Des pèlerins libanais sur la Place Saint-Pierre, le dimanche 9 août 2020. Des pèlerins libanais sur la Place Saint-Pierre, le dimanche 9 août 2020. 

Les Papes et le Liban, un lien d’amour et de compassion

Les paroles fortes du Pape François pour le Liban dimanche 9 août lors de l’Angélus, suite à la double explosion survenue mardi dans le port de Beyrouth, donnent l’occasion de souligner le lien qui unit le Pays du Cèdre et le Siège de Pierre. Les Papes de l’époque contemporaine ont prêté une attention particulière au Liban, et trois d’entre eux s’y sont rendus.

Cyprien Viet - Cité du Vatican

Le premier évêque de Rome à poser ses pieds en terre libanaise fut saint Paul VI en 1964. Il ne s’agissait pas d’une véritable visite pastorale au Liban mais d’une simple escale technique d’une heure sur le chemin du Congrès eucharistique de Bombay, en Inde, dans le cadre de son 2e voyage apostolique. Cependant, bien que très brève, cette étape à l’aéroport international de Beyrouth est restée dans la mémoire du peuple libanais, qui associe cette journée du 2 décembre 1964 aux années heureuses de ce pays alors relativement stable et prospère, surnommé la "Suisse du Moyen-Orient".

Les images d'archives montrent que les Libanais furent des milliers à se presser autour de l’aéroport, formant des "grappes" impressionnantes aux balcons et aux fenêtres, pour applaudir et apercevoir le Pape. Accueilli par le président de la République Charles Hélou et par les principales autorités politiques et religieuses du pays, Paul VI fit une brève allocution en français, inscrivant ce voyage dans la continuité de la tournée historique qui l'avait conduit en Terre Sainte en janvier de la même année. «Le Liban - il Nous est agréable de le dire en ce lieu - tient avec honneur sa place dans le concert des nations, avait souligné Paul VI lors de son escale beyrouthine. Son histoire, sa culture, le caractère pacifique de ses habitants lui valent, on peut le dire, l’estime et l’amitié générales. Ses antiques et vénérables traditions religieuses, surtout, Nous semblent dignes d’être mentionnées par Nous avec éloge. Et Nous ne saurions oublier, en particulier, tout ce que représente, pour l’Église, la foi des populations chrétiennes libanaises, exprimée dans l’harmonieuse diversité des Rites, dans l’abondance et la variété des communautés religieuses et monastiques, dans de multiples activités d’ordre apostolique, éducatif, culturel ou charitable.»

La douleur de Paul VI face aux premiers combats de la guerre civile

Malheureusement, la fin du pontificat de Paul VI fut marquée par le début de la guerre civile au Liban, ou plutôt “des” guerres au pluriel, tant les intérêts extérieurs vinrent brouiller les cartes et rompre le fragile équilibre libanais. Le Pape ne cessera, jusqu’au bout de ses forces, de lancer des appels pour la paix et pour la protection des populations. Le 5 juillet 1978, un mois avant son décès, il supplie encore les belligérants de marquer un cessez-le-feu en remarquant que «de violents bombardements ont frappé les quartiers chrétiens de Beyrouth, la capitale, faisant de nombreuses victimes, morts et blessés, provoquant des destructions et semant la terreur parmi la population sans défense».

«Nous nous demandons, non sans angoisse: quand finira le douloureux calvaire du peuple libanais? Ce dernier se tourne avec inquiétude vers l’avenir incertain de la patrie entraînée dans la tourmente de violence et de haine, qui n’épargne ni sa jeunesse ni ses institutions et est en train de miner l’esprit de fraternité de ses fils qui furent un temps, et à juste titre, fiers de voir leur nation se poser comme exemple de collaboration pacifique aux yeux du Moyen-Orient et du monde entier», déclare alors Paul VI dans ce discours qui fut l’une de ses dernières interventions publiques.

Jean-Paul II et son affection pour le peuple libanais

Cette douleur du conflit libanais marquera aussi les premières années du pontificat de saint Jean-Paul II, dont la messe d’installation sur le Siège de Pierre, le 22 octobre 1978, se fit en présence du chef de l’État libanais, Elias Sarkis. Parmi les très nombreuses interventions de Jean-Paul II sur ce thème, il faut souligner son Message à tous les Libanais du 1er mai 1984, rédigé à la suite d’une rencontre avec les Patriarches des Églises du pays en communion avec Rome. «La profonde affection que je nourris depuis longtemps pour ce pays et sa population si éprouvés m’autorise, je crois, à adresser une parole amicale à tous les Libanais, catholiques, chrétiens et musulmans: je sais qu’elle trouvera le chemin de leur cœur!», écrit alors le saint Pape polonais, qui invite les citoyens de ce pays à garder confiance en leur nation et en l’homme, et appelle particulièrement les chrétiens à prendre la voie de la paix. «L’Église au Liban se doit d’assurer de manière prophétique ce ministère de dialogue et de réconciliation qui prend sa source dans le cœur du Christ qui, comme l’Eglise l’a rappelé durant la Semaine Sainte, a donné sa vie pour la multitude.»

«Les générations à venir vous jugeront sur votre capacité à surmonter les tensions présentes et la crainte du lendemain. L’avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer. Pour nous il s’agit du Christ, Rédempteur de l’homme!», insiste Jean-Paul II en reprenant les termes de la Constitution conciliaire Gaudium et Spes. Il confie les intentions du peuple libanais à «la Sainte Vierge, invoquée sous le nom de Notre-Dame du Liban, elle qui, les bras ouverts depuis la colline de Harissa, propose à tout Libanais son sourire et sa tendresse comme pour rappeler que seul l’amour fait de grandes choses!»

