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Le Pape et les participants à la Rencontre Internationale «La femme dans l’Église: maître d’œuvre de l’humain», le 7 mars 2024. Le Pape et les participants à la Rencontre Internationale «La femme dans l’Église: maître d’œuvre de l’humain», le 7 mars 2024.   (Vatican Media)

La place des femmes dans la gouvernance de l’Église sous François

Au début de son pontificat, le Pape François a souligné la nécessité d’intégrer davantage les femmes dans le processus décisionnel de l'Église. Douze ans plus tard, elles n’ont jamais été aussi nombreuses à des postes de responsabilités au Vatican. Retour sur les gestes forts du Pontife argentin avec la théologienne Anne-Marie Pelletier, qui souligne l’importance de la synodalité pour l’inclusion des femmes, et décrypte les défis auxquels devra faire face le Pape Léon XIV.

Entretien réalisé par Alexandra Sirgant* – Cité du Vatican

Dans son autobiographie Espère, parue le 15 janvier 2025, le Pape François soulignait les contours de sa politique d’inclusion des femmes, initiée à Rome et destinée à semer ses graines aux quatre coins du monde: «C’est donc un défi plus urgent que jamais de trouver de nouveaux critères et des modalités nouvelles pour permettre aux femmes d’être des protagonistes à part entière à tous les niveaux de la vie sociale et ecclésiastique, pour que leur voix ait toujours plus de poids et que leur autorité soit toujours plus reconnue». Plusieurs décisions ont été prises en ce sens, avec en 2021 l’ouverture aux femmes des ministères du Lectorat et de l’Acolytat, ou la promulgation en 2022 de la Constitution apostolique Praedicate Evangelium, qui permettra aux laïcs de diriger des dicastères. Jamais autant de femmes n’ont occupé des postes de direction au Vatican. À travers leurs nominations à des postes clés, telle que celle de la sœur Raffaella Petrini à la présidence du Gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican, le Pape François a eu à cœur de démasculiner l’institution et de remédier à l’invisibilisation à l’œuvre depuis deux millénaires. Quelles avancées accomplies durant ces douze années de pontificat? Quels défis attendent le prochain Pape Léon XIV? Éléments de réponse avec la bibliste et théologienne Anne-Marie Pelletier. Agrégée de Lettres et docteur en Sciences des religions, elle travaille, entre autres, sur la question des femmes dans l’Église.  

Le Pape François a réitéré à plusieurs reprises la nécessité d'intégrer les femmes dans le processus décisionnel de l'Église. Quelles ont été les avancées concrètes en matière de participation des femmes dans la gouvernance de l'Église ces douze dernières années?

Peut-être faut-il rappeler que ça a été une des belles surprises du début du pontificat que d'entendre le Pape François réaffirmer son souci des femmes et de leur intégration à des postes de décision, en même temps que sa volonté d'une théologie plus «incisive» de la femme, comme il le disait. Tout cela a suscité de grands espoirs qui se sont concrétisés par un certain nombre de gestes et de réformes. Au cours de ces années, on a vu se produire des nominations qui n'étaient guère pensables auparavant, avec des femmes à des postes de responsabilité, y compris à l'intérieur de la Curie.

Je pense aux nominations de la sœur Alessandra Smerilli au dicastère pour le développement humain intégral, de la sœur Raffaella Petrini à la présidence du Gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican, ou encore de la sœur Simona Brambilla récemment nommé à la tête du dicastère pour les Instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique. Ces nominations sont des gestes tout à fait inédits. De même, le Pape François a intégré des femmes à la Commission théologique internationale.

Dans un autre registre, mais qui me parait plein de signification, il a remis en lumière dans le récit évangélique le rôle de Marie-Madeleine, rappelant qu'elle était apôtre des apôtres et invitant à ce que le calendrier liturgique l'honore comme tel. C'est un geste symbolique, mais qui en dit beaucoup car pendant des siècles, ce personnage de Marie-Madeleine a été quasiment détourné, et tout d'un coup, le Pape nous renvoie à elle comme première annonciatrice de la résurrection.

Vous parlez de ces gestes qui sont symboliques. Vont-ils au-delà du symbole?

C'est du symbolique qui a du prix, et qui a des conséquences. C’est-à-dire que l’on s'habitue à penser que les femmes ont leur place, y compris au plus haut niveau de la gouvernance de l'Église.

De même, parmi les réalités qui sont à mettre au compte du Pape François, il y a l'ouverture d'un certain nombre de ministères aux femmes. En 2021, le Pape François a ouvert aux femmes les ministères du Lectorat et de l’Acolytat. Il y a eu la volonté d'ouvrir des ministères au titre du baptême, comme le ministère de catéchiste. Toutes ces choses sont des avancées. Des petites avancées car il y aurait beaucoup à dire sur le contraste entre ces ministères au titre du baptême, et les ministères ordonnés, qui restent quand même les ministères royaux. Mais ce sont des pas qui sont fait en direction d'une intégration des femmes.

La question de la place des femmes dans l'Église est aussi très liée à la synodalité, autre héritage du Pape François. En donnant plus de responsabilités aux baptisés, le Saint-Père donnait aussi plus de pouvoir aux femmes?

Je pense que cette question de la synodalité est capitale. D'abord, peut-être simplement car lors de la séquence du synode sur la synodalité, accompagnée d'enquêtes et de questionnement auprès peuple chrétien, on s’est aperçu que la question «des femmes» n'était pas simplement sectorielle - disons européenne, occidentale -  mais qu'elle était présente dans toutes les communautés chrétiennes. À l'échelle du monde, c’est une question, et formuler cela est un premier acquis capital.

