques à aller au-delà des préjugés et à entrer fraternellement en contact, en communion, avec nos frères et sœurs autochtones.

Quel rapport ont-ils à la foi ?

Dans la foi, bon nombre sont devenus chrétiens, mais bon nombre laissent le christianisme aujourd’hui pour retourner à leur religion initiale, mais plusieurs demeurent de profonds catholiques  ou de profonds anglicans.

Une des choses qui a été demandée par la commission concernant les écoles résidentielles, c’est que le Pape vienne dans l’année exprimer des excuses. Le Pape a dit personnellement qu’il ne voyait pas comment il pouvait répondre à cet appel à l’action. Pourquoi dans l’année, pourquoi au Canada, pourquoi des excuses. Alors l’interprétation qui a été faite par l’ancien Premier ministre qui reste le Premier ministre, c’est de dire qu’il ne veut pas faire d’excuses. La plupart des autochtones ont pris cela (pour argent comptant) et sont profondément blessés -parce qu’il aiment beaucoup le Pape François- d’entendre dire que le Pape ne voulait pas leur faire d’excuses. J’ai essayé, sur toutes les formes, de faire comprendre que ce n’était pas ce qu’il dit mais (uniquement) ce que les médias transportent et répètent constamment…

Concernant le Canada, existe une autre problématique environnementale ayant un impact sur l’Amérique latine et l’Amazonie, celle des entreprises d’exploitation minière.

Ça c’est un autre point qui nous relie beaucoup à l’Amazonie. Un grand nombre des compagnies minières prédatrices en Amazonie sont des entreprises canadiennes ou enregistrées au Canada. Pourquoi ? Parce que le Canada n’a pas beaucoup d’exigences. Ce sur quoi nous avons travaillé à la la conférence épiscopale avec de nombreuses organisations non gouvernementales, c’est obtenir l’existence d’un "ombudsperson", une personne qui a le pouvoir d’aller vérifier ce qu’une compagnie fait sur le terrain,  à l’étranger, et la compagnie canadienne ou enregistrée au Canada ne peut pas refuser. Cette personne a  pouvoir d’obliger à "convertir" certaines façon d’agir.

Mais jusqu’à présent les deux précédents gouvernements, conservateur et libéral, ont nommé deux ombuds personnes sans leur donner de pouvoir. Celle qui a été nommée récemment était soumise au ministre des Affaires. Donc, elle n’a de pouvoir que sous l’autorité de ce ministre (c’est-à-dire) au fond de celui qui pourvoit au développement dans les pays en dehors du Canada. Alors, ça n’a aucune valeur. Si bien que tous les groupes de pression qui, auprès du gouvernement, aider à définir la description de tâche de cette personne ont quitté la table. Elles ont dit: "il n’y a rien à faire". J’aurais aimé que les médias s’emparent du sujet mais cela est passé  inaperçu… Oui, nous avons besoin de conversion au Canada…

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23 octobre 2019, 17:49