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Le Pape François à bord de l'avion qui le ramène à Rome - 26 novembre 2019 Le Pape François à bord de l'avion qui le ramène à Rome - 26 novembre 2019  

Nucléaire, géopolitique, finances du Vatican: le Pape répond aux journalistes

Sur le vol le ramenant du Japon au terme de son 32e voyage apostolique, le Pape François s'est exprimé sur la situation de plusieurs pays du globe, notamment Hong Kong ou la Bolivie. Il a aussi à nouveau condamné l'usage et la détention d'armes nucléaires, demandant que leur caractère immoral soit inscrit dans le Catéchisme de l'Église catholique. Au sujet de l'enquête financière en cours au Vatican, le Saint-Père s'est dit «heureux parce que c'est la première fois au Vatican que le couvercle a été soulevé de l'intérieur, et pas de l'extérieur».

Sur le vol Tokyo – Rome

«L'usage des armes nucléaires est immoral, c'est pourquoi cela doit être inscrit dans le Catéchisme de l'Église catholique, et pas uniquement l'usage, mais aussi la possession, parce qu'un accident, ou la folie d'un dirigeant, la folie d'un seul peut détruire l'humanité». Sur le vol qui le reconduisait à Rome, le Pape François a répondu à de nombreuses questions des journalistes, réitérant la ferme condamnation prononcée à Hiroshima pour faire comprendre sa valeur magistérielle.

«Je vous remercie pour votre travail, a d'abord dit le Pape aux journalistes, pour un voyage intense avec un changement de catégorie: la Thaïlande était une chose et le Japon une autre. On ne peut pas évaluer les choses avec les mêmes catégories, les réalités doivent être évaluées avec ce qui vient de la même catégorie. Le Japon et la Thaïlande sont deux réalités complètement différentes. C'est pourquoi nous avons besoin d'un double travail, et merci à vous pour cela, y compris pour les journées très chargées, je me suis senti proche de vous dans ce travail».

Père Makoto Yamamoto, Catholic Shimbum

Nous vous remercions de tout cœur d'être venu au Japon de si loin. Je suis prêtre diocésain près de Nagasaki. Vous avez vu Nagasaki et Hiroshima, comment vous êtes-vous senti ? La société et l'Église occidentale ont elles quelque chose à apprendre de la société et de l'Église orientale ?

«Je commence par la dernière. Un dicton m'a beaucoup éclairé : “lux ex Oriente, ex Occidente luxus”. La lumière vient de l'Orient, le luxe, la consommation viennent de l'Occident. Il y a précisément cette sagesse orientale, qui n'est pas seulement une sagesse de connaissance, mais des temps, de contemplation. Apprendre la contemplation aide tellement notre société occidentale - toujours trop pressée -, apprendre à s'arrêter et aussi à regarder les choses avec poésie. C'est une opinion personnelle, mais je pense qu'en Occident il manque un peu de poésie supplémentaire. Il y a bien des choses poétiques très belles, mais l'Orient va plus loin. L'Orient est capable de regarder les choses avec des yeux qui voient au-delà, je ne voudrais pas utiliser le mot "transcendant" parce que certaines religions orientales ne parlent pas de transcendance mais d'une vision au-delà de la limite de l'immanence, mais sans dire transcendance. Pour cela, j'utilise des expressions comme la poésie, la gratuité, la recherche de sa propre perfection dans le jeûne, dans la pénitence, dans la lecture de la sagesse des sages orientaux. Je crois que cela nous ferait du bien, à nous Occidentaux, de nous arrêter un moment et de donner du temps à la sagesse.

Nagasaki et Hiroshima ont toutes deux souffert de la bombe atomique, ce qui les fait se ressembler. Mais il y a une différence. Nagasaki n'a pas eu seulement la bombe, mais aussi les chrétiens. Nagasaki a des racines chrétiennes, le christianisme est ancien, il y a eu des persécutions de chrétiens dans tout le Japon mais à Nagasaki, celles-ci étaient très fortes. Le secrétaire de Nonciature m'a donné un fac-similé en bois où est écrit le "wanted" de l'époque : les chrétiens étaient recherchés ! Si tu en trouves un, dénonce-le et tu toucheras beaucoup, si tu trouves un prêtre, dénonce-le et tu toucheras beaucoup. C’est frappant, il s'est agi de siècles de persécution, c'est un phénomène chrétien qui en quelque sorte "relativise", dans le bon sens du terme, la bombe atomique. En revanche, aller à Hiroshima, c'est uniquement pour rappeler la bombe atomique, parce que ce n'est pas une ville chrétienne comme Nagasaki. C'est pourquoi je voulais aller aux deux. Dans les deux cas, il y a eu le désastre atomique.