Et puis, il y a aussi eu la nomination de la sœur Nathalie Becquart au poste de sous-secrétaire au Synode des évêques. Autre nouveauté: l’accès des femmes participantes aux synodes au vote. Il y a eu des avancées certaines qui se sont matérialisées visuellement par la disposition du travail synodal, avec ces fameuses tables réunissant des clercs et des laïcs, des évêques et des femmes. Tout d’un coup, l'Église selon Paul dans la lettre aux Éphésiens, qui évoque l'Église comme un ensemble, comme un corps organique, cette Église a commencé à émerger et à se concrétiser.

Concernant les nominations qu'il y a pu avoir au Vatican, elles s'intègrent dans une volonté de féminiser l'institution de l'intérieur pour que cela se répercute ensuite dans les Églises locales?

Oui, oui, effectivement. L’exemple a été donné en haut lieu à Rome. Tout le problème maintenant est que les communautés chrétiennes se saisissent de cette synodalité, qui devient leur affaire, et qu'elles fassent entrer dans leurs propres champs cette égalité baptismale qui se manifeste dans la synodalité.

Quels ont été les obstacles rencontrés par François?

Nous évoquions les espoirs soulevés par le Pape François en début d’interview. Ces espoirs ont quand même été en partie déçus à plusieurs reprises.

Par exemple, lors du Synode sur l'Amazonie (du 6 au 27 octobre), les chrétiennes d'Amazonie ont acquis une visibilité sans précédent. Elles se sont découvertes comme étant des leaders de communautés et à ce titre-là, elles demandaient plus de représentativité et peut-être aussi de pouvoir, y compris sacramentelle, dans l'Église. Or, on sait que le document final que le Synode sur l'Amazonie a produit n'a pas été véritablement relayé par des décisions du Pape François.

Certaines femmes se sont senties un peu trahies lorsque le Pape a ramené une image très stéréotypée du féminin. Tout cela relève de la déception et je dirais bien que, au fond, peut-être que les avancées mêmes dont nous avons été les témoins rendent plus visible aujourd'hui l'existence de verrous, à la fois anthropologique et théologique, qui font qu'on n'arrive pas à aller plus loin.

Quels sont ces verrous théologiques auxquels pourraient fera face le prochain Pontife?

Nous souhaitons que le prochain pontificat réouvre ces chantiers là et à cette profondeur-là. Je crois que l'un des problèmes est ce pli qui a été pris dans l'institution masculine de toujours commencer par traiter des femmes en parlant d'un spécifique féminin. Immédiatement, on distingue les femmes, on les met à part. Il y a un spécifique féminin qu’il serait, paraît-il, nécessaire de défendre car il serait menacé par le cléricalisme. C'est un souci touchant, mais qui peut être un peu exaspérant. Au lieu de commencer par ce qui est partagé et commun, ce qui revient à tous les baptisés et qui les met, je dirais, sur un plan d'égalité - à la fois dans leur identité et dans leur mission - et bien on commence par distinguer les femmes et les mettre à part. Et cela se répercute dans une théologie qui reprend de façon un peu obsessionnelle le fameux couple du pétrinien et du mariale. L'Église aurait deux pôles: un pôle marial féminin, qui se réfère à la Vierge Marie, qui serait l'excellence de l'intériorité, de l'intimité, et puis de l'autre côté, il y aurait le pôle masculin de la gouvernance.

Ce discours semble honorer les femmes et les inscrire dans une éminence dont elles devraient se réjouir, mais je crois que c'est tout à fait un piège, car finalement, dans le cadre de ce schéma-là, c'est tout de même le pétrinien qui est la tête et le cœur est une réalité spirituelle, mais qui n'accède pas à la décision, qui n'accède même par à la parole dans un certain nombre de cas. Et puis il y a, parmi ce qui fait verrou, la suprématie du sacerdoce ministériel.

Quels sont donc les défis mais aussi les attentes pour la suite?

Écoutez, je réponds en mon nom propre, mais il me paraît qu'un levier capital dans tout cela, c'est tout de même la synodalité. La synodalité comme manière déjà tout simplement de s’apprivoiser:  dans un certain nombre de cas, il s'agit de cela, que les clercs fréquentent les femmes sur un pied d'égalité, apprennent à les estimer tout simplement et à travailler avec elles. Et à partir de là, je pense que des choses pourront à terme - parce que tout cela est forcément lent dans la mesure où c'est une conversion des mentalités - déboucher sur une véritable parité baptismale.

Bien sûr, cela implique que le successeur du Pape François porte le même intérêt à la synodalité, mais je dirais que désormais cette synodalité devient l'affaire de toutes les communautés chrétiennes. Je pense que le Pape François a mené à son terme, d'une certaine manière, ce qui lui revenait sur cette sur cette affaire-là, y compris en ne livrant pas de texte spécifique sous sa signature à la fin de la dernière session du Synode, mais en laissant la parole justement à l'assemblée synodale. Il a été très loin dans ce sens-là. Mais tout cela a besoin d'exister, et pour cela il faut que les communautés chrétiennes le fassent exister. Que les femmes dans les paroisses, dans les lieux où elles sont engagées, où elles ont des responsabilités, puissent prendre la mesure de ce que ce signifie cette synodalité d'un point de vue ecclésiologique, et qu'à partir de là, elles avancent et elles permettent aux clercs d'avancer.

*Entretien réalisé le 30 avril 2025 

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21 mai 2025, 16:08