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Saint Jérôme écrivant, Le Caravage (1606), galerie Borghèse à Rome. Saint Jérôme écrivant, Le Caravage (1606), galerie Borghèse à Rome. 

Le Pape consacre une lettre à saint Jérôme, 1600 ans après sa mort

En ce 30 septembre 2020, mémoire de saint Jérôme de Stridon, le Pape François a signé une Lettre apostolique consacrée à la figure de ce Père de l’Église occidentale. “Scripturae Sacrae affectus” – «Une affection pour la Sainte Écriture» - analyse la vie, l’œuvre et l’actualité de l’auteur de la Vulgate, et invite les croyants d’aujourd’hui à se plonger avec passion dans la Parole de Dieu.

Tiziana Campisi - Cité du Vatican

«Sa figure demeure d’une grande actualité pour nous chrétiens du XXIème siècle». C'est pourquoi, mille six cents ans après sa mort, le Pape François a voulu dédier à saint Jérôme, l'un des quatre Pères de l'Église occidentale, la Lettre apostolique Scripturae Sacrae Affectus. C'est précisément l'affection, l'amour pour l'Écriture Sainte qui est l'héritage que Jérôme «a laissé à l'Église à travers sa vie et ses œuvres». «Infatigable chercheur, traducteur, exégète, profond connaisseur et vulgarisateur passionné de la Sainte Écriture»; «interprète raffiné des textes bibliques»;  «ardent et parfois impétueux défenseur de la vérité chrétienne»; «ermite ascétique intransigeant» et «guide spirituel expérimenté»: ainsi le Pape François décrit-il saint Jérôme.

La vie de Jérôme

Dans sa Lettre apostolique, le Saint-Père retrace la vie de Jérôme, rappelant sa solide éducation chrétienne et son sérieux dans les études, ses voyages, ses amitiés et ses expériences. Parmi celles-ci, on trouve le désert, qui par «la vie érémitique qui en résulte, est choisi et vécu par Jérôme dans son sens le plus profond: le lieu des choix existentiels fondamentaux, d’intimité et de rencontre avec Dieu, où, dans la contemplation, les épreuves intérieures, le combat spirituel, il arrive à la connaissance de la fragilité avec une conscience plus grande de ses limites et de celles d’autrui, et en reconnaissant l’importance des larmes».

Et c'est dans le désert que le jeune homme originaire de Stridon fait l'expérience de «la présence concrète de Dieu, la relation nécessaire de l’être humain avec lui, sa consolation miséricordieuse». Jérôme, ami de jeunesse de Rufin d'Aquilée, connaît aussi Grégoire de Naziance, Didyme l'Aveugle, Épiphane de Salamine. Il rencontre Ambroise et entretient une correspondance étroite avec Augustin. Il consacre «son existence à rendre toujours plus accessibles aux autres les lettres divines, par son infatigable travail de traducteur et de commentateur».

Ayant décidé de consacrer sa vie entière à Dieu, il est ordonné prêtre à Antioche vers 379, puis s'installe à Constantinople, et se consacre à la traduction en latin d'œuvres importantes du grec, tout en continuant à étudier avec passion. «Une inquiétude sacrée le guide et le rend infatigable et passionné dans la recherche», écrit le Pape François en citant saint Jérôme: «Parfois je désespérais, plusieurs fois j’ai abandonné; mais ensuite je reprenais grâce à la décision obstinée d’apprendre».

Un lien fort avec Rome

Est ensuite évoqué son retour à Rome, lorsqu'en 382 il devient un proche collaborateur du Pape Damase, et que des cénacles de lecture de l'Écriture Sainte sont organisés «grâce au soutien de femmes de l’aristocratie romaine désireuses de choix évangéliques radicaux, comme Marcella, Paula et sa fille Eustochia». C'est au cours de ces années que Jérôme «entreprend en même temps une révision des précédentes traductions latines des Évangiles, peut-être aussi d’autres parties du Nouveau Testament». «Pour Jérôme, l’Église de Rome est le terrain fécond où la semence du Christ porte du fruit en abondance», observe le Pape.

