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Le Pape François à la Curie généralice des Jésuites, le 13 décembre 2019 - à sa droite, le père Antonio Spadaro, directeur de la Civiltà Cattolica Le Pape François à la Curie généralice des Jésuites, le 13 décembre 2019 - à sa droite, le père Antonio Spadaro, directeur de la Civiltà Cattolica  

L’hommage du Pape à son père spirituel, le jésuite Miguel Angel Fiorito

Ce vendredi 13 décembre, journée marquant le 50e anniversaire de son ordination sacerdotale, le Pape François s’est rendu à la Curie généralice des Jésuites à Rome, où avait lieu la présentation des œuvres complètes de son père spirituel, le jésuite argentin Miguel Angel Fiorito (1916-2005). L’occasion pour le Souverain Pontife de rendre un hommage appuyé à ce «Maître du dialogue», qui a marqué sa formation religieuse.

Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

En ce jubilé d’or de son ordination sacerdotale, le Pape François a vécu comme un retour aux sources et un rassemblement familial, bien que ne s’éloignant que de quelques centaines de mètres de l’entrée du Vatican.

Depuis la Curie généralice des Jésuites, François s’est exprimé devant ses confrères réunis pour la présentation des cinq volumes d’écrits du père Miguel Angel Fiorito (1916-2005), publiés par la Civiltà Cattolica – et plus précisément par le jésuite José Luis Narvaja - sous le titre Escritos (“Écrits”).

La gratitude du Pape envers sa famille jésuite

«Le fait même de présenter les Écrits dans cette salle de la Curie généralice est pour moi une manière d’exprimer ma gratitude pour tout ce que la Compagnie de Jésus  m’a donné et a fait pour moi», a d’abord confié le Saint-Père, exprimant sa reconnaissance pour «Maître Fiorito» et ses autres formateurs, des «maîtres» qui ont donné «l’exemple joyeux de rester serviteurs toute leur vie». Par sa venue, François a aussi voulu «remercier et encourager tant d’hommes et de femmes qui, fidèles au charisme de l’accompagnement spirituel», savent se faire disciples et transmettre les enseignements du Seigneur.

«L’édition des Escritos du père Miguel Angel Fiorito est un motif de consolation pour nous qui avons été et qui sommes ses disciples, et qui nous nous nourrissons de ses enseignements. Il s’agit d’écrits qui feront un grand bien à toute l’Église», a estimé le Pape, reprenant les mots qu’il a choisis pour rédiger le prologue de cette œuvre complète.

Plus de quarante ans d’amitié et d’accompagnement

François s’est ensuite plongé dans l’“histoire familiale” récente de sa congrégation religieuse, évoquant plusieurs évènements marquants ou souvenirs personnels liés à «Maître Fiorito». Jorge Mario Bergoglio fait la connaissance de ce prêtre jésuite en 1961, au retour de son juniorat au Chili. Cet ingénieur de formation «était professeur de métaphysique au Collegio Massimo de san Giuseppe, notre maison de formation à San Miguel, dans la province de Buenos Aires», a expliqué le Pape. «À partir de ce moment-là, je commençai à me confier à lui, et il devint mon directeur spirituel».

La dernière rencontre entre les deux jésuites eut lieu en 2005, peu avant la mort du père Fiorito, survenue le 9 août de la même année. «Je me souviens que c’était un dimanche matin et que son anniversaire était passé depuis peu. Il était en convalescence à l’hopital Aleman. Depuis quelques années déjà il ne parlait plus. Il regardait seulement. Intensément. Et il pleurait. Avec les larmes tranquilles qui communiquaient l’intensité avec laquelle il vivait chaque rencontre. Fiorito avait le don des larmes, qui est une expression de consolation spirituelle», a expliqué le Pape.

Au cours de son pontificat, François a une seule fois parlé de son père spirituel. C’était en 2017, lors de sa rencontre avec les jésuites du Myanmar et du Bangladesh. «L’un d’entre eux, un formateur, m’avait demandé quel modèle j’avais à proposer à un jeune jésuite». Le Saint-Père avait alors cité le père Fiorito, expliquant que celui-ci «aimait la spiritualité. Et il enseignait, à nous étudiants, la spiritualité de saint Ignace. C’est lui qui nous a enseigné la voie du discernement».

Après ces souvenirs, le Pape François s’est plus longuement arrêté sur la figure de «Maître Fiorito», évoquant plusieurs traits marquants de sa personnalité.

Un «maître du dialogue», dispensateur de «miséricorde spirituelle»

Le père Miguel Angel Fiorito, qui a formé des générations de jésuites latino-américains, était une référence en matière de discernement ignacien. Il est souvent présenté comme un «maître du dialogue». Un «paradoxe» aux yeux du Pape, car «il parlait peu, mais il avait une grande capacité d’écoute, une écoute capable de discernement, qui est l’une des colonnes du dialogue». Cet homme d’une grande profondeur intellectuelle et spirituelle était «toujours à l’affût des signes des temps, attentif à ce que l’Esprit dit à l’Église pour le bien des hommes, à travers la voix d’une grande variété d’auteurs, actuels et classiques».

