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Le Pape François et le patriarche Bartholomée, ici le 25 mai 2014 lors du voyage du Pape François en Terre Sainte. Le Pape François et le patriarche Bartholomée, ici le 25 mai 2014 lors du voyage du Pape François en Terre Sainte. 

Bartholomée: «Le don des reliques de Pierre est un pas crucial vers l’unité»

Dans un entretien aux médias du Vatican, le Patriarche œcuménique de Constantinople raconte sa surprise face au cadeau inattendu du Pape François, et indique comme unique voie pour l’évangélisation celle du service au monde. Il parle aussi des incendies en Amazonie, en expliquant les raisons spirituelles et théologiques de l’engagement pour l’environnement.

Entretien réalisé par Andrea Tornielli – Cité du Vatican

 

Le don des reliques de Pierre que François a voulu offrir au successeur de saint André représente «une nouvelle pierre milliaire» et «un pas crucial» du chemin vers l’unité des chrétiens. Le Patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée, l’affirme à la veille de son voyage à Rome dans cette interview à Vatican News et L’Osservatore Romano, en racontant la surprise pour ce cadeau inattendu. Bartholomée indique le service au monde comme voie à suivre pour l’évangélisation, et, en répondant à une question sur le prochain Synode dédié à l’Amazonie explique les raisons spirituelles et théologiques de l’engagement pour l’environnement, menacé de destruction.

Sainteté, quelle a été votre première réaction quand vous avez reçu du Pape François le don du reliquaire contenant neuf fragments des os de l’apôtre Pierre ?

Nous devons avouer que nous avons été très surpris dans un premier temps d’apprendre que Sa Sainteté, notre frère, le Pape François, nous faisait don d’un tel trésor. Ce geste en a étonné plus d’un d’ailleurs. La délégation du Patriarcat œcuménique qui se trouvait à Rome pour la fête patronale de notre Église sœur ne s’y attendait pas non plus. Souvent, ce type d’événement fait l’objet de discussions protocolaires. Ce qui n’a pas été le cas dans ce contexte. Nous apprécions avec d’autant plus de sincérité un tel cadeau qu’il est la manifestation d’une spontanéité, marque d’un véritable amour fraternel, qui aujourd’hui rassemble catholiques et orthodoxes. Nous devons aussi reconnaître le sens plus profond d’un tel geste. Nous pouvons en distinguer au moins trois. Tout d’abord, la venue des reliques du saint apôtre Pierre au siège du Patriarcat œcuménique à Constantinople est une bénédiction en soi. Saint Pierre est une figure de sainteté centrale parce qu’apostolique et à bien des égards proche de tous les chrétiens. Il est à la fois l’apôtre de la confession, mais aussi celui de reniement. Saint Pierre est le témoin de la résurrection, un signe d’espoir pour tous les chrétiens. Le deuxième sens qu’il convient de mentionner est le lien de fraternité qui unit saint Pierre et saint André, saint patron du Patriarcat œcuménique. De la même manière que les deux apôtres sont frères selon la chair, ainsi nos Églises de Rome et de Constantinople sont sœurs. Enfin, le troisième sens est quant à lui plus œcuménique, à savoir qu’il renvoie à la recherche d’unité et de communion. Ce cadeau de notre frère le Pape François constitue un nouveau jalon sur le chemin de rapprochement, une étape cruciale du dialogue de charité initié il y a plus de cinquante ans par nos prédécesseurs, dialogue placé aujourd’hui sous la bénédiction particulière du saint apôtre Pierre. Rappelons seulement ces paroles de l’apôtre qui dans le contexte qui est aujourd’hui le nôtre prennent une dimension toute particulière : « Aimez-vous donc ardemment les uns les autres, d'un cœur pur. En effet, vous êtes nés de nouveau, non d'une semence périssable, mais grâce à une semence impérissable, grâce à la parole de Dieu qui est vivante et qui demeure à jamais. » (1 Pierre 1, 22)

 

Il y a plus de 50 ans, votre prédécesseur Athénagoras avait donné à saint Paul VI une icône représentants les frères Pierre et André qui s’embrassent. Le Pape François la définit comme «un signe prophétique de la restauration de la communion visible entre nos Églises». Où en est le chemin ?