À une époque agitée, où la tunique sans couture de l'Église est souvent déchirée par les divisions entre chrétiens, Jérôme se tourne vers la chaire de Pierre comme un point de référence sûr: «Moi qui ne vais à la suite de personne si ce n’est du Christ, je m’unis en communion à la Chaire de Pierre. Je sais que l’Église est édifiée sur ce roc». À la mort de Damase, Jérôme quitte la ville, entreprend de nouveaux voyages et d'autres études, et choisit finalement de vivre à Bethléem, près de la grotte de la Nativité. Ill y fonde deux monastères, un masculin et un féminin, avec des hospices pour accueillir les pèlerins, «révélant sa générosité à accueillir ceux qui viennent dans cette terre pour voir et toucher les lieux de l’histoire du salut, unissant ainsi la recherche culturelle à la recherche spirituelle».

C'est précisément à Bethléem, où il est mort en 420, que Jérôme vit «la plus féconde et la plus intense, complètement consacrée à l’étude de l’Écriture, occupé par l’œuvre monumentale de traduction de tout l’Ancien Testament à partir de l’original hébreu. En même temps, il commente les livres prophétiques, les psaumes, les œuvres pauliniennes, il rédige des aides pour l’étude de la Bible». Une œuvre précieuse qui peut encore être appréciée, «fruit de confrontations et de collaborations, en partant de la transcription et de la collection des manuscrits jusqu’à la réflexion et la discussion».

Le saint ermite explique en effet: «Je n’ai jamais fait confiance à mes propres forces pour étudier les volumes divins, […] j’ai l’habitude de poser des questions, même concernant ce que je croyais savoir,  à plus forte raison sur  ce dont je n’étais pas sûr». Conscient de ses propres limites, il demande «un soutien continuel dans la prière  d’intercession pour la réussite de sa traduction des textes sacrés “dans le même Esprit où ils furent écrits”».

Une attitude synodale

Le Pape François souligne aussi dans sa Lettre Apostolique que «l’étude de Jérôme est considérée comme un effort accompli au sein de la communauté et au service de la communauté, un modèle de synodalité aussi pour nous, pour notre temps et pour les diverses institutions culturelles de l’Église, afin qu’elles soient toujours “un lieu où le savoir devient service, parce que sans un savoir qui naît de la collaboration, et qui aboutit à la coopération, il n’y a pas de développement véritablement et intégralement humain”». Le fondement de cette communion, souligne le Saint-Père, est l'Écriture, que nous ne pouvons pas lire seuls: «La Bible a été écrite par le Peuple de Dieu et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration de l’Esprit Saint. C’est seulement dans cette communion avec le Peuple de Dieu, dans ce “nous” que nous pouvons réellement entrer dans le cœur de la vérité que Dieu lui-même veut nous dire». Puis le Pape mentionne l'activité épistolaire de Jérôme et les missives dans lesquelles il aborde les polémiques doctrinales, «toujours pour la défense de la vraie foi, se révélant homme de relations vécues avec force et douceur, avec un plein engagement, sans formes édulcorées, et faisant l’expérience que «l’amour n’a pas de prix». Il vit ainsi ses affections avec fougue et sincérité».

Deux clés pour comprendre Saint Jérôme

«Pour une meilleure compréhension de la personnalité de saint Jérôme, il est nécessaire de conjuguer deux dimensions caractéristiques de son existence de croyant: d’un côté, l’absolue et rigoureuse consécration à Dieu, avec le renoncement à toute satisfaction humaine par amour du Christ crucifié (cf. 1Co 2, 2 ; Phil 3, 8.10) ; de l’autre, l’engagement pour l’étude assidue, visant exclusivement une compréhension toujours plus profonde du mystère du Seigneur». Ces deux caractéristiques, mises en évidence également dans les représentations artistiques du Père de l'Eglise, font de lui un modèle pour les «moines, afin que celui qui vit d’ascèse et de prière soit invité à se consacrer à l’enfantement assidu de la recherche et de la pensée; puis [pour les] chercheurs qui doivent se rappeler que le savoir est religieusement valide seulement s’il se fonde sur l’amour exclusif de Dieu, sur le dépouillement de toute ambition humaine et de toute aspiration mondaine».