Hiroshima a été une véritable catéchèse humaine sur la cruauté, je n'ai pas pu voir le musée d'Hiroshima pour des raisons de temps, parce que c'était une mauvaise journée (horaires très serrés ndlr) mais on dit que c'est terrible: des lettres de chefs d'État, de généraux expliquant comment on pouvait faire un plus grand désastre. Pour moi, ce fut une expérience beaucoup plus touchante. Et là j'ai rappelé que l'usage des armes nucléaires est immoral, c'est pourquoi cela doit aller dans le Catéchisme de l'Église catholique, et non seulement l'usage, mais aussi la possession, parce qu'un accident, ou la folie d'un dirigeant, la folie d'un seul peut détruire l'humanité. Pensons à cette phrase d'Einstein: “La Quatrième Guerre mondiale sera menée avec des bâtons et des pierres”».

Shinichi Kawarada, The Asahi Shimbum

Comme vous l'avez souligné à juste titre, une paix durable ne peut pas être instaurée sans désarmement. Le Japon est un pays qui bénéficie de la protection nucléaire des États-Unis et qui est également producteur d'énergie nucléaire, ce qui comporte un grand risque, comme ce fut le cas à Fukushima. Comment le Japon peut-il contribuer à la paix mondiale ? Faut-il fermer les centrales nucléaires ?

«Je reviens sur la possession de l'industrie nucléaire. Un accident peut toujours arriver, la triple catastrophe (le tremblement de terre, le tsunami et la catastrophe nucléaire de la centrale de Fukushima en 2011, ndlr), vous l'avez vécue. Le nucléaire est la limite. Les armes, laissons-les, parce que c'est la destruction. L'utilisation de l'énergie nucléaire est très “limite” car nous n'avons pas encore atteint la sécurité totale. Vous pourriez me dire que même avec l'électricité, vous pouvez faire un désastre à cause d'une insécurité, mais ce serait un petit désastre. Un désastre dans une centrale nucléaire sera un grand désastre. Et la sécurité n'a pas encore été établie. C'est une opinion personnelle, je n'utiliserais pas l'énergie nucléaire tant qu'il n'y aura pas de sécurité totale dans son utilisation. Certains disent que c'est un risque pour la sauvegarde de la création et que l'énergie nucléaire doit cesser. Moi, je m'arrête sur la sécurité. Il n'y a pas la sécurité garantissant qu'aucune catastrophe ne se produise. Oui, une tous les dix ans dans le monde. Ensuite, il y a la création, le désastre de la puissance nucléaire sur la création, sur la personne. Il y a eu la catastrophe en Ukraine (Tchernobyl, en 1986, ndlr). Nous devons faire de la recherche sur la sécurité, tant pour éviter les catastrophes que pour en évaluer les conséquences sur l'environnement. En ce qui concerne l'environnement, je pense que nous avons dépassé les limites, en agriculture avec des pesticides, en matière d'élevage de poulets avec les médecins qui disent aux mères de ne pas nourrir leurs enfants avec des poulets d'élevage parce qu'ils sont élevés avec des hormones et qu'ils sont mauvais pour leur santé. Beaucoup de maladies rares qui existent aujourd'hui à cause du mauvais usage de l'environnement. La protection de l'environnement est quelque chose qui arrive soit aujourd'hui, soit jamais. Mais revenons à l'énergie nucléaire : construction, sécurité et sauvegarde de la création».

Elisabetta Zunica, Kyoto News

Akamada Iwao est un Japonais condamné à mort, en attente d'une révision de son procès. Il était présent à la messe au Tokyo Dôme, mais n'a pas eu l'occasion de s’entretenir avec vous. Une brève rencontre avec vous était-elle prévue ?  La question de la peine de mort fait l'objet de nombreuses discussions au Japon. Peu avant la réforme du Catéchisme sur cette question, treize condamnés à mort ont été exécutés. Il n'y a pas eu de référence à cela dans vos discours. Avez-vous eu la possibilité d'en discuter avec le Premier ministre Shinto Abe ?

