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L'évêque émérite d'Altimura Xingu, Mgr Erwin Kraütler et, à sa droite, le climatologue brésilien Carlos Alfonso Nobre (prix Nobel de la Paix 2007, en tant que membre du GIEC). L'évêque émérite d'Altimura Xingu, Mgr Erwin Kraütler et, à sa droite, le climatologue brésilien Carlos Alfonso Nobre (prix Nobel de la Paix 2007, en tant que membre du GIEC). 

Briefing du Synode: l'Eucharistie, centrale pour Mgr Kräutler

Lors de cette troisième conférence de presse, les membres de la communication ont rapporté les interventions des pères synodaux et experts avant de donner la parole à personnes dont la vie est consacrée à l'Amazonie. L'évêque émérite d'Altimura Xingu dans l'État du Para, Mgr Kräutler a pris la défense des "peuples du fleuve", tandis que le prix Nobel de la Paix 2007, Carlos Alfonso Nobre, a mis en garde contre un effondrement si la déforestation de cette forêt primaire se poursuivait.

Face à un risque d’«écocide» et aux «péchés écologiques» qui «offensent Dieu», une profonde conversion est à entreprendre pour vivre comme «hôte de la terre et non comme son maître», a expliqué Paolo Ruffini, préfet du Dicastère pour la Communication, se faisant écho des dernières interventions en Salle du Synode. Un combat est à mener contre les idolâtries. «Il y a eu l’or jaune et l’Eldorado, il y a maintenant l’or blanc, le Dieu du plastique». Une théologie et une pastorale écologique sont à développer.

Tous les chrétiens sont appelés à s’engager pour servir une Église prophétique avec une option préférentielle pour les pauvres et une option pour les jeunes. Le préfet souligne l’importance d’impliquer les jeunes d’Amazonie. De nouveau, la question des abandons aux séminaires a été évoquée, tout comme le manque de prêtres en Amazonie qui n’est pas du, précise-t-il, au célibat. Concernant la question des viri probati, l’ordination d’hommes mariés respectés d’âge mûr, le préfet rapporte que la règle ecclésiale «peut avoir des exceptions». La formation de missionnaires amazoniens ainsi que des diacres et des laïcs est importante, souligne-t-il.

Lors des interventions le cas de sœur Sophia Muller a été évoqué. Elle parlait cinq langues indigènes et son souvenir, des années après sa disparition, reste très fort dans les communautés qu’elle a fréquentées. Une mise en garde a été formulée concernant une traduction littérales des rites. Un père synodal a raconté qu’il a souhaité encenser un jour un autel. Pour le peuple indigène dans lequel il se trouvait, cela signifiait éloigner le mal et pour eux une église cherchant à repousser le mal n’était pas très engageante. Une anecdote pour montrer l’importance de l’inculturation.

Le père Giacomo Costa, secrétaire de la Commission pour l'Information, a également souligné l’importance d’une «Église au visage amazonien». Il est ainsi «fondamental» d’établir un dialogue «avec respect», une «tonalité affectueuse», en empathie. Ce dialogue exige d’être formé non seulement au niveau théologique mais aussi sur les questions sociales, en ouverture vis-à-vis des mouvement sociaux. Se faisant l’écho des peuples indigènes, le père Costa insiste sur le besoin de ces peuples à être reconnus tels qu’ils sont, comme les autres. Il rapporte leur souffrance et «suspicion» qui perdurent cinq siècles après la «négation de leur identité». Il faudrait se laisser interpeller par eux.

Il souligne également la difficulté pour les peuples indigènes à distinguer les pentecôtistes et les catholiques.

La question du ministère des personnes non ordonnées, notamment un «ministère écologique», a par ailleurs été évoquée par le père Costa. Le rôle de personnes «stables» dont les charismes, les profils et la participation sont reconnus pour servir l’Église d’Amazonie a été mentionné. Le fait d’inclure les femmes, précise-t-il, n’est pas «une revendication mais la reconnaissance de ce qui est déjà vécu».

Autre point soulevé par le père Costa, les migrations. Elles sont multiformes. Il y a les indigènes qui vivent en forêt mais travaillent en ville, il y a des déplacés pour cause d’expropriation, des départs volontaires, et des migrations internationales.

Les conséquences de la centrale du Belo Monte 

Invité à cette troisième conférence de presse : Mgr Erwin Kräutler, évêque émérite d’Altamira Xingu dans l’État du Para, un prélat autrichien de 80 ans qui vit depuis 54 ans en territoire amazonien et désormais sous escorte, en raison de son engagement contre le viol des jeunes femmes, sa défense des sans-terre et son engagement contre la centrale hydroélectrique de Belo Monte.

