Sergio Mattarella, président de la République italienne. Sergio Mattarella, président de la République italienne.  

Entretien des médias du Vatican avec le président italien Sergio Mattarella

Le chef de l’État italien a accordé un entretien aux médias du Vatican, vendredi 17 mai 2019. Une semaine avant les élections européennes, il a expliqué souhaiter que «l’Europe récupère l’esprit de ses débuts, et prenne mieux soin des personnes».

Andrea Tornielli et Andrea Monda -  Cité du Vatican

Même si «des attitudes d’intolérance, d’agressivité, de fermeture aux exigences d’autrui affleurent bruyamment», et qu’il faut éviter que certains phénomènes ne se cristallisent entre eux «au niveau international», en Italie prévalent encore «des initiatives et des comportements de grande solidarité». Il est donc positif que le Vieux continent, suivant l’invitation du Pape, retrouve l’esprit de ses fondateurs: «L’Europe doit récupérer l’esprit des débuts. Elle doit prendre mieux soin des personnes». Le président de la République italienne Sergio Mattarella l’a affirmé dans le cadre d’une interview avec les médias du Vatican (L’Osservatore Romano, Radio Vatican, Vatican News).

Le chef de l’État a parlé des relations «optimales à tout point de vue» entre l’Italie et le Saint-Siège, du rôle de l’Église catholique dans le pays, et de l’importance du dialogue entre les religions pour la paix dans le monde, en lien avec la Déclaration d’Abou Dhabi, signée par François et par le Grand-Imam d’Al-Azhar.

Monsieur le Président, on est frappé par la dimension existentielle présente dans vos discours, dans lesquelles émerge toujours le sens de l’urgence vis-à-vis de la  crise des relations: le tissu social apparait souvent défiguré, les liens déchirés, la solitude est un signe distinctif de nos villes. Est-ce, selon vous, une priorité vis-à-vis des problèmes du pays, et une question que la politique doit affronter?

Oui, c’est la principale préoccupation qu’il faut nourrir: une Italie qui récupère pleinement le sens et la valeur de se sentir communauté de vie. L’Italie enregistre en son sein une grande quantité d’initiatives, et des comportements, de grande solidarité, et cette réalité est nettement majoritaire. Mais des attitudes d’intolérance, d’agressivité, de fermeture aux exigences d’autrui sont présents.

Ce sont des phénomènes minoritaires, qui ont toujours existé, en réalité, mais les doutes qui auparavant en freinaient la manifestation semblent atténuées. Il ne s’agit pas d’une condition particulière de notre pays: cela apparaît ainsi dans toute l’Europe et aussi dans d’autres continents. Un aspect différent s’ajoute, différent, à ne pas confondre avec celui que je viens d’indiquer: les conséquences du profond malaise social, provoqué par les crises économiques et financières de la décennie passée, et, à bien y réfléchir, déterminé en Italie aussi par le transfert de ressources, toujours plus impressionnant, de l’économie réelle à la finance spéculative ; de la forte augmentation de la distance entre les plus riches et la plus grande partie de la population.

Aussi les mutations du monde du travail, consécutives à la mondialisation et aux nouvelles technologies, qui ont de nombreux aspects positifs, contribuent à faire surgir de l’incertitude, et de l’insécurité, pas seulement territoriales.

Des domaines de souffrance et de malaise, fruit de la déception qui est constamment diffusée. Un sentiment d’échec accentué par le fait d’être de moins en moins affiliés dans différents domaines de la société, des différentes réalités associatives ou partis politiques, ou par leur capacité diminué d’attraction et de représentation. Il est nécessaire d’éviter que ces phénomènes si différents entre eux, puissent se cristalliser, en déterminant des situations de peur, d’aversion réciproque, de conflictualité entre les personnes, entre des groupes sociaux, entre des territoires à l’intérieur de chaque pays. Une condition qui, comme certains signaux l’indiquent, se transfèrerait dans le domaine international. Mais face à tout cela, je voudrais répéter qu’il y a la confiance inspirée par tous les aspects positifs, et ils sont nombreux, qui se vivent dans notre société.

Comment vous définiriez aujourd’hui les rapports entre l’Église catholique et l’État italien ? Quel est selon vous la contribution que l’Église donne à la vie de la nation ?