«Pour ce cas de peine de mort, je l'ai su plus tard, je ne savais rien de cette personne. Avec le Premier ministre, j'ai parlé de tant de problèmes, de procès, de condamnations éternelles qui n'en finissent pas, que ce soit à mort ou pas. Mais j'ai parlé des problèmes généraux, qui existent aussi dans d'autres pays : des prisons surpeuplées, des personnes qui attendent en détention préventive sans présomption d'innocence. Il y a quinze jours, j'ai prononcé un discours à la Conférence internationale sur le droit pénal et j'ai parlé sérieusement de ce sujet. La peine de mort ne peut être appliquée, elle n'est pas morale. Ceci doit être reliée à une conscience qui se développe. Par exemple, certains pays ne peuvent pas l'abolir en raison de problèmes politiques, mais ils la suspendent, ce qui est une façon de condamner à la prison à vie sans le déclarer. Mais la condamnation doit toujours être en vue d’une réintégration, une condamnation sans fenêtre d'horizon n'est pas humaine. Même pour la réclusion à perpétuité, il faut penser à la façon dont le condamné à perpétuité peut être réinséré, à l'intérieur ou à l'extérieur. Vous me direz : mais certains sont condamnés en raison d'un problème de folie, de maladie, d'incorrigibilité génétique... Alors il faut chercher la manière de leur permettre de faire des activités qui les font se sentir des personnes. Dans de nombreuses régions du monde, les prisons sont surpeuplées, ce sont des dépôts de chair humaine qui, au lieu de grandir sainement se corrompt souvent. Nous devons combattre la condamnation à mourir lentement. Il y a des cas qui me réjouissent parce qu'il y a des pays qui disent : nous, on arrête. Un gouverneur d'un État, l'année dernière, avant de quitter ses fonctions, a ordonné cette suspension presque définitive : ce sont des pas de la conscience humaine. Mais certains pays n'ont pas encore réussi à s'intégrer dans cette ligne d'humanité».

Jean-Marie Guénois, Le Figaro

Vous avez dit que la paix véritable ne peut être que désarmée, mais qu'en est-il de la légitime défense, quand un pays est attaqué par un autre ? Existe-t-il encore la possibilité d'une guerre juste ? Une encyclique sur la non-violence est-elle encore prévue ?

«Un projet, le prochain Pape le fera... Il y a des projets qui sont dans les tiroirs. L'un sur la paix est là. Il est en train de mûrir. Je sens que lorsque ce sera le moment, je le ferai. Par exemple, le problème du harcèlement est un problème de violence, j'en ai même parlé aux jeunes Japonais. C'est un problème que nous essayons de résoudre avec de nombreux programmes éducatifs. C'est un problème de violence. Une encyclique sur la non-violence n'est pas encore mûre pour moi, je dois beaucoup prier et je dois chercher un chemin.

Il y a ce dicton romain : “Si vis pacem para bellum” ( Si tu veux la paix, prépare la guerre). Là, nous n'avons pas été mûrs, les organisations internationales ne réussissent pas, les Nations Unies ne réussissent pas, elles font tant de médiations méritoires, des pays comme la Norvège sont toujours prêts à faire de la médiation, ça me plaît mais c'est peu, il faut faire plus encore. Pensez au Conseil de sécurité de l'ONU, s'il y a un problème d'armes et que tout le monde est d'accord pour régler le problème pour éviter un accident de guerre, tout le monde vote ‘oui’. Si un seul, avec droit de veto, vote ‘non’, tout s'arrête. Je ne sais pas juger si c'est bon ou pas, c'est une opinion que j'ai entendue, mais peut-être que les Nations Unies devraient faire un pas en avant en renonçant au droit de veto de certaines nations au Conseil de sécurité. J'ai entendu cela comme une possibilité. Il y a des arguments dans l'équilibre mondial que je ne suis pas capable de juger pour le moment. Mais tout ce qui peut être fait pour arrêter la production d'armes, pour arrêter les guerres, pour encourager la négociation, avec l'aide de facilitateurs, cela doit toujours être fait et cela donne des résultats. Par exemple, dans le dossier Ukraine - Russie, on ne parle pas d'armes. Il s'est agi de négociations pour l'échange de prisonniers, c'est positif. Dans le Donbass, les gens pensent à planifier un régime gouvernemental différent, et ils en discutent. Il s'agit d'un pas positif.

