Recherche

Le sommet sur la protection des mineurs a lieu du 21 au 24 février 2019 au Vatican. Le sommet sur la protection des mineurs a lieu du 21 au 24 février 2019 au Vatican.  

Témoignage de victime: le corps et le cœur lacérés par les abus

Les 114 évêques, présidents de conférences épiscopales, du monde entier ont écouté un témoignage poignant d’une femme victime d’abus dans son enfance, au terme du second jour de sommet pour la protection des mineurs, vendredi 22 février.

«J’avais 11 ans lorsqu’un prêtre de ma paroisse a détruit ma vie. Dès lors, moi qui adorais les couleurs et faisais des pirouettes dans les prés, insouciante, j’ai cessé d’exister», a raconté la victime, une femme européenne qui a gardé l’anonymat devant l’assemblée.

«Je ne valais plus rien»

«Toutes les fois où enfant il me bloquait avec une force surhumaine restent, en revanche, gravées dans mes yeux, mes oreilles, mon nez, dans mon corps, dans l'âme : je m’anesthésiais, je restais en apnée, je sortais de mon corps, je cherchais désespérément du regard une fenêtre pour voir au dehors, en attendant que tout se termine. Quand il avait fini, je me réappropriais ce qui était mon corps, blessé et humilié, et je partais en allant même jusqu’à croire que j’avais tout imaginé. Mais comment pouvais-je, moi une enfant, comprendre ce qui s'était passé ?»

Ces pensées, explique-t-elle, sont les plus grandes lacérations que l’abus et l’abuseur introduisent dans le cœur, plus encore que les blessures elles-mêmes qui lacèrent le corps. «Je sentais que désormais je ne valais plus rien, pas même le droit d'exister. Je voulais juste mourir : j'ai essayé ... je n’ai pas réussi». 

La distance émotionnelle subie par la suite

Un abus qui a duré 5 ans, et eu de profondes conséquences sur la vie de la jeune fille: troubles de l'alimentation et hospitalisations. Puis, est venue sa première rencontre amoureuse et la fatalité de la comparaison, «insoutenable».

«Pour ne pas ressentir la douleur, le dégoût, la confusion, la peur, la honte, l'impuissance, l’inadéquation, mon esprit a refoulé les événements passés, il a anesthésié mon corps en mettant des distances émotionnelles par rapport à tout ce que je vivais, en faisant en moi des dégâts énormes», a-t-elle confié.

Ne pas céder au pouvoir insidieux du silence

À l'âge de 26 ans, lors de son premier accouchement, ce passé douloureux est revenu, lui rendant l’allaitement impossible.

«Je me suis alors confiée à mon mari, une confiance ensuite utilisée contre moi lors de notre séparation, lorsqu’au nom de l’abus subi, il a demandé que me soit retirée l’autorité parentale en tant que mère indigne», a-t-elle témoigné. Ensuite, la jeune femme eut le courage d'écrire une lettre à ce prêtre en question, avec en conclusion la promesse de ne plus jamais lui laisser «le pouvoir du silence».

La reconstruction, chemin pavé d’embûches

Depuis, le parcours de reconstruction est difficile. Il se fait principalement dans la solitude et avec l'aide de quelques spécialistes.

Si l'abus crée un préjudice immédiat, le plus difficile est de faire face tous les jours à ce vécu qui ressurgit dans les moments les plus improbables, a-t-elle raconté, ajoutant: «Tu devras vivre avec ça ... toujours ! Tu peux seulement apprendre, si tu y parviens, à moins te laisser blesser».

Un abus de foi

«Je n’avais plus confiance en l'homme et en Dieu, au Bon Père qui protège les petits et les faibles. Enfant, j’étais certaine que rien de mal ne pouvait venir d'un homme qui « diffusait le parfum de Dieu »! Comment les mêmes mains, qui avaient tant osé sur moi, pouvaient-elles bénir et donner la communion ? Lui, adulte et moi enfant, il avait non seulement profité de son pouvoir mais aussi de son rôle : un véritable abus de foi !»

Autre question posée par la survivante: «Comment faire pour ne pas s’éloigner de l’Église après une expérience de ce genre, en particulier face à la grave incohérence entre ce qui est prêché et ce qui a été fait par mon agresseur, mais aussi par ceux qui, face à ces crimes, ont minimisé, caché, étouffé ?».

Les processus de dénonciation

«J'ai eu besoin de 40 ans pour trouver la force de dénoncer. Je voulais briser le silence dont se nourrit toute forme d'abus; ce processus de dénonciation a eu un coût émotionnel très élevé : parler avec six personnes d'une grande sensibilité, mais uniquement des hommes et qui plus est des prêtres, fut difficile», a-t-elle poursuivi, convaincue de la nécessité d’une présence féminine pour accueillir, écouter et accompagner ce genre de cas.

«L’Église peut être fière de la possibilité de déroger au délai de prescription (droit refusé par la justice italienne), mais pas du fait de reconnaître comme un facteur atténuant, pour l’abuseur, le délai entre les faits et la dénonciation (comme dans mon cas). La victime n'est pas coupable de son silence ! Plus est long le temps du silence, subi par la victime entre peur, honte et sentiment d'impuissance, plus le traumatisme et les blessures sont importantes», a-t-elle enfin conclu.

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

23 février 2019, 12:31