Le Pape François à Lampedusa le 8 juillet 2013 Le Pape François à Lampedusa le 8 juillet 2013 

Où est ton frère? De Lampedusa à la Covid-19, le défi de la fraternité

Sept ans après sa visite sur l'île, l'appel du Pape François à nous regarder comme des frères est encore plus urgent. Dans l'ère post-pandémique, il ne sera pas possible de se sauver seul. La fraternité est l’unique façon de construire l'avenir.

Alessandro Gisotti – Cité du Vatican

«Où est ton frère ? La voix de son sang crie vers moi, dit Dieu. Ce n’est pas une question adressée aux autres, c’est une question adressée à moi, à toi, à chacun de nous». Sept ans se sont écoulés depuis la visite du Pape François à Lampedusa et cette question a été adressée à l'humanité lors de la messe célébrée sur le terrain de sport de la petite île au cœur de la Méditerranée. La visite n'a duré que quelques heures mais elle était en quelque sorte «programmatique» pour le pontificat. Là, à la pointe sud de l'Europe, François a montré ce que signifiait pour lui cette «Église en sortie» dont il parle souvent. Il a rendu visible l'affirmation selon laquelle la réalité peut être mieux vue de la périphérie que depuis le centre. Au milieu des migrants qui ont fui la guerre et la misère, il a fait vivre son rêve d'une «Église pauvre et pour les pauvres». À Lampedusa, en revanche, en parlant de Caïn et d'Abel, il a également mis la question de la fraternité au premier plan. Une question fondamentale pour notre époque. Ou peut-être, de tous les temps.

 

L’ensemble du pontificat de François s’articule autour de la fraternité. «Frères» est précisément le premier mot qu'il a adressé au monde en tant que Pape le soir du 13 mars 2013. La dimension de la fraternité est, si l'on peut dire, dans l'ADN de ce pontife qui a choisi le nom du Pauvre d'Assise, un homme qui voulait comme seul titre celui de «frère». Fraternelle, c’est aussi la façon dont il définit sa relation avec son prédécesseur, le Pape émérite Benoît XVI. Après la signature de la Déclaration sur la fraternité humaine, cet aspect du pontificat apparaît certainement plus marqué et plus évident pour tous. Pourtant, en remontant les sept premières années du pontificat de François, on trouve plusieurs jalons sur le chemin qui a conduit à la signature, avec le Grand Imam d'Al Azhar, du document historique à Abu Dhabi le 4 février 2019. Un chemin qui continue aujourd’hui encore, car cet événement sur le sol arabe a été, certes, un point d'arrivée, mais aussi un nouveau départ.

Pour en revenir à la «question de Lampedusa» (où est ton frère ?), la reprise des mêmes paroles à l’occasion d’une autre visite hautement symbolique, celle effectuée au sanctuaire militaire de Redipuglia à l'occasion du centenaire du début de la Première Guerre mondiale, est particulièrement significative. Ici aussi, en septembre 2014, le dialogue entre Dieu et Caïn, après le meurtre de son frère Abel, résonnera de tout son drame. «Je ne sais pas. Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ?» (Gen 4:9). Pour François, dans ce refus de se considérer le gardien de son frère, de chaque frère, se trouve la racine de tous les maux qui secouent l'humanité. Cette attitude, souligne le Pape, «est exactement à l'opposé de ce que Jésus nous demande dans l’Évangile» : «Celui qui prend soin de son frère, entre dans la joie du Seigneur ; celui qui ne le fait pas ; celui qui, avec ses omissions, dit : “Je ne sais pas”, reste au dehors». En parcourant le pontificat, nous constatons que l'appartenance commune à la fraternité humaine se décline dans tout son dynamisme multiforme, allant de l'œcuménisme à l'interreligieux, de la dimension sociale à la dimension politique. Une fois de plus, le polyèdre est la figure qui représente le mieux la pensée et l'action de François. La fraternité, en fait, a de nombreuses facettes. Autant qu'il y a d'hommes et de relations entre eux.