Les relations sont optimales à tout point de vue, et, comme l’affirme la Constitution, chacun dans son propre rôle. La collaboration est entière, dans tous les domaines et secteurs dans lesquels les activités du Saint-Siège et celles de l’État italien se rencontrent au niveau interne et au niveau international. En ce qui concerne la contribution de l’Église à la vie de l’Italie, il faut naturellement distinguer, comme sujets et comme fonctions, les deux différentes dimensions dans lesquelles se présentent le Saint-Siège et l’Église italienne.

Sur le premier versant, le magistère du Pape François reçoit une grande attention et il exerce une influence significative sur nos citoyens, aussi par l’affection que ceux-ci nourrissent à son égard. François est tout de suite devenu un point de référence pour les Italiens. Pour sa part, l’Église italienne fournit une contribution de grande importance à la société de notre pays, non seulement sur un plan spirituel, en concourant à atteindre des objectifs indiqués par notre Charte constitutionnelle.

La présence de l’Église italienne dans la dimension culturelle, éducative et sociale est un motif de reconnaissance. Les innombrables initiatives des diocèses, des paroisses, des réalités associatives en faveur des plus faibles, des marginaux et de ceux qui demandent une écoute et un accueil sont concrètes et évidentes, et elles constituent un appel constant à l’exigence d’une aide réciproque dans la vie quotidienne, pour renforcer la cohésion de notre communauté.

En ce début d’année 2019, le Pape François a déjà voyagé dans deux pays à majorité musulmane. Aux Émirats Arabes Unis, le 4 février 2019, il a signé une déclaration engageante sur la fraternité humaine avec le grand imam d'Al Azhar. Quelle est l'importance de ce dialogue interreligieux pour la paix dans le monde?

Les religions jouent un rôle croissant sur la scène internationale. Si cela s'est toujours produit sur d'autres continents, on constate aujourd'hui qu'il se développe même en Europe. Cette influence grandissante est d'une grande importance pour assurer la compréhension réciproque et la paix dans le monde.

Les responsables religieux jouissent d'un prestige certain, et d’une forte audience au sein de diverses populations. Le respect mutuel et le dialogue entre les différentes religions - qui parlent de paix et de fraternité - sont des conditions essentielles; et constituent le principal antidote à l'extrémisme qui cherche à instrumentaliser le sentiment religieux.

Ces tentatives d’instrumentalisation à des fins politiques et de pouvoir ont toujours existé. Le terrorisme à matrice islamiste fait partie de cet ancien phénomène, malheureusement amplifié par les instruments modernes, dans les conséquences de sa stratégie et de ses activités criminelles; Il a encore frappé ces derniers jours au Burkina Faso, en Irak, et en Afghanistan.

À cela s’ajoutent la violence et les attaques suprémacistes, comme celle de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, contre les croyants musulmans. La Déclaration sur la fraternité humaine signée par le Pape François et le grand imam d'Al Azhar revêt une grande importance, comme le fut le geste du Pape François à Bangui: emmener avec lui l'imam de la ville sur la papamobile, lors de sa visite en République centrafricaine à l'occasion de l'ouverture du Jubilé. Ce fut un grand geste, très efficace dans la communication et d’une grande ouverture. Exhorter à redécouvrir les racines authentiques et profondes des confessions religieuses - et œuvrer pour qu’un climat de dialogue et de fraternité règne parmi eux - signifie travailler de manière concrète pour la construction de la paix dans le monde et pour la sécurité de tous. La force des États contre le terrorisme est nécessaire et peut efficacement le contrer, mais c’est la formation des consciences et des mentalités qui peut l’éradiquer définitivement.

Le Pape François a déclaré: «La première et peut-être la plus grande contribution que les chrétiens puissent apporter à l'Europe d'aujourd'hui est de leur rappeler qu’elle n’est pas une collection de chiffres ou d'institutions, mais qu’elle est composée de personnes». À quel point est-il important de redécouvrir le sens de l'Europe en tant que communauté, et que peut-on faire pour que les nouvelles générations le retrouvent?