Passionné de l'Écriture Sainte

«Le trait particulier de la figure spirituelle de saint Jérôme demeure certainement son amour passionné pour la Parole de Dieu transmise à l’Église dans la Sainte Écriture», insiste ensuite le Pape. À partir de l'Écriture, Jérôme souligne le «caractère plutôt humble de la révélation de Dieu, exprimée dans la nature rude et presque primitive de la langue hébraïque en comparai- son au raffinement du latin cicéronien», et enseigne «qu’il ne faut pas étudier seulement les Évangiles, et ce n’est pas seulement la tradition apostolique présente dans les Actes des Apôtres et dans les Lettres qui doit être commentée».

Une obéissance active

Il y a un autre trait de Jérôme que le Saint-Père invite à considérer: l'obéissance dont est imprégné son amour pour les Écritures divines, «envers Dieu qui s’est communiqué par des paroles qui exigent une écoute respectueuse, et, en conséquence, obéissance envers ceux qui représentent dans l’Église la tradition vivante interprétative du message révélé». Une obéissance, cependant, qui n'est pas «une simple réception passive de ce qui est connu», mais qui «exige, au contraire, l'engagement actif de la recherche personnelle». Nous pouvons donc «considérer saint Jérôme comme un “serviteur” de la Parole, fidèle et laborieux, consacré entièrement à favoriser chez ses frères dans la foi une compréhension plus adéquate du “dépôt” sacré qui leur est confié».

Jérôme, un guide pour les universitaires d'aujourd'hui

François ajoute que Jérôme est un guide encore pour aujourd’hui «tant parce que […] il conduit chaque lecteur au mystère de Jésus, que parce qu’il assume de façon responsable et systématique les méditations exégétiques et culturelles nécessaires pour une lecture correcte et fructueuse des Saintes Écritures». Et il précise ensuite: «la compétence dans les langues dans lesquelles la Parole de Dieu a été transmise, l’analyse soignée et l’évaluation des manuscrits, la recherche archéologique ponctuelle, en plus de la connaissance de l’histoire de l’interprétation» orientent «vers une juste compréhension de l’Écriture inspirée». Il est donc indispensable, aux yeux du Pape, qu’aujourd’hui «l’action interprétative de la Bible soit soutenue par des compétences spécifiques». Sont cités en exemple l'Institut Biblique Pontifical et l'Institut Patristique Augustinianum à Rome, ainsi que l'École Biblique et le Studium Biblicum Franciscanum à Jérusalem, chaque faculté étant invitée à «s’engager afin que l’enseignement de la Sainte Écriture soit programmé de manière à assurer aux étudiants une capacité interprétative compétente, soit dans l’exégèse des textes, soit dans les synthèses de théologie biblique». Car la «richesse de l’Écriture est malheureusement ignorée ou minimisée par beaucoup, parce que les bases essentielles de connaissance ne leur ont pas été fournies», déplore François. Il est également nécessaire de «promouvoir une formation étendue à tous les chrétiens, pour que chacun devienne capable d’ouvrir le livre sacré et d’en tirer les fruits inestimables de sagesse, d’espérance et de vie», écrit le Pape en mentionnant le Dimanche de la Parole de Dieu, une initiative qui doit «encourager la lecture orante de la Bible et la familiarité avec la Parole de Dieu».