  Voilà une excellente question. Où en sommes-nous ? Beaucoup de chemin a été parcouru en plus de cinquante ans. Cependant, il nous reste encore énormément de travail afin de rétablir le lien de communion qui continue à nous faire souffrir comme la négation de la parfaite fraternité à laquelle nous aspirons. La division des chrétiens est un scandale pour l’Église, car il n’est de témoignage véritable de l’Évangile que dans l’unité des membres du corps du Christ. Comme nous l’avons évoqué un peu plus tôt, le don de notre frère le Pape François des reliques de saint Pierre à notre Eglise est un geste puissant manifestant l’engagement de l’Eglise de Rome au service de l’unité des chrétiens. De manière très symbolique, elle est le reflet presque parfait de l’icône dont il est fait mention dans votre question. Les frères Pierre et André s’embrassent mystiquement une nouvelle fois afin de nous enseigner à vivre le lien de fraternité œcuménique auquel nous sommes tant attachés. Sur le chemin de l’unité, deux routes sont nécessaires. La première est définie comme le dialogue de charité, constituée de tous ces gestes qui nous rapprochent depuis l’accolade échangée par Sa Sainteté le Pape Paul VI et Sa Toute Sainteté, le Patriarche œcuménique Athénagoras à Jérusalem en 1964. La seconde est dite : dialogue de vérité. Elle est constituée des instances de dialogue théologique qui nous permettent de considérer les traditions communes sur lesquelles nous pouvons bâtir notre futur de communion, tout en étudiant avec honnêteté et respect les questions qui nous divisent encore. À ces deux routes, nous souhaitons en ajouter une troisième, prophétique. C’est ce à quoi nous avons assisté avec ce don inattendu.

 

 

Le don des reliques a été accompagné par une lettre du Pape, qui a été rendue publique hier, le 13 septembre, jour dans lequel l’Église latine célèbre la mémoire de votre prédécesseur, saint Jean-Chrysostome. Un Père de l’Église vénéré par les catholiques et les orthodoxes, et qui dans une de ses fameuses homélie affirma : «Tu veux honorer le corps du Christ ? Ne le cache pas quand il est nu. Ne lui rend pas honneur ici dans ce temps avec des étoffes de soie, pour ensuite le cacher à l’extérieur, là où il souffre du froid et de la nudité.» Comment s’annonce l’Évangile aujourd’hui, à partir de ces paroles ?

Nous croyons qu’il faut en effet que l’expérience liturgique sur laquelle se fonde notre vie spirituelle en tant que chrétiens ne se sépare pas de notre engagement dans le monde et pour le monde. Vous le savez certainement, à la fin de la Divine Liturgie, nous disons : «Sortons en paix.» Cette invitation ne nous appelle pas seulement à conserver la paix qui nous a été donnée, mais à la partager avec le reste du monde. Lorsqu’à la suite de saint Paul nous confessons l’Église comme étant le corps du Christ, nous devons nous rappeler qu’il n’y a pas d’autre manière de faire de la mission et de propager la bonne nouvelle du Christ ressuscité que par le service, diakonia. Nous suivons ainsi l’exemple du Christ Lui-même qui s’est donné entièrement «pour la vie du monde». Mais notre service n’en sera que meilleur lorsque les chrétiens auront retrouvé la pleine unité dans la communion des Églises.

 

L’Église catholique est sur le point de célébrer un Synode dédié à l’Amazonie, une grande ressource verte pour notre “mère terre”. Vous avez toujours été particulièrement sensible à ce thème de la sauvegarde de la création. Pourquoi est-il important que se diffuse cette sensibilité et que peuvent faire ensemble les chrétiens pour aider concrètement ce chemin ?

La protection de notre environnement naturel est une cause prioritaire pour le Patriarcat œcuménique depuis plus de 30 ans. Les raisons sont à la fois écologiques, mais aussi théologiques. La création est un don de Dieu fait à l’humanité tout entière. C’est dans le créé, auquel participent les personnes humaines, que se déploie la grâce salvifique de Dieu pour le salut du monde. Aussi, nous avons toujours été particulièrement attaché à l’idée selon laquelle la destruction de la nature est avant tout une question spirituelle et un péché. C’est pourquoi la réponse doit aussi être spirituelle. Nous prions pour la création dans chaque liturgie. Nous prions plus particulièrement pour la protection de l’environnement chaque 1er septembre. La prière est indispensable, mais elle n’est qu’une première étape. Les chrétiens doivent s’engager en développant une écologie spirituelle fondée sur le thème de la conversion. On entend souvent la question de la conversion lorsque l’on parle du sacrement de confession par exemple. C’est ici la même chose. Si détruire l’environnement est un péché, nous ne pouvons le protéger sans nous convertir. Car c’est de la conversion des cœurs que viendra la prise de conscience de notre propre responsabilité. Nous avons dans la tradition chrétienne les moyens de penser et d’influer sur la transformation de nos modes de vie: le culte, l’ascèse, le jeûne et les actions caritatives. Nous prions aujourd’hui avec intensité de cœur pour la forêt amazonienne dont la destruction est plus qu’une catastrophe, c’est un malheur. L’impact de ces gigantesques incendies pourrait avoir des conséquences pendant des générations, frappant le sol, les infrastructures et les êtres humains. Il est urgent de faire évoluer nos pratiques et nos modes de vie, car ces phénomènes tellement extrêmes nous contraignent à considérer la fragilité fondamentale de la nature, les ressources limitées de notre planète et la sacralité unique de la création.

 

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14 septembre 2019, 14:00