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Le Pape François faisant l'accolade aux chefs des Églises d'Arménie lors de l'inauguration d'une statut de saint Grégoire de Narek dans les Jardins du Vatican, le 5 avril 2018. Le Pape François faisant l'accolade aux chefs des Églises d'Arménie lors de l'inauguration d'une statut de saint Grégoire de Narek dans les Jardins du Vatican, le 5 avril 2018. 

Les Papes face au génocide arménien, un engagement pour la vérité

En ce 24 avril qui marque le 104e anniversaire du début du génocide des Arméniens, retour sur l’attitude des Papes vis-à-vis de ce drame dont les derniers témoins directs sont en train de disparaître.

Cyprien Viet – Cité du Vatican

Bien que les catholiques ne constituent qu’une petite minorité parmi les chrétiens d’Arménie, les Papes de l’époque contemporaine ont toujours manifesté une grande attention pour ce pays qui fut le premier royaume chrétien de l’histoire, avant même l’Empire romain.

Malgré le contexte de la Première guerre mondiale qui avait plongé l’Europe occidentale dans le chaos, dès que l’information des exactions ottomanes lui était parvenue, le Pape Benoît XV avait fait accueillir des réfugiés arméniens à Castel Gandolfo, et avait écrit à trois reprises au sultan pour lui demander de faire arrêter les tueries. Une démarche diplomatique dont l’échec s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, la marginalisation du Saint-Siège sur la scène internationale au début du XXe siècle. Le Siège pontifical, qui ne redeviendra un État souverain qu’en 1929 après les Accords du Latran, ne sera pas invité lors de la Conférence de Versailles qui redistribue les cartes en Europe.

L’autre facteur explicatif de l’échec de Benoît XV est l’effondrement interne de l’Empire ottoman lui-même. Au fil des siècles, le modèle impérial, par un mélange de coercition et de pragmatisme politique, avait agrégé différentes nationalités et différents statuts, mais il cédait la place à une idéologie nationaliste basée sur une identité turque vouée à marginaliser, voire à éliminer toutes les autres.

La parenthèse soviétique

Entre 1918 et 1920, une éphémère République d’Arménie se structure sur un petit territoire situé à l’est du mont Ararat, mais sera rapidement absorbée par la Russie soviétique. Durant cette longue parenthèse qui s’étendra jusqu’en 1991, l’identité arménienne et la question du génocide perdront en visibilité sur la scène internationale, tant sur le plan politique que sur le plan religieux. Le Vatican comptera toutefois une importante figure arménienne en la personne du cardinal Grégoire-Pierre XV Agagianian (1895-1971), dont le parcours est très atypique: né dans l’Empire russe, ordonné prêtre à Rome en 1917, nommé nonce apostolique au Liban en 1935, il deviendra ensuite de 1937 à 1962 catholicos-patriarche de Cilicie (c’est-à-dire, chef de l’Église arménienne-catholique), et préfet de la Congrégation pour la Propagation de la Foi de 1958 à 1970.  Créé cardinal dès 1946, il aurait été lors des conclaves de 1958 et 1963 le premier papabile issu d’une Église orientale, et le seul à ce jour. Dans le contexte de la reconstruction des communautés ecclésiales dispersées et affaiblies par le génocide, le cardinal Agagianian sera reconnu comme un pilier de la diaspora arménienne catholique, présente notamment au Liban.

Sous les pontificats de Jean XXIII et Paul VI, Rome est ouverte aux contacts avec les chrétiens d'URSS, mais le dialogue œcuménique avec l'Église apostolique arménienne est alors rendu difficile par les graves divisions internes à cette Église, fracturée entre les Arméniens de la diaspora et ceux restés au pays, contraints à des compromis avec le gouvernement communiste. Un combat commun pour la reconnaissance du génocide arménien, qui nécessiterait un engagement conjoint de toutes les communautés, semble alors impossible à réaliser.

L’indépendance de l’Arménie en 1991, dans le contexte de la dislocation de l’URSS, relance le débat politique sur la reconnaissance du génocide arménien. Il faudra attendre 2001, année du 10e anniversaire de l’indépendance, pour voir ce mot apparaître dans un document officiel du Saint-Siège: il s’agit de la déclaration commune, signée en septembre 2001 entre le Pape Jean-Paul II et le patriarche de l’Église apostolique arménienne, le catholicos Karékine 1er, dans laquelle il est indiqué précisément que «l’extermination d’un million et demi de chrétiens arméniens, au cours de ce qui a traditionnellement été appelé le premier génocide du XXème siècle, et l’anéantissement qui a suivi de milliers de personnes sous l’ancien régime totalitaire, sont des tragédies qui continuent de hanter la mémoire de la génération actuelle. Ces innocents qui ont été massacrés sans raison n’ont pas été canonisés, mais un grand nombre d’entre eux furent certainement confesseurs et martyrs au nom du Christ. Nous prions pour le repos de leurs âmes, et exhortons les fidèles à ne jamais perdre de vue le sens de leur sacrifice». Mais durant sa visite en Arménie, Jean-Paul II, tout en honorant la mémoire des victimes, n’utilisera pas le terme de “génocide” dans ses discours.

Le Pape François, ami de longue date de l’Arménie

Le 12 avril 2015 marquera un tournant, lorsque lors d’une émouvante messe célébrée à la basilique Saint-Pierre en présence des chefs de toutes les Églises d’Arménie, le Pape François évoque dans son discours introductif «le premier génocide du XXe siècle». En réalité, il ne fait alors que citer le document signé par Jean-Paul II 14 ans plus tôt, mais cette première mention orale du génocide arménien par un Pape connaît alors un fort retentissement.

Un an plus tard, dans le cadre de sa visite apostolique en Arménie, le Pape François utilisera ouvertement ce terme lors du discours prononcé au Palais présidentiel à Erevan, le 24 juin 2016. Le terme utilisé en amont du voyage par l’entourage du Pape était plutôt celui de Metz Yeghern, le “Grand Mal”, mais cette mention explicite du génocide par le Pape François lui a valu une grande popularité en Arménie, où sa visite de 2016 est restée dans les mémoires. Les Arméniens, qu’ils soient issus de l’Église catholique ou de l’Église apostolique, lui sont aussi reconnaissants d’avoir élevé au rang de docteur de l'Église saint Grégoire de Narek, un moine et poète ayant vécu aux alentours de l'an 1000, et qui est considéré comme l'un des pères fondateurs de la langue arménienne.

Fait moins connu, l’attention du Pape François aux Arméniens est liée à son histoire personnelle. Il avait en effet noué des amitiés avec de nombreuses personnes d’origine arménienne durant son passé en Argentine, pays d’accueil d’environ 130 000 Arméniens. Et lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires, le cardinal Jorge Mario Bergoglio avait fait installer dans la cathédrale de la capitale argentine une plaque à la mémoire des victimes du génocide arménien.

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24 avril 2019, 18:32