Le Saint-Père a aussi insisté sur la dimension de «maître», en précisant la signification de ce titre. «Le vrai maître dans un sens évangélique est content que ses disciples deviennent eux aussi des maîtres, et il garde lui-même toujours sa condition de disciple». Les maîtres «transforment ceux qui les écoutent en disciples de Jésus, en disciples missionnaires, libres, pas prosélytes, passionnés de recevoir, pratiquer, et sortir annoncer les enseignements de l’unique Maître, comme il nous l’a commandé: aux hommes et aux femmes de tous les peuples»

François a également relevé que les écrits de son père spirituel «distillent de la miséricorde spirituelle». Le discernement est en effet la «grande œuvre de miséricorde spirituelle», a expliqué le Pape, car il «guérit de la maladie la plus triste et digne de compassion: l’aveuglement spirituel, qui nous empêche de reconnaître le temps de Dieu, le temps de sa visite».

Saine distance et frein à l’idéologie

Une autre caractéristique du père Fiorito était sa manière discrète et délicate d’accompagner ses fils spirituels. Il «restait à l’extérieur», d’après le Saint-Père, autrement dit il maintenait un certain recul, une distance respectueuse, il «te donnait la liberté, sans exhorter et sans émettre de jugements». «Il te respectait. Il croyait en la liberté», a insisté François. Il laissait aussi place «à l’écoute, afin que l’on puisse dire tout ce que l’on portait en soi, sans interruption, sans questions… Il te laissait parler». Il adoptait aussi cette attitude dans les situations conflictuelles, sachant ne pas devenir «partie du problème, en prenant position ou en mêlant ses propres sentiments et en perdant son objectivité». Ainsi, «de manière pratique», le père Fiorito «a été le grand “désidéologisateur” de la Province à une époque très idéologisée», a estimé le Pape. «Il a désidéologisé en réveillant la passion de bien dialoguer, avec soi-même, avec les autres et avec le Seigneur. Et de ne pas dialoguer avec la tentation, de ne pas dialoguer avec l’esprit mauvais, avec le Malin».  

Pharmacien des âmes

Le Pape a ensuite développé d’autres aspects de l’accompagnement spirituel mené par le prêtre jésuite, soulignant notamment qu’il «n’exhortait» pas et suggérait toujours des conseils issus des Exercices spirituels de saint Ignace et des Constitutions de la Compagnie de Jésus, soigneusement rédigés sur des fiches classées dans une vaste bibliothèque. Aussi, aux yeux de François, son père spirituel «ressemblait à un sage pharmacien de l’âme». «C’était comme si ce conseil dont tu avais besoin, ou le remède pour une quelconque maladie de l’âme, était déjà prévu depuis toujours…». Le prêtre avait donc «le charisme du discernement et de la prophétie, dans le sens de bien communiquer les grâces du Seigneur que l’on expérimente dans sa propre vie».

Une grande patience

Trois autres qualités caractérisaient également le père Miguel Angel Fiorito, comme l’a précisé le Souverain Pontife dans son discours: «il n’était pas jaloux», «il n’émettait pas de jugement», et «il avait beaucoup de patience», à l’image de son fondateur, saint Ignace de Loyola. Il «était un Maître pour ne pas accélérer les temps, pour attendre que l’autre se rende compte lui-même des choses. Il respectait les processus», a rappelé le Pape. «Cette grande patience est la vertu fondamentale du véritable maître, qui compte sur l’action de l’Esprit Saint dans le temps, et non sur la sienne». François a par ailleurs relevé qu’il «était un homme en armes contre un seul ennemi: l’esprit mauvais, Satan […]. Entre l’étendard du Christ et celui de Satan, il a fait son choix personnel pour notre Seigneur». Envers les autres, le prêtre jésuite fut un «père aimable, un maître patient et – quand cela est arrivé -, un adversaire ferme, mais toujours respectueux et loyal. Jamais un ennemi».

Un enracinement fécond

Après avoir dressé ce portrait dense et édifiant de son père spirituel, le Pape a conclu en se référant au psaume de la messe du jour, le premier du psautier, y trouvant une analogie avec le père Fiorito: «Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau, qui donne du fruit en son temps» (Ps 1,3). «Comme cet arbre de l’Écriture», en remplissant sa mission au Collegio Massimo de San Miguel, le jésuite s’est enraciné «et a donné du fruit, comme l’exprime bien son nom [qui signifie “fleuri” en italien, ndlr], dans nos cœurs à nous, disciples de l’École des Exercices», a souligné le Souverain Pontife argentin. Et François de formuler un vœu: que ces Escritos désormais publiés donnent «des fleurs et des fruits dans la vie de tant de personnes qui se nourrissent de la même grâce qu’il a reçue et a su communiquer discrètement, en donnant et en commentant les Exercices spirituels»

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13 décembre 2019, 19:28