Après l’exploitation du bois, puis des minéraux, de son sol, ce sont aujourd’hui les ressources en énergie de son diocèse qui sont exploitées, sans qu’il ne s’explique ce choix aux conséquences selon lui «dévastatrices». Il parle d’agression à l’écosystème, de la modification du fleuve Xingu, de zones inondées, déforestées, des migrations de poissons empêchées par la digue, et des expulsions. Aujourd’hui, tous les habitants de la zone n’ont pas retrouvé de lieux de résidence. «Certains sont dans des cases de béton minuscule où seules quatre personnes peuvent vivre», explique Mgr Kräutler. «On crie, on crie» mais, poursuit-il, les populations autochtones n’ont pas été consultées et on ne veut pas les entendre. Il dénonce les «promesses mensongères» des politiques. Bien que les droits des peuples indigènes soient inscrits, notamment grâce à l’Église, dans la Constitution au Brésil, «une campagne contre eux» est en cours, car «ils sont perçus comme un frein au progrès

Quant à Altamira, la ville n’est plus paisible mais dangereuse, explique-t-il. Des jeunes éduqués mais désœuvrés, sont désormais sous l’influence de la drogue. La ville est bétonnée, sauf en périphérie.

Aujourd’hui, «les peuples du fleuve sont attaqués. Il se trouvent à un tournant qui pourrait s’avérer risqué», «des femmes et des enfants pleurent dans l’incapacité de savoir quel sera leur avenir», rapporte Mgr Erwin Kräutler. Aussi, l’Église «a l’obligation d’attirer l’attention» ; «L’Église s’unit aux scientifiques pour hurler au quatre vents». Il se désole que si les incendies «intentionnels» en Amazonie aient suscité l’attention du monde, peu parlent de leurs conséquences.

Interrogé sur son engagement «politique», l’évêque émérite d’Altamira Xingu répond que, selon Aristote, chaque être humain est politique. Il ne s’agit pas d’«une politique de parti». L’art du politique est, dit-il, de lutter pour le bien commun. Il précise avec humour que l’engagement politique ou religieux ne sont pas rangés dans des tiroirs que l’on ouvrirait l’un après l’autre.

La centralité de l'Eucharistie 

Mgr Erwin Kräutler a également été interrogé sur la question des viri probati. Actuellement, explique-t-il, l’Eucharistie est célébré une, deux ou trois fois par an dans de nombreuses communautés indigènes. Il n’y a pas assez de prêtres pour aller à leur rencontre et célébrer la messe. «C’est tout un peuple qui est exclu de ce qui constitue l’apogée de notre vie. Aujourd’hui, seuls les prêtres célibataires peuvent  célébrer, donc le célibat serait plus important que l’Eucharistie. Or, non, le Seigneur a dit lors de la dernière Cène : faites cela en mémoire de moi». Mgr Kräutler serait favorable à l’ordination d’hommes mariés respectés d’âge mûr. Il ne voit pas «d’autres possibilités», aussi parce que les peuples indigènes «ne comprennent pas la possibilité du célibat (…) que l’homme n’ait pas une femme, ni à s’occuper de son foyer», dit-il.

Toujours sur l’accompagnement de l’Église auprès des indigènes, Mgr Kräutler explique de «deux tiers des communautés sans prêtres sont coordonnées par des femmes, et se demande: Alors que fait-on ? Que veut dire ‘valorisation des femmes’ ?»

La menace d'un effondrement

Sur l’estrade aux côtés du prélat d’origine autrichienne, se trouvait le Brésilien Carlos Alfonso Nobre, climatologue, prix Nobel de la Paix 2007, et auteur d’un rapport réalisé spécialement pour le Synode portant sur l’Amazonie qu’il étudie depuis 40 ans. Il a rappelé que cette forêt primaire est «le cœur écologique de la planète» qui régule son réchauffement, et dont la biodiversité est immense. Or la science le dit, son «effondrement» est proche. Aujourd’hui 15% de la forêt a disparu en raison de la déforestation, des incendies. Selon lui, avec 20 ou 25% de forêts en moins «le cycle serait irréversible». À la place d’arbres, on trouverait de la savane qui couvrirait 60 à 70% de la zone.

Il estime que les technologies peuvent aider à trouver des solutions. Elles peuvent donner plus de pouvoir aux populations «grâce à une bio-économie, à un nouveau modèle d’économie durable, décentralisée, soutenues par des énergies renouvelables qui respectent la qualité de la vie des communautés».  

L’écologiste brésilienne, Ima Celia Guimarães Vieira, était elle aussi invitée à témoigner. Experte de la biodiversité amazonienne, elle a centrée son intervention sur les peuples autochtones dont il fallait respecter l’isolement. Elle souligne que «114 peuples isolés ont été reconnus au Brésil, et 28 confirmés».

 

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09 octobre 2019, 18:34