La Vulgate, monument qui a traversé les siècles

L'œuvre la plus connue de Jérôme est sans aucun doute la Vulgate, traduction de l'Ancien Testament en latin, à partir de l'hébreu original. À l'époque de Jérôme, explique le Pape, «les chrétiens de l’empire romain pouvaient lire intégralement la Bible seulement en grec», et pour les lecteurs de langue latine, il n'existait pas de version complète de la Bible mais seulement quelques traductions, partielles et incomplètes, à partir du grec. «Il revient le mérite à Jérôme, et après lui à ses continuateurs, écrit le Saint-Père, d’avoir entrepris une révision et une nouvelle traduction de toute l’Écriture. Ayant initié à Rome la révision des Évangiles et des Psaumes, avec l’encouragement du Pape Damase, Jérôme commença dans sa retraite de Bethléem la traduction de tous les livres vétérotestamentaires, directement à partir de l’hébreu: une œuvre poursuivie durant des années». Une œuvre pour laquelle Jérôme «mit à profit sa connaissance du grec  et de l’hébreu ainsi que sa solide formation latine, et il se servit des instruments philologiques qu’il avait à disposition». «Le résultat est un vrai monument qui a marqué l’histoire culturelle de l’Occident en en modelant le langage théologique», et on peut affirmer que «l’Europe du Moyen Age a appris à lire, à prier et à raisonner sur les pages de la Bible traduite par Jérôme».

Traduire pour bâtir des ponts

Avec la Vulgate, explique ensuite le Souverain Pontife, «Jérôme a réussi à “inculturer” la Bible dans la langue et dans la culture latines, et son opération est devenue un paradigme permanent pour l’action missionnaire de l’Église». Comme le rappelle le Pape, «la Bible a besoin d’être constamment traduite dans les catégories linguistiques et mentales de chaque culture et de chaque génération, y compris dans la culture sécularisée globale de notre temps», «c’est pourquoi la traduction n’est pas un travail qui regarde uniquement le langage, mais qui correspond, en vérité, à une décision éthique plus ample qui se connecte à la vision entière de la vie». «Sans traduction, les différentes communautés linguistiques seraient dans l’impossibilité de communiquer entre elles. Nous fermerions les uns aux autres les portes de l’histoire et nous nierions la possibilité de construire une culture de la rencontre. En effet, sans traduction, on ne donne pas hospitalité, au contraire, les pratiques d’hostilité se renforcent», prévient François. Ainsi, «le traducteur est un bâtisseur de ponts».

Pourquoi célébrer saint Jérôme?

Pour le Pape, la célébration du seizième centenaire de la mort de saint Jérôme nous amène à considérer «l’extraordinaire vitalité missionnaire exprimée par la traduction de la Parole de Dieu en plus de trois mille langues», et les nombreux «missionnaires auxquels on doit la précieuse œuvre de publication de grammaires, de dictionnaires et autres instruments linguistiques qui offrent les fondements à la communication humaine et sont un véhicule pour le “rêve missionnaire d’arriver à tous”». D'où l'invitation à «valoriser tout ce travail et d’y investir, en contribuant au dépassement des frontières de l’incommunicabilité et de l’absence de rencontre. Il reste beaucoup à faire», constate le Souverain Pontife.

Le défi du Pape aux jeunes

Enfin, le Pape souligne que «l'un des problèmes actuels, et pas seulement de la religion, est l’analphabétisme: le manque de connaissances herméneutiques qui nous rendent interprètes et traducteurs crédibles de notre propre tradition culturelle». D'où ce défi lancé, «spécialement aux jeunes: partez à la recherche de votre héritage». «Le christianisme vous rend héritiers d’un patrimoine culturel inégalable dont vous devez prendre possession. Passionnez-vous de cette histoire qui est vôtre. Osez fixer le regard sur Jérôme, ce jeune inquiet qui, comme le personnage de la parabole de Jésus, vend tout ce qu’il possède pour acheter “la perle de grand prix”», demande-t-il. Jérôme «est la “Bibliothèque du Christ”, résume le Saint-Père, une bibliothèque pérenne, qui, seize siècles plus tard, continue à nous enseigner ce que signifie l’amour du Christ, un amour indissociable de la rencontre avec sa Parole. C’est pourquoi le centenaire actuel est un appel à aimer ce que Jérôme a aimé, en redécouvrant ses écrits et en se laissant toucher par l’impact d’une spiritualité qui peut être décrite, dans son noyau le plus vital, comme le désir inquiet et passionné d’une connaissance plus grande du Dieu de la Révélation». Et le Pape de citer à nouveau Jérôme, pour un dernier conseil: «Lis souvent les Divines Écritures; ou plutôt, que tes mains ne déposent jamais le livre saint!»

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30 septembre 2020, 14:13