L'hypocrisie en faveur des armements est une mauvaise chose. Des pays chrétiens, des pays européens, qui parlent de paix et vivent (du commerce, ndlr) des armes, c'est de l'hypocrisie. Une parole évangélique, que disait Jésus dans le chapitre 23 de Matthieu : nous devons en finir avec cette hypocrisie. Il faut du courage pour dire : “Je ne peux pas parler de paix, parce que mon économie gagne beaucoup avec les armes”. Ce sont toutes des mauvaises choses, sans insulter et salir ce pays : Il faut se parler en frères, pour la fraternité humaine : arrêtons les enfants parce que cette chose est mauvaise. Dans un port, un navire est arrivé d'un pays, et il devait remettre des armes à un autre navire pour se rendre au Yémen, et les travailleurs du port ont dit “non”. Ils ont été courageux et le navire est rentré chez lui. C'est un cas, mais cela nous apprend comment aller dans cette direction. La paix aujourd'hui est très faible, mais nous ne devons pas nous décourager. L'hypothèse de la légitime défense demeure toujours, même dans la théologie morale, elle doit être envisagée, mais en dernier recours. Dernier recours avec des armes. La défense légitime doit se faire par la diplomatie, par la médiation. Dernier recours : la défense légitime avec des armes. Mais j'insiste : dernier recours ! Nous, nous sommes en train d'aller de l'avant dans un progrès éthique que j'aime, en remettant en question toutes ces choses. C'est beau parce que cela nous dit que l'humanité va de l'avant aussi avec le bien, et pas seulement avec le mal».

Cristiana Caricato, TV 2000

Les gens lisent dans les journaux que le Saint-Siège a acheté pour des centaines de millions une propriété au cœur de Londres et sont un peu déconcertés par cette utilisation de l’argent du Vatican, surtout lorsque le Denier de Saint-Pierre est également impliqué. Étiez-vous au courant de ces opérations financières et surtout, selon vous, est-ce que l'usage fait du Denier est correct ? Vous avez souvent dit qu'il ne fallait pas faire de l'argent avec de l'argent, vous avez dénoncé cette utilisation peu scrupuleuse de la finance, mais nous voyons que ces opérations impliquent aussi le Saint-Siège, et cela scandalise. Comment voyez-vous toute cette affaire ?

«Merci. Tout d'abord, la bonne administration normale : l’argent du Denier de Saint-Pierre arrive, et qu'est-ce que je dois faire, je le mets dans un tiroir ? Non, c'est une mauvaise administration ça ! J'essaie de faire un investissement et quand j'ai besoin de donner, quand il y a des besoins, dans une année, on récupère (l'argent, ndlr) et ce capital ne se dévalue pas, il se maintient ou augmente un peu. C'est une bonne administration. L'administration du tiroir est mauvaise. Mais il faut chercher une bonne administration, un bon investissement : c'est clair ? Même un investissement comme on dit chez nous “de veuve”, comme le font les veuves : deux œufs ici, trois ici, cinq là. Si l'un d'eux tombe, il y a autre chose et on n'est pas ruiné. Et toujours du côté de la sécurité et toujours du côté moral : si tu fais un investissement du Denier de Saint-Pierre dans une usine d'armement, ce qui est le Denier ici n'est pas le Denier là-bas. Si tu fais un investissement sans toucher le capital pendant des années, ça ne va pas. Le Denier de Saint-Pierre doit être dépensé en un an, un an et demi, jusqu'à ce que l'autre collecte faite au niveau mondial arrive. Et ça c'est une bonne administration : du côté sûr... et même, oui, vous pouvez acheter une propriété, la louer puis la vendre, mais dans du sûr, avec toutes les garanties pour le bien des donateurs du Denier. Il s'est passé ce qu'il s'est passé, un scandale : ils ont fait des choses qui ne semblent pas propres. Mais la plainte n'est pas venue de l'extérieur. Cette réforme de la méthodologie économique que Benoît XVI avait déjà entamée a été mise en œuvre et c'est le Réviseur Général interne qui a dit : ici il y a une mauvaise chose, ici il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Il est venu me voir et j'ai dit : vous êtes sûr ? Oui, m'a-t-il répondu, il m'a fait voir et m'a demandé : que dois-je faire ? Et moi : il y a la justice vaticane, allez-y et déposez plainte auprès du Promoteur de Justice. Et en cela j'étais content parce qu'on voit que l'administration vaticane dispose maintenant des ressources pour clarifier les mauvaises choses qui se passent à l'intérieur, comme ce cas, qui n'est pas celui de l'immeuble à Londres - parce que ce dossier-là n'est pas encore clair - mais là il y avait des cas de corruption. Le promoteur de justice a étudié la question, tenu des consultations et constaté qu'il y avait un déséquilibre dans le budget. Puis il m'a demandé la permission de mener les perquisitions : il y a présomption de corruption et il m'a dit qu'il devait les faire dans ce bureau, dans cet autre puis cet autre bureau. J'ai signé l'autorisation. La perquisition a été effectuée dans cinq bureaux et aujourd'hui - bien qu'il y ait la présomption d'innocence - il y a des capitaux qui ne sont pas bien administrés, aussi avec de la corruption. Je crois que dans moins d'un mois, les interrogatoires des cinq personnes qui ont été suspendues parce qu'il y avait des signes de corruption vont commencer. Pouvez-vous me dire si ces cinq-là sont corrompus ? Non, la présomption d'innocence est une garantie, un droit humain. Mais il y a corruption, voyez-vous. Avec les perquisitions, on verra s'ils sont coupables ou non. C'est une mauvaise chose, ce n'est pas beau que ça arrive au Vatican. Mais cela a été clarifié par les mécanismes internes qui commencent à fonctionner et que le Pape Benoît XVI avait commencé mettre en place. Je remercie Dieu pour cela. Je ne remercie pas Dieu parce qu'il y a de la corruption, mais je Le remercie parce que le système de contrôle du Vatican fonctionne bien».