La reconstruction d’un «pays-message»

Tout au long des dernières années de la guerre, le Pape mobilisera des réseaux informels et officiels pour tenter de sauver des vies et de trouver des solutions au conflit. Sur le plan de la diplomatie pontificale, le futur cardinal Tauran sera impliqué dans la négociation des accords de Taëf, qui permettront le retour à un certain équilibre, certes précaire, à partir de 1990. Mais ce n’est qu’en 1997, après 19 ans d’attente, que Jean-Paul II parvient enfin à se rendre physiquement à Beyrouth, pour un voyage apostolique qui est resté dans l’histoire notamment avec son expression «pays-message», un qualificatif encore souvent employé aujourd’hui par les Libanais voulant mettre en évidence la mission particulière du Liban dans le concert des nations et dans le plan de Dieu.

Cette visite relativement courte, de seulement 36 heures, fut surtout une occasion de poser des jalons pour l’avenir. Le Pape polonais, déjà affaibli physiquement, adressa notamment ces mots pour les jeunes : «Il vous appartient de faire tomber les murs qui ont pu s’édifier pendant les périodes douloureuses de l’histoire de votre nation; n’élevez pas de nouveaux murs au sein de votre pays. Au contraire, il vous revient de construire des ponts entre les personnes, entre les familles et entre les différentes communautés. Dans votre vie quotidienne, puissiez-vous poser des gestes de réconciliation, pour passer de la méfiance à la confiance!»

Benoît XVI et l’invitation à un ancrage en Dieu

Son successeur Benoît XVI marchera sur ses traces 15 ans, plus tard, en septembre 2012, pour le dernier voyage apostolique de son pontificat, organisé à la suite du Synode de 2010 sur les Églises orientales. Alors que le conflit en Syrie voisine et le contexte agité dans de nombreux pays du Moyen-Orient faisait craindre un voyage sous haute tension, le Pape fut finalement accueilli dans une atmosphère chaleureuse et consensuelle, y compris de la part de mouvements musulmans qui l'accueillirent en brandissant des drapeaux du Vatican, au grand étonnement des journalistes occidentaux.

L’actuel Pape émérite avait alors remarqué que le fragile équilibre libanais «menace parfois de se rompre lorsqu’il est tendu comme un arc, ou soumis à des pressions qui sont trop souvent partisanes, voire intéressées, contraires et étrangères à l’harmonie et à la douceur libanaises. C’est là qu’il faut faire preuve de réelle modération et de grande sagesse», avait-il souligné, invitant le peuple libanais à garder son ancrage en Dieu.

«Je viens aussi pour dire combien est importante la présence de Dieu dans la vie de chacun et combien la façon de vivre ensemble, cette convivialité dont désire témoigner votre pays, ne sera profonde que si elle est fondée sur un regard accueillant et une attitude de bienveillance envers l’autre, que si elle est enracinée en Dieu qui désire que tous les hommes soient frères. Le fameux équilibre libanais qui veut continuer à être une réalité, peut se prolonger grâce à la bonne volonté et à l’engagement de tous les Libanais. Alors seulement, il servira de modèle aux habitants de toute la région, et au monde entier. Il ne s’agit pas là uniquement d’une œuvre humaine, mais d’un don de Dieu qu’il faut demander avec insistance, préserver à tout prix, et consolider avec détermination», avait insisté Benoît XVI dès son arrivée à l’aéroport de Beyrouth.

Le Pape François et ses encouragements pour la jeunesse libanaise

Le Pape François, lui, n’a pas encore eu le temps d’effectuer un voyage apostolique au Liban mais son attention très forte aux enjeux du dialogue islamo-chrétien dans l’espace méditerranéen donne naturellement au Pays du Cèdre une place particulière dans son cœur et dans son magistère. En 2013, le premier Vendredi Saint de son pontificat, quelques jours après son élection, fut marqué par le Chemin de Croix au Colisée, dont les méditations avaient été écrites par des jeunes du Liban. «Fais, Seigneur, que le sang des victimes innocentes soit la semence d’un nouvel Orient plus fraternel, plus pacifique et plus juste, et que cet Orient recouvre la splendeur de sa vocation de berceau de civilisation et de valeurs spirituelles et humaines. Étoile de l’Orient, indique-nous la venue de l’Aube!», suppliaient ces jeunes Libanais dans le contexte troublé de la guerre en Syrie.

Dans ses mots de conclusion, le Pape François avait alors rappelé que «la parole de la Croix est aussi la réponse des chrétiens au mal qui continue à agir en nous et autour de nous. Les chrétiens doivent répondre au mal par le bien, en prenant sur eux la croix, comme Jésus. Ce soir nous avons entendu le témoignage de nos frères du Liban: ce sont eux qui ont composé ces belles méditations et prières. Nous les remercions de tout cœur pour ce service et surtout pour le témoignage qu’ils nous donnent. Nous l’avons vu quand le Pape Benoît est allé au Liban: nous avons vu la beauté et la force de la communion des chrétiens de cette Terre et de l’amitié de tant de nos frères musulmans et de beaucoup d’autres. Ce fut un signe pour le Moyen-Orient et pour le monde entier: un signe d’espérance.»

Près de sept ans et demi plus tard, cette espérance continue à s'exprimer dans les interventions du Pape François sur le dossier libanais, avec des gestes concrets comme le financement de 400 bourses d’étude pour des étudiants libanais, une décision annoncée le 14 mai dernier. Pour François, c’est en investissant sur la capacité créative de la jeunesse que naîtra un nouveau Liban, fidèle à ses racines spirituelles, et tourné vers un avenir de justice et de paix.

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09 août 2020, 19:19