Le Pape François et Alessandro Gisotti dans l'avion pour les Émirats Arabes Unis, le 3 février 2019 Le Pape François et Alessandro Gisotti dans l'avion pour les Émirats Arabes Unis, le 3 février 2019 

Gisotti: François, constructeur de ponts en chemin

À l’approche du sixième anniversaire de l’élection du Pape François, entretien avec le directeur ad interim de la Salle de presse du Saint-Siège, Alessandro Gisotti. Un dialogue qui permet de parcourir les moments forts du pontificat.

Entretien réalisé par Giada Aquilino – Cité du Vatican

La sérénité, l'attention portée aux gens et aux autres, l'écoute, la synodalité: ce sont quelques mots-clés de ce pontificat selon le directeur par intérim de la Salle de presse du Saint-Siège, Alessandro Gisotti, six ans après l'élection du Pape François. Le 13 mars 2013, alors qu'il saluait les fidèles de la Place Saint-Pierre et du monde entier depuis la Loggia centrale de la basilique Saint-Pierre, le Souverain pontife a commencé ce qu'il a lui-même défini comme un «voyage de fraternité, d'amour et de confiance». Il en témoignait déjà quelques mois plus tard, lors d'une visite parmi les migrants arrivés à Lampedusa: un voyage, non prévu, le 8 juillet 2013. Il sentit simplement qu'il devait «partir», comme il l’a expliqué plus tard. Une sollicitude qui reste inchangée six ans plus tard, comme l’a expliqué le porte-parole du Vatican.

R. - Le Pape montre que les migrants sont des personnes et non des chiffres et il le fait parce qu'il leur porte une attention constante. Nous constatons malheureusement que les médias traitent souvent des migrants en cas de crise grave, de naufrage ou de situation d’urgence à cause d’une guerre. En plus de son premier voyage à Lampedusa, il y a eu aussi beaucoup de gestes de proximité, de proximité avec les migrants, même pendant les voyages - pensons au camp de réfugiés de Lesbos, jusqu’à l’actualité la plus proche, au Maroc: dans quelques semaines, lors de son voyage apostolique, le Pape ira également dans un centre Caritas pour les migrants; et puis lors du prochain voyage en Bulgarie et en République de Macédoine du Nord, il aura un moment de proximité avec les migrants car il visitera un camp de réfugiés.

L’ouverture de la Porte Sainte à Bangui, la réconciliation en Colombie, les Rohingyas en Asie: ce sont des aspects divers de l’engagement du Pape pour la paix ?

R. Absolument. François honore vraiment le nom qu'il porte. Évidemment, lors de l’élection il y a six ans, nous avons tous été émerveillés par le nom de «François», François d'Assise, l'homme de paix, le pauvre qui a toujours essayé avec espoir une forme de dialogue. Pensons également à la rencontre avec le sultan Al-Kamil Al-Malek, qui a récemment été évoquée lors du voyage aux Émirats arabes unis. François honore donc son nom, mais aussi son ministère: pontife, bâtisseur de ponts. Parfois, nous oublions cette dimension propre aux papes. Vraiment François, comme nous l’avons vu tant de fois, pas seulement avec des mots, mais peut-être encore plus avec des gestes, là où il y a des murs, brise ces briques pour construire des ponts qui relient. Je crois que c'est une constante du pontificat, que nous continuons à voir tous les jours.

Les homélies des messes du matin à la Maison Sainte-Marthe, que représentent-elles dans ce pontificat ?

R. – À mon avis, c’est le cœur du pontificat, car le Pape y rencontre le peuple de Dieu au moment fondamental pour un prêtre, pour un évêque; le Pape est l'évêque du diocèse de Rome. C’est de la rencontre avec l'Eucharistie et avec les fidèles que naissent ces homélies qui sont un réservoir extraordinaire, car si on consulte ensuite les grands documents du pontificat, on s'aperçoit souvent qu’ils rappellent ou qu’ils sont directement inspirés des homélies de Sainte-Marthe. Je pense qu’en réalité, même après six ans, on peut dire que c’est l’une des choses les plus belles et les plus nouvelles. C'est précisément le cœur du pontificat!

L’amitié du Pape avec le Grand imam d’Al Azhar Ahmad Al-Tayyeb et celle avec le Patriarche de Constantinople Bartholomée Ier démontrent-elles comment le dialogue caractérise l’engagement de François?