Philip Pullella, Reuters

Depuis quelques semaines, on s'inquiète de ce qui se passe au sein des finances du Vatican et, selon certains, il y a une guerre interne pour savoir qui devrait contrôler les finances. La plupart des membres du Conseil d'Administration de l'AIF ont démissionné. Egmont, qui regroupe ces autorités financières, a suspendu le Vatican des communications sécurisées après le raid du 1er octobre [les perquisitions liées à l'enquête, ndlr]. Le directeur de l'AIF est toujours suspendu, comme vous l'avez dit, et il n'y a toujours pas de Réviseur Général. Que pouvez-vous faire ou dire pour garantir à la communauté financière internationale et aux fidèles appelés à contribuer au Denier de Saint-Pierre que le Vatican ne sera pas une fois de plus considéré comme un paria à exclure, dont on ne peut se fier, que les réformes se poursuivront et qu'on n'en reviendra pas aux habitudes du passé?

Le Vatican a fait des progrès dans son administration: par exemple, l'IOR est maintenant acceptée par toutes les banques et peut agir comme les banques italiennes, ce qui n'était pas encore le cas il y a un an. Des progrès ont été réalisés. Ensuite, en ce qui concerne le groupe Egmont : c'est un groupe international non officiel, duquel l'AIF est membre, et le contrôle international ne dépend pas du groupe Egmont, qui est un groupe privé même s'il a son importance. Monyeval fera l'inspection prévue au cours des premiers mois de l'année prochaine, il le fera. Le directeur de l'AIF est suspendu parce qu'il y avait des soupçons de mauvaise administration. Le président de l'AIF a dû insister auprès du groupe Egmont pour récupérer la documentation [saisie, ndlr] et cela, la justice ne peut pas le faire. Face à cela, j’ai consulté un magistrat italien, de haut-niveau : que dois-je faire ? La justice est souveraine face à une accusation de corruption dans son pays, personne ne peut s'en mêler, personne ne peut remettre la documentation au groupe Egmont, il faut étudier les documents qui mettent en évidence ce qui apparaît comme une mauvaise administration au sens d'un mauvais contrôle: c'est l'AIF qui, semble-t-il, n'a pas contrôlé les délits des autres. Son devoir était de contrôler. J'espère qu'il sera prouvé que ce n'est pas le cas, il y a pour l'instant la présomption d'innocence. Mais maintenant, le magistrat est souverain et doit étudier comment les choses se sont passées. Dans le cas contraire un pays aurait une administration supérieure qui porterait atteinte à sa souveraineté. Le mandat du président de l'AIF arrivait à échéance le 19 novembre. Je l'ai appelé quelques jours plus tôt et il ne s'en est pas rendu compte. Il me l'a dit plus tard. Et j'ai annoncé qu'il partait le 19. J'ai déjà trouvé son successeur, un magistrat de très haut niveau juridique et économique, national et international. À mon retour, il prendra la présidence de l'AIF. Il aurait été contradictoire que l'autorité de contrôle soit souveraine sur l'État. Ce n'est pas une chose facile à comprendre. Ce qui a créé un peu de confusion, c'est le groupe Egmont, qui est un groupe privé: il aide beaucoup mais ce n'est pas l'autorité de contrôle comme Moneyval. Moneyval étudiera les chiffres, il étudiera les procédures, il étudiera comment le promoteur de justice a agi et comment le juge et les juges ont tranché l'affaire. Je sais que, ces jours-ci, l'interrogatoire de certains des cinq qui ont été suspendus va commencer. Ce n'est pas facile, mais nous ne devons pas être naïfs, nous ne devons pas être esclaves. Quelqu'un m'a dit, mais je n'y crois pas: avec cette histoire nous avons touché le groupe Egmont, les gens ont peur et il y a eu un peu de terrorisme [psychologique, ndlr]. Laissons cela de côté. Nous allons de l'avant avec la loi, avec Moneyval, avec le nouveau président de l'AIF. Et le directeur est suspendu : peut-être qu'il est innocent. J'aimerais bien parce que c'est une bonne chose qu'une personne soit innocente et non coupable, je l'espère. Mais il y a eu un peu de bruit autour de ce groupe qui ne voulait pas que l'on accède aux documents qui appartenaient au groupe.