En janvier, à Berlin, le président allemand Steinmeier m’a présenté l’idée d’un appel à participer au vote lors des prochaines élections au Parlement européen: j’ai immédiatement adhéré à son initiative et, ces derniers jours, elle a été matérialisée dans un document signé par tous les présidents des États de l’Union. Il est écrit que l'intégration européenne est la meilleure idée que nous ayons jamais eue sur notre continent. Cette affirmation ainsi décidée avec la conviction que l’Union n’est pas un comité d’intérêts économiques régi par le critère du donner et de l’avoir, mais une communauté de valeurs. Cette conviction est la seule qui corresponde réellement au choix historique des fondateurs des premiers organismes communautaires.

Ceci est perçu, peut-être parfois inconsciemment, mais effectivement, surtout pour deux générations: les plus âgées, qui se souviennent de la situation de l'Europe avant ce choix, et les plus jeunes, qui peuvent se déplacer librement de Trapani à Helsinki ou de Lisbonne à Stockholm. Vous voyez, tout le monde devrait penser à ce qui a causé deux terribles guerres mondiales, menées surtout en Europe; et ce que signifiait vivre dans une Europe divisée par le rideau de fer, le mur de Berlin et l'angoisse toujours présente d'un conflit nucléaire dévastateur.

Jeune homme, je suis allé à Berlin, la ville était coupée en deux. Ma femme et moi voulions visiter un magnifique musée, le Pergamon, situé à Berlin-Est : nous avons traversé la frontière, le mur et, ce sentiment d’oppression ressenti est inoubliable. C’est comme si nous percevions la lacération de la ville. Parfois, la valeur des conditions dans lesquelles nous nous trouvons et ce qu’elles ont coûté en efforts et sacrifices sont oubliées: nous devons toujours penser que ces conditions, même imparfaites, doivent être préservées et consolidées; elles ne sont pas évidentes et irréversibles. Je pense que les nouvelles générations, celles du natifs du numérique, de l’itinérance européenne, des vols low-cost et d’Erasmus, le comprennent bien. Les jeunes qui, même sans le déclarer, se sentent européens aussi bien que citoyens de leur propre pays,  ressentent cette «maison commune».

Cela ne signifie pas que tout va bien dans l'Union. La perception de ses institutions par de larges pans de l'électorat européen n'est pas toujours positive, même si c'est souvent l'égoïsme des États - et donc pas ces institutions – qui freine le rêve européen. À certains égards, l’évolution de la vie de l’Union - due également au ralentissement de certains pays - donne l’impression de s’être arrêtée; presque satisfaite de sa condition atteinte, comme si le dessein européen avait déjà été achevé.

Cela a sensiblement terni la conception historique, la perspective et la tension d'intégration idéale. Le Pape François pointe la chose avec sagesse. L'Europe doit retrouver l'esprit de ses débuts. Elle doit se préoccuper davantage du sort des gens, et garantir une collaboration toujours plus étroite: l’égalité des conditions, la croissance économique; ceci ne peut réellement être obtenu qu’avec une croissance culturelle, civile et morale.

Ne trouvez-vous pas que l'Italie est un pays parfois mal représenté par les médias et même par les institutions? Pouvez-vous nous dire comment vous voyez notre pays de votre point de vue privilégié?

En ce qui me concerne, je fais de nombreuses visites dans d’autres pays et je reçois de nombreux chefs d’État au Quirinal. Je vois toujours et partout, un grand désir de l'Italie, une demande de collaboration fortement insistante. Cela concerne tous les domaines: culturel, scientifique, politique, économique, voire militaire pour la défense de la paix. L’image de l’Italie et l’opinion qu’elle a, vu de l’étranger, est bien plus positive que nous l’avons de nous-même.

Mais ce que je voudrais surtout souligner, c’est le sentiment encourageant que je ressens de la part de notre société, des nombreuses visites que j’effectue dans nos villes et territoires. J’ai un point d'observation privilégié et complet. Notre pays regorge d’énergies, de comportements, d’initiatives et d’engagements positifs; de solidarité, d'abnégation généreuse, de sens du devoir, de volonté et d'aptitude à faire face à l'intérêt général, au bien commun. Bien sûr, comme partout ailleurs, il y a aussi autre chose. Comme je l'ai mentionné au début, il existe un comportement sérieux et sévèrement censuré. Mais parmi les échelles, la générosité et le devoir sont de loin les plus répandus. C'est pourquoi j’en suis reconnaissant à nos concitoyens.

 

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17 mai 2019, 14:46