R. - Le Pape François, dès les premiers pas de son pontificat, nous a parlé de la «culture de la rencontre» qu'il a mise en pratique principalement sous le thème de l'amitié. Par exemple, j'ai vu avec une vive émotion l'amitié avec le grand imam Al-Tayyeb, présent à Abou Dhabi; j'ai vu à quel point les deux hommes se cherchaient également dans la proximité, conscients que la signature de la «Déclaration commune sur la fraternité humaine» était un geste prophétique et courageux dont nous allons sûrement récolter les fruits, mais que nous récolterons ultérieurement. Donc, le thème du dialogue est certainement quelque chose qui est au cœur du Pape, qui le voit toujours à travers ce binôme amitié-dialogue. Il ne s'agit jamais d'un dialogue ayant un objectif spécifique, mais d'un dialogue issu de la réunion et nous pouvons certainement le dire pour Al-Tayyeb, mais également pour de nombreux autres chefs religieux et pas seulement.

L’engagement pour la protection des mineurs a marqué ce pontificat. Des critiques concernant l’absence de résultats concrets ont été formulées après la rencontre qui vient de s’achever au Vatican. Quels sont les résultats  concrets ?

R. - C'était une réunion nécessaire. Beaucoup doutaient qu'il convenait de tenir cette réunion, alors que le Pape à cet égard a fait preuve de courage et aussi, à mon avis, d'un courage prophétique, car pour la première fois - face à un terrible scandale qui met en péril non seulement la crédibilité, mais à certains égards la mission même de l'Église – il a voulu convoquer tous les présidents des épiscopats. Donc, le Pape a d'abord voulu dire qu'il fallait répondre à un problème mondial. Ensuite, il y a évidemment le thème du concret, des mesures concrètes. En ce sens, juste à la fin de la réunion sur la protection des mineurs, un suivi a été annoncé, c’est-à-dire les étapes qui doivent suivre, puis la publication prochaine d’un Motu proprio, la publication d’un vademecum de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et toute une série de règlements, ainsi que l'initiative des groupes de travail, c'est-à-dire des experts pouvant aider les Conférences épiscopales à mettre en œuvre la protection de l'enfance. Il faut aussi dire que pour François, l’essentiel - comme nous l’avons vu – c’est la conversion des cœurs, qui découle de l’écoute des victimes.

Le Pape a convoqué trois synodes et en a changé le fonctionnement: par ces choix, vers quelle direction porte-t-il l’Église?

R. Il a cette vision d'une Église «en sortie» et d'une Église «hôpital de campagne». L’Église sortante présuppose que vous marchiez tous. Et «synodal» signifie marcher ensemble. C’est l’esprit avec lequel François vit cette dimension aussi en tant que pasteur, comme il l’a dit au tout début de son pontificat il y a six ans, avec le peuple, devant le peuple mais aussi parmi le peuple, derrière le peuple, comme au fond, un bon berger devrait toujours faire avec son troupeau! Et puis il y a l'Église «hôpital de campagne». Nous l'avons vu lors de la réunion sur la protection des mineurs, une Église qui a le courage de se pencher sur les blessures des femmes et des hommes de notre temps. Il est bon de penser - et c'est un peu la vision de François - que l’Église n’est pas seulement un phare qui illumine d’un point fixe, lointain, mais un flambeau qui illumine et qui le fait en marchant avec le Peuple de Dieu.

Un souvenir, une image, une réflexion du Pape qui vous a frappé durant ces six ans, mais aussi durant ces deux mois et demi en tant que directeur ad interim de la Salle de presse du Saint-Siège…

R. - C'est sa sérénité. Nous vivons évidemment et nous ne pouvons pas le cacher - le Pape lui-même ne le cache pas - un moment très délicat, notamment à cause du terrible scandale des abus. Cependant, malgré cette grande conscience et aussi ce courage face à cette situation, François ne perd pas son calme, sa sérénité. Et en effet - même en le regardant dans des moments privés, cela m'a touché, par exemple, de le voir prier de très près - vous pouvez vraiment voir un homme en paix. C’est une paix qui ne vient évidemment pas du monde, mais qui vient de Dieu. Même en ce qui me concerne, dans une période difficile, car ma mission est née d’une manière totalement inattendue, avec des difficultés quotidiennes objectives, le Pape m'a dit personnellement, même à plus d'une occasion: «Ne te laisse pas aller à l'amertume, reste calme». Il le dit en père, d'une manière très paternelle, et cela me donne également la force et le courage de continuer, avec un esprit d'espoir, sachant précisément que le Saint-Père vit ce moment avec une force et une sérénité aussi grandes qu’il nous donne également.

 

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12 mars 2019, 12:00