C'est la première fois au Vatican que le couvercle est soulevé de l'intérieur et non de l'extérieur. De l'extérieur [cela s'est fait] plusieurs fois. On nous l'a dit à de nombreuses reprises et nous avons eu tellement honte... Mais le Pape Benoît XVI était sage, il a lancé un processus qui a mûri, mûri et maintenant il existe des institutions. Le Réviseur a eu le courage de déposer une plainte écrite contre cinq personnes. Ça fonctionne.... Je ne veux vraiment pas offenser le groupe Egmont parce qu'il fait beaucoup de bien, il aide, mais dans ce cas la souveraineté de l'État, c'est la justice, qui est plus souveraine que le pouvoir exécutif. Ce n'est pas facile à comprendre, mais je vous demande de le comprendre.

Roland Juchem, CIC

Saint-Père, sur le vol de Bangkok à Tokyo, vous avez envoyé un télégramme à Carrie Lam de Hong Kong. Que pensez-vous de la situation là-bas, avec les manifestations et les élections municipales ? Et quand pourrons nous vous accompagner à Pékin ?

Les télégrammes sont envoyés à tous les chefs d'État, c'est un salut automatique et c'est aussi une manière polie de demander l'autorisation de survoler leur territoire. Cela ne signifie pas une condamnation ou un soutien. C'est une chose mécanique que font tous les avions. Lorsqu'ils entrent, techniquement, ils avertissent qu'ils entrent, et nous le faisons avec politesse. Cela n'a aucune valeur dans le sens de votre question. Cela n'a qu'une valeur de politesse. Pour l'autre chose que vous me dites : quand on y pense, il n'y a pas seulement Hong Kong. Pensez au Chili, pensez à la France, la France démocratique: une année de gilets jaunes. Pensez au Nicaragua, à d'autres pays d'Amérique latine qui ont des problèmes du même genre et aussi à certains pays européens. C'est une chose générale. Que fait le Saint-Siège avec ça? Il appelle au dialogue, à la paix, mais il n'y a pas que Hong Kong, il y a différentes situations à problèmes que je ne suis pas capable d'évaluer pour l'instant. Je respecte la paix et je demande la paix pour tous ces pays qui ont des problèmes, même l'Espagne. Il convient de relativiser et d’appeler au dialogue, à la paix, pour que les problèmes puissent être résolus. Et enfin: j'aimerais aller à Pékin, j'aime la Chine.

Valentina Alazraki, Televisa

Pape François, l'Amérique latine est en feu. Nous avons vu, après le Venezuela et le Chili, des images que nous ne pensions plus voir après Pinochet. Nous avons vu la situation en Bolivie, au Nicaragua ou dans d'autres pays : des émeutes, la violence dans les rues, des morts, des blessés, des églises même brûlées, violées. Quelle est votre analyse sur ce qui se passe dans ces pays? L'Église, et vous personnellement, en qualité de Pape latino-américain, faites-vous quelque chose?