François parle de «frères» lors de la rencontre de prière et de paix dans les jardins du Vatican avec Shimon Peres et Mahmoud Abbas. «Votre présence», souligne-t-il en s'adressant aux dirigeants israélien et palestinien, «est un grand signe de fraternité, que vous accomplissez en tant que fils d'Abraham, et une expression concrète de confiance en Dieu, le Seigneur de l'Histoire, qui aujourd'hui nous regarde comme des frères et des sœurs les uns pour les autres et désire nous conduire sur son chemin». Une autre rencontre a lieu au nom de la fraternité, animée par une foi commune dans le Christ ; rencontre impensable quelques années auparavant, entre l'évêque de Rome et le patriarche de Moscou. Un événement béni par le patriarche de Constantinople, le «frère» Bartholomée Ier. À Cuba, François et Kirill signent un document commun qui, dès les premiers mots, souligne : «Avec joie, nous nous sommes trouvés comme des frères dans la foi chrétienne qui se rencontrent pour parler d'une voix forte». La fraternité est également le mot clé qui nous permet de décoder l'un des actes les plus forts et les plus surprenants du pontificat : le geste de s'agenouiller et de baiser les pieds des dirigeants du Soudan du Sud convoqués au Vatican pour une retraite spirituelle et de paix. «À vous trois qui avez signé l’Accord de paix, dit le Pape avec des mots qui lui viennent du cœur, je demande, comme frère: demeurez dans la paix. Je vous le demande avec le cœur. Allons de l’avant».

Ainsi, si la Déclaration d'Abou Dhabi a été comme la floraison des graines plantées au début, puis tout au long du pontificat, il est certain que le «changement d'époque» que nous vivons, accéléré par la pandémie, rend impératif de prendre en charge la question de la fraternité humaine. «Où est ton frère ?» Cette question, comme un appel, soulevée le matin ensoleillé du 8 juillet 2013 à Lampedusa, est aujourd'hui «la» question. Le monde, convaincu qu'il peut avancer seul, suivant la logique égoïste du «on a toujours fait comme ça», s'est au contraire retrouvé à terre, incrédule et impuissant face à un ennemi invisible et insaisissable. Et maintenant, il peine à se relever car il ne trouve pas de base robuste sur laquelle s’appuyer. Cette base, nous répète François, c'est la fraternité. Ce sont les seules fondations sur lesquelles on peut construire un foyer solide pour l'humanité.

Le coronavirus a montré de façon spectaculaire que, quelles que soient les différences de niveau de développement entre les nations et de revenu au sein des nations, nous sommes tous vulnérables. Nous sommes frères dans le même bateau, secoués par les vagues d'une tempête qui frappe chacun d’entre nous sans distinction. «À la faveur de la tempête, dit le Pape sous une pluie battante le 27 mars place Saint-Pierre, le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos ‘ego’ toujours préoccupés par notre image, est tombé, laissant à découvert, encore une fois, cette appartenance commune (bénie), à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères». C'est ce qui peut réveiller nos consciences anesthésiées face aux nombreuses «pandémies», telles que la guerre et la faim, qui ont frappé à nos portes, mais dont nous ne nous sommes pas souciés parce qu'elles n’ont pas réussi à entrer dans notre maison. «Il y a beaucoup d'autres pandémies qui font mourir les gens - a rappelé le Saint Père lors de la messe à Sainte-Marthe le 14 mai, et on ne s'en rend pas compte, on regarde de l’autre côté». Aujourd'hui, tout comme il y a sept ans à Lampedusa, François nous dit que nous ne devons pas détourner notre regard, car si nous nous sentons vraiment comme des frères, comme des membres les uns des autres, alors, «l'autre côté» n'existe pas. L'autre côté, c'est nous. 

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

07 juillet 2020, 13:30