Quelqu'un m'a dit ceci: une analyse doit être faite. La situation aujourd'hui en Amérique latine ressemble à celle de 1974-1980, au Chili, en Argentine, en Uruguay, au Brésil, au Paraguay avec Strössner, et je crois en Bolivie aussi... Il y a eu l'opération Condor à cette époque... Une situation en flammes, mais je ne sais pas si c'est un problème qui ressemble à un autre. Vraiment je suis incapable de faire une analyse pour le moment. Il est vrai qu'il y a des déclarations qui ne sont pas des propos de paix. Ce qui se passe au Chili me fait peur, parce que le Chili sort d'un problème d'abus qui a causé tant de souffrances, et maintenant un problème de ce genre que nous ne comprenons pas bien. Mais elle est en flammes, comme vous le dites, et nous devons rechercher le dialogue et l'analyse. Je n'ai toujours pas trouvé d'analyse bien documentée sur la situation en Amérique latine. Il y a aussi des gouvernements faibles, très faibles, qui n'ont pas réussi à instaurer l'ordre et la paix, et c'est pourquoi nous en arrivons à cette situation.

Valentina Alazraki, Televisa

Evo Morales a demandé votre médiation par exemple. Des choses concrètes....

Oui, des choses concrètes. Le Venezuela a demandé la médiation et le Saint-Siège a toujours été disposé à le faire. Il y a une bonne relation, vraiment une bonne relation, nous sommes là pour aider lorsque c'est nécessaire. La Bolivie a fait quelque chose comme cela. Elle a déposé une demande aux Nations Unies qui ont envoyé des délégués, dont quelques-uns de pays européens. Je ne sais pas si le Chili a fait une demande de médiation internationale. Le Brésil, assurément, non, mais là aussi il y a des problèmes. C'est un peu étrange, mais je ne veux pas dire un mot de plus parce que je ne suis pas compétent. Je n'ai pas bien étudié et sincèrement, je ne comprends pas très bien.

Je profite de votre question pour ajouter que vous avez peu parlé de la Thaïlande, qui est une chose différente du Japon, une culture de la transcendance, une culture de la beauté aussi, et différente de la beauté du Japon: une culture, beaucoup de pauvreté et beaucoup de richesse spirituelle. Mais il y a également un problème qui fait mal au cœur et qui nous fait penser à Grecia et les autres [livre de Valentina Alazraki et Luigi Ginami, ndlr]. Vous êtes une experte de ces problèmes d'exploitation, vous les avez bien étudiés, et votre livre a fait beaucoup de bien. Et la Thaïlande, certains endroits en Thaïlande sont difficiles pour ça. Mais il y a le sud de la Thaïlande, et il y a également le Nord magnifique de la Thaïlande, où je n'ai pas pu aller, qui est tribal avec une toute autre culture. J'ai reçu une vingtaine de personnes de cette région, les premiers chrétiens, les premiers baptisés, qui sont venus à Rome, avec une autre culture différente, ces cultures tribales. Et Bangkok, nous l'avons vu, c'est une ville forte, très moderne, mais qui a des problèmes différents de ceux du Japon et des richesses différentes de celles du Japon. Sur le problème de l'exploitation, j'ai voulu le souligner afin de vous remercier pour votre livre, comme je voudrais aussi remercier le livre "vert" de Franca Giansoldati: deux femmes qui montent dans l'avion et qui ont écrit chacune un livre qui aborde les problèmes actuels, le problème écologique et le problème de la destruction de la terre mère, de l'environnement, et le problème d'exploitation humaine que vous avez abordé. Nous voyons que les femmes travaillent plus que les hommes et qu'elles en ont les capacités. Merci à vous deux pour cette contribution. Et je n'oublie toujours pas la chemise de Rocio [en référence à la chemise d'une Mexicaine assassinée que Valentina Alzraki avait donnée au Pape lors d'une interview vidéo réalisée ces derniers mois, ndlr]. Et merci de poser des questions directes, ça fait du bien. Priez pour moi. Bon appétit.

(Transcription non officielle, texte recueilli par Alessandro Guarasci et Andrea Tornielli)

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26 novembre 2019, 19:30